Andriantsimandafikarivo
fils de Andriampirokana roi Antehiroka haut lieu de pélerinage
Nord d'Ivato passer Anjomakely, à l'ouest
le massif d'Ambohitriniarivo
au sommet montée au Doany du
village d' Ambohimasina
ce jour là on retournait un
mort dans la famille
la gardienne des lieux
village d' Ambohimasina détail
balcon
les pierres creuses au premier plan: le
traditionnel loana pour piler le riz, le manioc
Les Antehiroka
Descendants des derniers rois vazimba d’Ialamanga, les Antehiroka
ne sont pas des primitifs chassés par la défaite
de leurs lieux de résidence. Les privilèges qui
leur furent reconnus par Andrianjaka et que confirma encore
Andrianampoinimerina suffisent à le prouver.
Ils bénéficiaient, en effet, de tous les privilèges
qu’avaient les andriana. Ils n’avaient pas à
verser au roi ou à ses représentants la culotte
de bœuf (vodihena) pour chaque zébu sacrifié.
Leurs territoires ne pouvaient être donnés en apanage
et seigneurie à un prince (tsy atao menakely). Leurs biens
ne pouvaient tomber en déshérence (tsy hanina mati-momba)
et être une aubaine pour le souverain.
Ils n’avaient ni à assurer la garde de l’enceinte
royale (tsy miambina valamena) et le portage des princes (tsy
milanja Andriana), ni à payer l’impôt sur le
riz récolté (tsy mandoa isam-pangady), ni à
verser chaque année le grain d’argent par personne
vivante (tsy mandoa variraiventy isan’aina) impôt
tout à fait minime mais marque de sujétion , ni
à accueillir des chèvres dans leurs villages (tsy
iakarana osy). Accordé en échange du renoncement
au pouvoir souverain, ce dernier privilège signifiait que,
n’en élevant plus pour eux-mêmes, ils n’avaient
pas non plus à recevoir les chèvres du souverain
sur leurs terres.
En outre, si, comme les andriana, ils avaient le privilège
qui interdisait au souverain de verser leur sang et de les convoquer
au service armé, ils en avaient un autre, particulièrement
important, celui d’être tsimatimanota, qui leur assurait
la vie sauve en cas de crime. C’est ainsi que le roi Andrianampoinimerina
voulant punir Ravovonana, un Antehiroka qui l’avait blessé
au genou d’un coup de fusil, dut attendre l’autorisation
des Antehiroka, et l’exécution du coupable se fit
sans effusion de sang.
Enfin, en matière de rituel, ils étaient autonomes
(mahavita tena), notamment pour la circoncision de leurs fils
alors même que, sous peine de nullité, leur participation
était indispensable lors de la circoncision des enfants
royaux, où les bénédictions qu’ils
prononçaient en tant que “parents à plaisanterie”
(ziva) de la famille royale, et qui devaient rester secrètes,
prenaient la forme d’imprécations. Huit générations
après Andrianjaka, la parenté étant éteinte,
ce statut fut remis en cause, mais déjà en avait
pris la relève la dynastie des Andafiavaratra.
Andrianjaka et Antananarivo
Les traditions auxquelles on peut se référer
si divergents que puissent en être les contenus se
rejoignent pour reconnaître l’importance d’Andrianjaka
dans l’histoire du royaume merina et même au delà,
jusqu’à aujourd’hui.A s’en rapporter
à cette mémoire collective, cet Andriamanjaka, dont
le règne se situe dans la seconde moitié du 16e
siècle, est avant tout le premier auquel, héritiers
des vainqueurs des Vazimba, nous devons d’avoir Antananarivo
pour capitale de Madagascar et le Betsimitatatra, à ses
pieds, devenu rizières où le bon souverain sut faire
collaborer toutes les couches de la hiérarchie sociale
pour la construction des digues de l’Ikopa.Mais qui veut
écrire l’histoire et la comprendre se doit de chercher
à élucider le pourquoi et le comment des divergences
entre les traditions. Car c’est bien en ce qu’elles
révèlent d’Andrianjaka et de son règne
à commencer par son accession à la souveraineté
que se trouvent les clefs de cette histoire.
