L'art funéraire traduisant les richesses
du défunt
Les pays mahafaly et antandroy, subdésertiques, sablonneux,
pauvres en eau et parsemés d'épineux, "sont
pourtant le royaume du bétail et abritent les plus grands
troupeaux de Madagascar".
C'est ainsi que les présente Marie-Andrée Marion,
dans son mémoire de Maîtrise (1970), déposé
au Musée d'art et d'archéologie de l'Université
malgache. Elle y aborde aussi l'art funéraire de ces deux
peuples. Plus qu'ailleurs, le zébu y a acquis un caractère
quasi sacré et il revêt une importance considérable
dans les coutumes funéraires locales.
Contrairement à ce qui s'observe ailleurs dans la Grande
île, dit-elle, il n'existe pas de cimetières en pays
mahafaly et antandroy. Les tombeaux sont érigés
ça et là, l'homme choisissant généralement
l'endroit où devra s'élever sa tombe, dont l'édification
se fera après sa mort.
Le dessus des tombes s'orne généralement de bucranes,
têtes de bœufs décharnées, employées
comme décoration architecturale. Ces bucranes sont posés
au milieu des pierres, et leur nombre indique la quantité
d'animaux abattus pour les cérémonies mortuaires,
donc le degré de fortune ou de considération dont
a joui le défunt.
En outre, les plus riches sépultures se trouvent souvent
à proximité de la route principale. "C'est
une façon supplémentaire d'honorer les morts; il
faut que les décorations de leurs tombes puissent être
admirées par les passants" (Laurent Botokeky, ancien
ministre des Affaires culturelles).
Cette coutume est, du reste,
toute différente de celle des Sakalava du Menabe qui, au
contraire, dissimulent leurs cimetières dans des fourrés
et sur des dunes souvent peu accessibles.
Ces tombeaux se distinguent par les "aloalo", poteaux
funéraires érigés sur les tombes et sur les
surfaces desquels "se manifestent les tendances artistiques
et l'originalité des Mahafaly et des Antandroy". Les
"fûts" des "aloalo" d'une même
tombe possèdent généralement le même
nombre de "motifs géométriques".
L'édification du tombeau peut durer plus d'un trimestre.
Ainsi au village de Vatolatsaka, au bord de la RN10, la construction
d'une grande sépulture a duré environ quatre mois
(entre juin et octobre 1955). Pendant ce temps, le corps est enroulé
dans une natte et exposé sur une claie en plein air. Autre
exemple : la grande tombe d'un ancien chef de quartier, sur la
route reliant Tongobory à Betioky. Son édification
débute plus d'un mois après le jour du décès.
Ces deux exemples illustrent la coutume qui consiste à
conserver les morts pendant un certain temps. Un certain temps
"qui varie entre huit jours et six mois, si la construction
du tombeau et des "aloalo" nécessitent des artisans
particulièrement habiles". Il arrive aussi que ce
soit pour des raisons financières que l'érection
de la tombe soit remise à plus tard.
En effet, malgré la boutade populaire selon laquelle "les
Mahafaly ne travaillent que pour leurs morts", ils ne peuvent
pas toujours supporter immédiatement les frais considérables
occasionnés par les cérémonies funéraires.
Et cela, même si les dépenses sont payées
"en zébus", comme cela se pratique encore.
La
tradition orale rapporte même qu'autrefois, on a aussi acheté
la présence de pleureuses professionnelles, également
"en zébus".
C'est sans doute pour une raison analogue qe les tombes ne sont
pas entretenues, "chaque restauration devant donner lieu
à différentes festivités: abattage de bœufs,
réunions familiales”...
En pays sakalava, par contre,
si on ne répare pas les tombes, c'est "parce que les
morts doivent se fondre dans la Communauté des Ancêtres".
Par ailleurs, comme dit précédemment, le nombre
de bucranes posés sur le tombeau peut renseigner sur le
faste de la cérémonie organisée en l'honneur
du défunt. "Et seules la quantité et la beauté
des "aloalo" érigés pouvaient renseigner
sur la richesse du mort ou son importance sociale".