Curieusement, après tout ce qui en a été
dit à propos des décisions prises par Andriamanelo
et Ralambo, sans exception
aucune y compris celles relatives à la prise de possession
d’Antananarivo , les traditions accessibles tendent encore
à établir la légitimité d’Andrianjaka
et des actions de son règne.
Mais il n’y a pas à s’en étonner. Exceptionnellement
complexe, même aux yeux des plus avertis, la question des
moyens et des principes mis en œuvre pour l’accession
au pouvoir suprême au sein des royaumes malgaches- et plus
particulièrement du royaume merina se présente
aujourd’hui encore comme un défi lancé aux
historiens et aux anthropologues.
Il paraît évident que ce défi ne pourra véritablement
être relevé que par le biais d’une histoire
culturelle faisant bonne place au langage et aux représentations.
Il est hors de propos d’en traiter ici dans son ensemble,
mais sans doute peut-on commencer à y voir plus clair en
se souvenant qu’il s’agit là de fruits de l’histoire
et de la rencontre sur le sol de la Grande Ile et, en l’occurrence,
des Hautes Terres centrales de communautés également
issues du monde austronésien et globalement de même
culture, mais se distinguant notamment par leurs systèmes
de parenté et leurs modes de transmission des héritages.
Dans un tel contexte, la dévolution du pouvoir souverain,
bien indisponible échappant au bon plaisir d’un roi-patriarche
(masi-mandidy), est forcément une œuvre stratégique
de longue haleine jouant à la fois de l’état
des droits et de l’équilibre des forces en présence.
Explicitement évoqués par les traditions, trois
chemins s’ouvrent au candidat au fanjakana royal : la guerre
ou son substitut, le fanorona,
l’héritage comme conséquence du mariage et
la négociation d’une convention.
La légitimité d’Andrianjaka
Quelque peu analogue à la marelle médiévale
française, le fanorona
est un jeu de stratégie qui, comme les échecs (samantsy)
en pays zafiRambo, faisait partie de l’éducation
des jeunes princes.
Dans nos traditions étaient censés être en
train d’y jouer tant l’héritier désigné
Andriamananitany quand il fut assassiné par les partisans
d’Andriamanelo, son aîné au pouvoir, que le
fils aîné de
Ralambo, Andriantompokoindrindra,
éliminé de la succession pour être demeuré
sourd aux appels au secours de son père. Ce dernier voulant
encore une fois tester ses fils pour savoir si le cadet, Andrianjaka,
était vraiment digne de la souveraineté à
laquelle il le destinait pour réparer l’assassinat
d’Andriamananitany et respecter le testament de Rangita.
Pour comprendre ces conséquences extrêmes d’une
activité prétendument de loisir, il faut savoir
que le fanorona, alors qualifié de soratr’Andriamanitra
ou “prescription / décision divine”, était
à l’époque plus qu’un jeu : un moyen
de divination antérieur à celui de l’ombiasy
sous influence arabo-musulmane, et pour lequel le prince était
lui-même son propre ombiasy. Réussira-t-il à
élaborer les stratégies qui vont lui permettre de
sortir vainqueur de l’expédition ou de la guerre
qu’il va entreprendre ? De fait, commencer à jouer
au fanorona, c’était déjà commencer
à combattre. Une victoire au jeu était présage
de succès assuré, une défaite, présage
d’échec.
La tradition d’Ambohimalaza
donne à entendre que, par son don de voyance, le grand
ancêtre, roi-prêtre et devin depuis dix ans, sur le
territoire légué par sa mère et qu’il
était prêt à défendre contre tout empiètement,
avait deviné que son père n’avait nul besoin
de secours. Mais l’annonce d’une recherche de victoire
imparable par 3 contre 5 inaboutie signifiait qu’il ne se
lancerait dans aucune entreprise d’expansion sans totale
certitude de réussite.
Quant à Andrianjaka, se détournant du fanorona
dessiné sur son rocher d’Andringitra, pour formuler
le souhait de prendre Ialamanga sans coup férir, il annonce,
pour sa part, sa décision de chercher une expansion territoriale
vers le sud et par d’autres moyens que la guerre : ce sera
en se présentant à Ialamanga en héritier
de Rafandrana.
Il faut aussi relever, sans plus s’y attarder, que Ralambo
et Andriantompokoindrindra se rejoignent parfaitement pour éviter
le partage, à la mort de Ralambo, de l’Imerina ambaniandro
: en deux royaumes, celui de l’Est à Andriantompokoindrindra
et celui de l’Ouest à Andrianjaka.
Ce sera en s’engageant sur le deuxième chemin possible
d’accès à la souveraineté, qui est
celui des mariages calculés en fonction des droits qu’ils
peuvent procurer aux époux et aux enfants permettant à
l’homme d’exercer le fanjakana sur les terres de sa
femme et à ses enfants de les recevoir en héritage
de leur mère. Ralambo le fera par une forme de testament
et Andriantompokoindrindra par une convention passée avec
son cadet, et en instaurant un mariage préférentiel
de fanjakana tsy afindra entre leurs descendants.
Cela dit, il faut se rappeler, à propos du rôle des
femmes comme source du pouvoir, que celui-ci était fondé
sur l’ancien principe juridique (rohin-drazana) limitant
les droits d’un prince en matière de succession.
Aucun prince, fût-il roi, n’avait le droit d’écarter
de la succession au fanjakana les enfants de sa sœur qui
en étaient les héritiers prioritaires (ny amin'ny
zanak’anabavy dia tsy very ariana ny amin'ny fanjakana).
C’est ainsi que s’expliquent, d’une part, décidé
par Andriamanelo,
le passage par le mariage du fils de son frère Andriamananitany
avec leur sœur Rafotsindrindramamnjaka, et d’autre
part, mais partiellement, l’apparition, au début
du 20e siècle, d’une surprenante tradition dont la
publication fit alors scandale et qui faisait de la mère
d’Andrianjaka la descendante par les femmes d’une
cadette de Rangita, qui aurait été mariée
à un prince sakalava d’origine anglaise (par ailleurs
évoqué par nombre de récits, tant malgaches
qu’européens, relatifs aux dynasties du Sud et du
Sud-Ouest de l’île).
La conquête d’Ialamanga
Andrianjaka n’avait certes pas renoncé en toute circonstance
à être un conquérant. Une tradition lui attribue,
comme à Ralambo, cinquante fusils et trois barils de poudre.
Et déjà, avant de se tourner vers Ialamanga, il
avait pris le contrôle de tous les sommets entre Ambohimanga
et l’Andringitra,
lesquels étaient des lieux de pouvoir qui resteront, par
la suite, le siège de pouvoirs seigneuriaux.
Ialamanga ou, selon d’autres traditions, Anjalamanga ou
encore Analamanga était un site aménagé selon
les normes des anciens sites princiers.
Au milieu d’une forêt, en son point le plus élevé
à Ambohimitsingina (“Au sommet qui effleure le ciel”)
l’actuel Ambohimitsimbina où ont été
érigées les antennes du réseau hertzien ,
existait une palée (rova) à l’intérieur
de laquelle avaient résidé les rois vazimba.
En contrebas au nord-ouest, un lac sacré dans le vallon
perché d’Antsahatsiroa servait à la sépulture,
au moins partielle, des rois trépassés. En dehors
du rova existaient aussi de petits villages comme celui d’Ambohimanoro.
L’ensemble était entouré soit par des abrupts
rocheux, soit par des fossés. A cette époque, comme
à Ambohimanga celle-ci a conservé sa forêt
jusqu’à présent , les rois et princes n’enterraient
pas à l’intérieur de la palée, mais
dans la forêt. Ambatobe, Ambavahadimitafo et Ambatobevanja
furent des lieux de sépulture. Et le peuple enterrait à
l’extérieur des fossés : Ambohitsirohitra,
par exemple, était le lieu de sépulture d’Ambohimanoro.
Ialamanga n’était pas un site princier comme
les autres. C’était le grand nombril (foibe) de toute
la région, un lieu de pouvoir particulier pour les relations
avec l’au-delà céleste, là où
arrivait, par le cordon ombilical reliant le ciel et la terre,
le hasina vital. Y consacrer un accord ou une convention lui donnait
une autorité supérieure. C’est ainsi que le
vallon perché d’Andohalo accueillait les pierres
levées (orim-bato) qui consacraient ces accords. Comme
le donnait à penser le nom du lapa d’Ambohimitsingina
: Tsiazompaniry ou “Celui qui échappait aux convoitises”,
cette ville sanctuaire était censée imprenable.