Plus
récemment, certaines personnes, "craignant sans doute
que leurs coutumes ne soient plus assez explicites", indiquent,
en dessous du nom du défunt, la somme d'argent consacrée
aux nombreuses cérémonies.
Marie-Andrée Marion note, enfin, que la taille des "aloalo"
tend à diminuer, vraisemblablement du fait de la régression
des grandes surfaces forestières.
Les tombeaux traditionnels rassemblant toute une
famille de plusieurs générations, constituent des
monuments pour la Grande île, tant par leur forme, leur style,
leurs ornements que par la légende qui, parfois, les entourent
d'un aura surnaturel.
Tsiafatampo, un
tombeau stylisé
village d'Ampasamanantongotra tombeau sur pieds, 13
km aprés Miarinarivo RN 1vers Analavory
village d'Ampasamanantongotra tombeau sur pieds
Un monument extraordinaire dédié
à un père aimé
Un des plus curieux tombeaux des hauts terres malgaches
est sans doute celui d'Ampasamanantongotra, situé dans l'Imamo,
à proximité de la route nationale reliant Antananarivo
au lac Itasy
(Jean le Bras et juliette Razanamasy, association
malgache d'archéologie et musée de l'Université)
Dans ce tombeau, se retrouvent les éléments habituels
des tombeaux merina, tout au moins de deux de l’époque
qui précéda les innovations de Jean Laborde: des pierres levées, tsangambato, une grande
dalle plate détachée d’une des nombreuses carrières
de l’Imerina, un amoncellement, ravivato,
de blocs calibrés.
L’originalité du monument tient donc à la disposition
de ces éléments : la dalle qui sert d’habitude
de plafond à la chambre funéraire, soutient le corps
au lieu de le protéger, les tsangambato n’ont plus
un rôle de décoration ou de soutènement, mais
supportent la dalle où est reposé le corps, le ravivato
enfin se trouve bien sur la dalle, mais est exhaussé par
rapport au sol dont il est séparé par la hauteur des
pieds.
Ce tombeau est antérieur à 1850, époque où
se généralise peu à peu l’emploi des
pierres taillées et calibrée, reliés par un
ciment.
Elle dut surprendre les habitants de l’Imerina, habitués
aux formes traditionnelles du tombeau, elle est pour le terrain
d’ une époque où les idées hardies voyaient
parfois le jour dans un milieu traditionnaliste.
L’histoire d’Ampasamanantongotra ressemble à
une légende.
Aux temps anciens vivent deux frères. Chacun a sa destinée
propre ainsi que sa façon de vivre. L’aîné
n’a pas de responsabilité car il n’a pas d’enfant.
Il était comme une pierre ronde qui roule où
l’on veut. Il part faire fortune vers l’Ouest,
le pays des sakalava puis revient élever des bœufs et
cultiver la terre dan s l’Itasy. Il possède beaucoup
d’argent, mais dépense peu : il devint un des
plus riches de l’Imamo de l’Ouest
Le cadet, lui, est favorisé car il est riche d’enfants
il a sept garçon et filles. Le couple a beaucoup de difficultés
à faire vivre sa progéniture. Il fait aussi de la
culture et de l’élevage, mais il ne peut aller chercher
fortune ailleurs à cause de ses enfants pendant que sa femme
va puiser l’eau, piler le riz et chercher du bois.
Leur vie était misérable, ils passaient parfois
des nuits sans manger, portaient des vêtements en haillons
et étaient fatigués par leur travail
Bien que leur courage soit énorme, leur nombre est très
grand, de même les dépenses, et ils n’ont rien.
Néanmoins, les deux frères s’entendent bien.
L’ainé donne de temps en temps à son frère
de quoi manger, mais cela ne sert pas à grand-chose et avec
le temps, les enfants grandissent et les difficultés augmentent.
Mais dans sa vieillesse avancée, le couple voit ses efforts
récompensés car les sept garçons leur donnent
tout ce que qu’il veut.
En revanche, malgré sa richesse, l’ainé est
triste car il constate qu’il a amassé pour d’autres.
Ses sept neveux l’aiment et le respectent comme leurs propres
parents, mais il voulait que ses enfants se réjouissaient
à l’avance à la pensée d’hériter
les bœufs qui étaient dans le désert.