La conquête d’Analamanga ne fut sans doute pas
un haut fait d’armes d’Andrianjaka, mais plutôt
le résultat de négociations qu’appuyait un
fort mouvement populaire, à un moment où le pouvoir
précédent, après le dernier grand règne
d’Andriampirokana qui avait complété la défense
de la ville et fait creuser le fossé d’Ankadinandriana,
à l’est du rova, semble bien avoir été
désorganisé.
Antananarivo, capitale de l’Imerina
La tradition royale va jusqu’à raconter qu’Andrianjaka
et ses gens ayant fait halte à Andrainarivo, à l’est
de la ville, et y ayant fait la cuisine, le nombre de feux et
la quantité de fumée firent si peur aux Vazimba
qu’ils s’enfuirent ! Mais, à suivre le récit
qui nous est donné de la prise de possession, les fuyards
ne comptèrent que du menu fretin. En effet, Andrianjaka rencontra sur place les fils d’Andriampirokana,
Andriantsimandafika et Andriambodilova, avec lesquels il passa
convention et qui, avec des privilèges plus importants
que ceux des andriana, furent établis, le premier à
Ambohitriniarivo, au nord d’Ivato, le second à Anosisoa,
où ils devinrent les ancêtres des Antehiroka.
Il y rencontra aussi les Zanamahazomby, descendants d’Andriamahazomby,
qui avait autrefois reconnu les droits, sur Ialamanga, de Rafandrana,
un ancêtre d’Andrianjaka.
A la population, les serviteurs-courtisans qui accompagnent le
prétendant le présentent comme un prince qui ne
fait perdre à personne ni sa famille ni ses biens.
Répondant aussi au souci du sort de la terre, ils indiquent
qu’il respectera les biens hérités des ancêtres.
Andrianjaka n’ayant rencontré aucune opposition,
la ville sanctuaire passa aux mains des descendants de Rafohy
et Rangita. Andrianjaka va réaménager le site et
le nommer Antaninarivo (“A la terre du peuple”). Jusqu’à
ce jour, la prononciation Antàn’nariv’ se conforme
à celle du nom donné par Andrianjaka, même
si Andriamasinavalona et Radama Ier décidèrent de
la renommer, le premier Antananarivolahy (“A la ville remise
à mille hommes”) et le second Antananarivo (“A
la ville des mille / du peuple”).
Décider d’une nouvelle nomination du lieu était
normalement au nombre des prérogatives royales, et la tradition
en donne maints exemples. Mais les nouvelles dénominations
sont toujours significatives.
Le sens de “ville du peuple” si l’on admet que,
dans les noms, manga est une référence au monde
arabe indique un programme politique de réaction contre
l’influence arabo-musulmane qui, à cette époque,
est sensible en divers domaines. Maître des lieux, le premier
acte d’Andrianjaka fut de couper un pan de forêt pour
y installer son rova. Non seulement il ne reprit pas pour lui
l’ancien rova vazimba, mais il le retrancha de l’agglomération
en faisant creuser, entre les deux palées, le fossé
d’Ankaditapaka.
La différence était désormais faite entre
Ialamanga et Antaninarivo. Et il n’eut pas d’autres
grands aménagements à faire, car l’espace
était déjà bien délimité et
protégé. Rénové, l’antique établissement
devenait le foiben’Imerina (“grand nombril de l’Imerina”),
le lieu où, par excellence, se faisait la communication
avec le ciel.
Exception faite des Vazimba qui fuirent et formèrent ensuite
une partie des Antehiroka, il confirma dans leurs droits les habitants
qui y résidaient déjà, mais en y mêlant,
comme colons (voanjo), certains des partisans qui l’avaient
suivi.
Il fit de la ville la représentation du royaume. Il ne
toucha pas aux anciens tombeaux, et notamment à celui d’Andriampirokana,
dont les descendants conservèrent ce qui devint le quartier
d’Andafiavaratra.
Il lotit partiellement la forêt en délimitant de
nouveaux quartiers auxquels étaient adjoints, à
l’extérieur des fossés, des terrains de culture
(tanimboly) : dans l’enceinte de la ville, Ambavahadimitafo
(nord-est) fut accordé aux Andriantompokoindrindra ; Ambohitantely
(nord d’Andafiavaratra) aux Andrianamboninolona)
; Ambohitsoa (où fut construit le lycée Gallieni
au 20e siècle) aux ZanadRalambo ; Andrefandrova (ouest
du rova) à ses proches parents. Ambohimitsimbina, quartier
de l’ancien rova, devint la résidence des tandapa,
ses serviteurs-courtisans.
Les lignages andriana puissants étaient donc représentés
à proximité du palais royal, mais ne pouvaient y
ensevelir leurs morts et devaient le faire dans le vohitra de
leurs ancêtres. Seuls Andrianjaka et ceux de ses descendants
qui allaient régner après lui obtenaient le droit
de sépulture à Antaninarivo, à l’intérieur
du rova.
La ville rayonnait sur la région, débordant les
limites des terres ayant fait allégeance. Andrianjaka,
prévoyant l’avenir, encourageait les initiatives
visant à étendre ce rayonnement. C’est ainsi
qu’il autorisa Andrianentoarivo, d’ascendance zafimamy,
à se créer un fanjakana dans ce qui devint le Vonizongo
(nord-ouest de l’Imerina).
Mais alors que lui-même avait chiffre célestiel douze
conseillers, comme Andriantompokoindrindra au moment de son règne,
il n’en accorda que dix chiffre terrestre à Andrianentoarivo,
comme en avait Andriantompokoindrindra depuis qu’il avait
cédé le pouvoir souverain à son frère.
Par de telles créations, Andrianjaka préparait l’avenir
à une plus grande Imerina.
toujours le rouge: la couleur
des rois
pierre à sacrifice
gardienne des lieux
Analamanga, capitale
de l'antehiroka Andriampirokana avant sa conquête par l'andriana
Andrianjaka qui la baptisa Antananarivo.
Passionnants, intrigants, inquiétants Vazimba, à
l’apparence fantastique plus imaginaire que réelle.
La persistance, malgré l’absence de données
matérielles, de la légende sur une population naine
s’explique si on accepte l’hypothèse que l’histoire
officielle des royaumes malgaches avait nanifié et défiguré
ceux qu’elle avait condamnés à l’oubli.
Toute la pensée coloniale, même celle dont on disait
qu’elle était "progressiste", était
engagée dans ce procès. Avalisée par Friedrich
Engels qui avait repris les théories évolutionnistes
des premiers anthropologues anglo-saxons, l’anthropologie
d’un marxisme qui pouvait être doux ou dur, trouvait
dans l’histoire merina telle que l’avait transmise
la tradition orale, à la fois une illustration et une confirmation
de la fameuse hypothèse séculaire sur l’origine
de la famille, de la propriété privée et
de l’État . Et, dans une variante d’un marxisme
doux, l’Académie Malgache a entendu il y a une trentaine
d’années, un "Essai sur le concept de vazimba"
qui illustre bien ce point de vue. Selon cet essai, l’invention
du fer à l’époque d’Andriamanelo, la
domestication du bœuf et peut-être du mouton par Ralambo,
et le développement de la riziculture irriguée grâce
à de grands aménagements hydrauliques auraient bénéficié
au groupe qui "va réaliser également des innovations
dans d’autres domaines : élaboration de la notion
de fanjakana, recherche d’une organisation du pouvoir, introduction
de la circoncision, création du fandroana" . Le concept
"vazimba" ne désignant pas une race aurait défini
"tout individu, toute société qui n’a
pas dépassé un certain niveau technique caractérisé
par l’absence de la connaissance de la métallurgie,
de la riziculture
et de certaines pratiques d’élevage" , et par
suite tout individu ou groupe "vazimba" ayant réalisé
cette révolution technique, deviendrait par ce fait même
merina. Mise à part cette affirmation importante de l’identité
anthropologique des populations "vazimba" et merina
jusqu’alors considérées comme bien distinctes,
c’est là une mise en forme des différentes
données explicites de la tradition orale, réalisée
en respectant les faits tels que les avaient donnés une
tradition qui n’avait pas été interprétée.
Par les progrès de la connaissance de l’ancienne
culture matérielle malgache qu’a fournis le développement
de l’archéologie, on sait aujourd’hui de façon
indiscutable qu’Andriamanelo n’a pas inventé
le fer, ni Ralambo la domestication du bœuf. Tout près
d’Andramasina, le haut site à fossés (hadivory)
d’Ambohimanana qu’a fouillé feu David Rasamuel,
a fourni les restes de la consommation alimentaire de la population
qui y habitait : ce sont notamment des os de bovidés sur
lesquels sont visibles les traces des couteaux dont on usait.