Il fait alors un testament par lequel il dicte que la moitié
des bœufs servira à son enterrement
Peu de temps après, il meurt. Son enterrement ressemble à
celui d’un roi. On fait venir les 100 bœufs du désert,
on en vend la moitié pour acheter des linceuls et des bijoux
précieux, dont on le revêt. Des pleureuses et des musiciens
sont engagés, car on garde le corps pendant deux semaines.
Et personne, même les enfants ne rentre chez soi sans emporter
sa part de viande. Les gens en furent rassasié si
bien qu’on laissa pourrir les restes des bœufs
Enfin, on enterre le corps. Le dernier désir du mort également
exaucé, car dans la partie nord de l’Imamo, nul n’a
de funérailles aussi grandioses, aussi populaires. Et au
bout de cinq ans, on s’en souvient encore. Puis progressivement,
l’on parle de moins en moins de lui, sauf les vieux. Enfin,
l’on ne se souvient plus de lui.
Beaucoup plus tard son frère cadet décède à
son tour. Ses sept fils se réunissent pour discuter de son
enterrement. Mais pour marquer leur reconnaissance à leur
père et entretenir pour toujours sa renommée, plutôt
que de lui acheter de beaux linceuls, des bijoux de valeur et tuer
de nombreux bœufs, ils lui bâtissent un monument, Ampasamanatongotra,
un tombeau doté de pieds. Et pendant l’enterrement,
pas de musiciens ni de pleureuses, mais des discours chaleureux.
En 1970, année de leur passage dans la région, les
deux auteurs soulignent que cet extraordinaire tombeau n’est
pas rongé par la pluie et le vent…alors que les tombeaux
de la même époque ont été détruits qu’ils appartiennent aux riches ou aux pauvres.
Autre particularité tombeau d’un bout
d’une personne village d' Ampasandrasilakolona
Cinq sortes de tombes dans le Sud
Dans son mémoire sur la Cotribution à l'étude
de l'art funéraire dans l'Ouest et le Sud-ouest de Madagascar,
Marie-Andrée Marion observe cinq catégories de tombes,
comportant ou non des bucranes.
La première est réduite à sa plus simple
expression : un amas de pierres.
La seconde est faite d'un carré de pierres empilées,
dont le pourtour est constitué de pierres en quinconce
formant muraille. Les dimensions varient toujours entre 5 et 20m
de côté avec une hauteur moyenne de 1m à 1,60m.
La troisième se présente aussi, comme les suivantes,
sous forme d'un carré de pierres empilées, mais
avec une bordure et un pourtour en ciment et, éventuellement,
des marches pour y accéder.
La quatrième catégorie de tombes, avec leur carré
de pierres, cimentées ou non, porte des "aloalo".
Il s'agit de poteaux funéraires en bois sculptés
à jours, de 1,50 à 1,80m de hauteur, fichés
sur le dessus du tombeau. On peut les décomposer en "banc",
dont la pointe effilée s'enfonce dans le sol, en fût
orné de motifs géométriques et
en sommet garni de sculptures, représentant
souvent des scènes de la vie courante. Les aloalo
sont toujours disposés de façon géométrique
régulière.
Enfin, la dernière catégorie est formée d'un
carré de pierres, avec ou sans aloalo, avec
une bordure en ciment. Cette fois, le ciment est décoré
de peintures aux couleurs vives, de dessins géométriques,
de personnages, d'animaux familiers ou d'objets.
Le Roi est mort, vive son successeur ! Organisation des funérailles
En Imerina,d 'une façon ou d'une autre, presque toujours
le successeur du Roi (ou de la Reine) régnant sera annoncé
avant son décès ou l'annonce de son décès.
Les funérailles du Roi ne peuvent pas être celles
de tout le monde, c'est la règle que confirme Andrianampoinimerina,
semble-t-il, après une période de confusion dans
les mœurs. C'est ainsi qu'il prescrit que seuls le souverain
et ses proches parents peuvent être ensevelis de nuit et
pleurés après le coucher du soleil.
En outre, seul le corps du roi (ou de la reine) peut être
déposé dans un cercueil d'argent en forme de pirogue.
Les autres nobles n'ont droit qu'à un cercueil d'amboara
(un bois imputrescible, Tambourissa parvifolia).
La pirogue d'argent est une innovation d'Andrianampoinimerina,
paraît-il, les précédents monarques étant
mis dans un cercueil d'amboara aussi.
Le Roi décide de
consacrer à sa confection toutes les pièces d'argent
du hasina (piastre entière offerte comme tribut) qui sont
conservées dans une caisse déposée dans sa
propre maison. La coutume est suivie par ses successeurs et, par
exemple, il faut 40 000 piastres pour fabriquer le cercueil de
Ranavalona 1ère.
Une série de contraintes s'impose à toutes les couches
de la population, dès le décès du souverain
: obligation d'avoir la tête rasée pendant la durée
du deuil, il dure un an pour Andrianampoinimerina, de porter le
lamba sous les aisselles, de ne pas le laver non plus que le visage
et les pieds, de marcher courbé, de ne pas se coucher sur
un lit, de ne pas travailler pendant trois jours, de ne pas commettre
l'adultère...
Et chacune des six provinces de l'Imerina
doit fournir des linceuls (lambamena).
Le corps du Roi (ou Reine) défunt est exposé dans
une maison consacrée, sous un catafalque, pendant plusieurs
jours (une semaine pour Andrianampoinimerina). Des délégations
de chaque province campent autour de la ville.
Les femmes et les
enfants viennent chaque jour veiller le corps et pleurer, tandis
que les hommes tirent des coups de fusil. Le nouveau monarque
fait abattre des centaines de bœufs, pris sur le troupeau
royal chaque jour, pour nourrir toute cette foule.
Lorsque le tombeau est prêt à recevoir la dépouille
royale c'est-à-dire que l'on a déposé sur
le pavage du tombeau un revêtement de bois d'amboara et,
par dessus, une couche de charbon de bois la pirogue d'argent
y est installé.
Il y a parfois des variantes.
Pour Radama
I, le cercueil est déposé dans le tombeau et sa
dépouille y est descendue.
Pour d'autres souverains, le
corps est déjà placé dans la pirogue au moment
où elle est descendue dans le tombeau.
Dans tous les cas, la mise au tombeau ne peut se faire qu'après
le coucher du soleil, à la lueur des torches
En même
temps, on fait exploser un canon, dont les morceaux sont enterrés
sur place, et la foule se prosterne, le visage contre le sol.
Seul le nouveau Roi n'assiste pas à l'inhumation.
Mais
aussitôt après, il ordonne le tampimasoandro et les
conditions de deuil. Le tampimasoandro est une cérémonie
qui consiste à sacrifier un bœuf noir, dont les morceaux
sont partagés entre les membres de la famille royale, certains
hauts personnages et les serviteurs royaux. Puis, il fait à
nouveau distribuer au peuple de la viande de bœuf, après
quoi chacun retourne chez soi pour se purifier par ablution
des quatre coins du lamba.
Dans tous ces rites des funérailles royales, les classes
nobiliaires et les clans se répartissent les tâches.
Ainsi, les Zazamarolahy et les Andriamasinavalona (noblesse) tressent
les nattes sur lesquelles s'accroupissent les veilleurs de la
dépouille royale ; les Andrianteloray confectionnent la
pirogue d'argent
les Zanakahiarivo construisent le tombeau
les Talasora introduisent la dépouille dans le cercueil
et celui-ci dans le tombeau
les Tahiamanangoana couvrent le
tombeau de terre rouge...
Certains travaux restent interdits pendant toute la durée
du deuil, tels que le travail du fer, la confection de poteries,
le tissage, le filage...
Enfin, toutes les femmes en bonne santé sont tenues de
venir pleurer près du tombeau toutes les quinzaines ou
tous les mois selon la distance.
A l'expiration du deuil, le Roi (ou la Reine) doit apparaître
à la population après les trois rites de purification
dans l'Ikopa, du tendroilo (onction de la tête à
la graisse de bœuf déjà pratiquée à
l'occasion du premier tampimasoandro)
et du versement du varidimiventy
(une valeur de piastre coupée)
suivis du second tampimasoandro
(en général, des actes de débauche).