M. Rafolo Andrianaivoarivony a fait et rendu publique l’étude
de cette boucherie fine. Or, daté de façon absolue
au Carbone 14, l’occupation d’Ambohimanana a commencé
au plus tard au IXe-Xe siècle apr. J.-C. ce qui en fait
actuellement, pour les Hautes Terres, le site le plus ancien.
Et, trouvés à quatre mètres de profondeur
dans le premier fossé qui avait été ensuite
comblé en servant de fosse à ordures, les restes
de boucherie étaient associés au charbon qui a servi
à la datation. De ce fait, il n’est pas aventureux
de dire que les habitants d’Ambohimanana consommaient la
viande de zébu et utilisaient des instruments en fer sept
siècles avant Andriamanelo et Ralambo!
C’est grâce à Ranoromasina et à la
circoncision que les Antehiroka auraient obtenu d’Andrianampoinimerina
des "faveurs" ensuite pour la plupart retirées
à l’époque de Radama Ier et de Ranavalona
Ire. Le " tantara " dit : "Ary izao no soa azon’
Antairoka tamin’ Andrianampoinimerina noho Ranoromasina
: tsy mati-manota izy, tsy hanim-bodihena, tsy natao menakely
izy, tsy hanina mati-momba izy, tsy miambina valamena (rova) izy,
tsy mandoa isam-pangady, tsy mandoa variraiventy isan’ aina,
tsy iakaran’ osy, etc.".
Plutôt que de classer ces privilèges selon leur
nature, nous avons préféré les citer selon
l’ordre suivi par le tantaran-dRanoro, car, dans une certaine
mesure, cet ordre indique l’importance relative qui leur
était alors accordée. Les huit premiers sont ceux
qu’énumère le tantara; les deux derniers apparaissent
ensuite en relation avec des événements rapportés
à Ranavalona Ire.
L’on y voit donc qu’au XIXe siècle, les Antehiroka
sont :
1. Tsy mati-manota : "ils ont la-vie-sauve-même-en-cas-de-crime";
2. Tsy hanim-bodihena : "on n’en peut exiger la culotte
de bœuf";
3. Tsy natao menakely : "on ne les a pas donnés en
apanage";
4. Tsy hanina mati-momba : "leurs biens ne peuvent tomber
en déshérence";
5. Tsy miambina valamena (rova) : "ils ne gardent pas l’enceinte
royale";
6. Tsy mandoa isam-pangady : "ils ne payent pas l’impôt-par-bêche";
7. Tsy mandoa variraiventy isan’ aina : "ils ne payent
pas le grain-d’argent par personne vivante";
8. Tsy iakarana osy : "ils n’ont pas à accueillir
de chèvres dans leurs villages";
9. Tsy atao miaramila : "ils ne font pas le service militaire"
(au § 56);
10. Tsy milanja Andriana : "ils n’ont pas à
porter les Princes et Princesses" (au § 61).
Sous Ranavalona Ire, dit encore le tantaran-dRanoro, les Antehiroka
ont été amenés à renoncer à
certains de ces privilèges : les premier, sixième,
septième, huitième et neuvième et se sont
engagés par ailleurs à exécuter toutes les
corvées normalement exigibles de l’ensemble du peuple
d’Imerina. L’origine des privilèges des Antehiroka
Évidemment, la question se pose immédiatement de
savoir comment un groupe aurait pu obtenir d’un souverain,
en si grand nombre et d’une telle importance, des faveurs
auxquelles ses successeurs immédiats auraient mis fin.
C’est le genre de question que la tradition orale pose habituellement
à l’historien et auquel il est difficile de répondre.
Surtout, comme c’est le cas le plus fréquent, lorsque
l’on se trouve confronté à une tradition isolée.
Le tantaran-dRanoro n’étant pas une tradition isolée,
notre effort de compréhension en sera facilité.
Mais la démarche suivie et la solution trouvée pourront
nous aider à mieux comprendre les traditions isolées.
Le tantaran-dRanoro, il est vrai, fournit une réponse à
notre question par l’énoncé d’une constatation
générale qui, par sa formulation bien frappée
a valeur de sagesse universelle :
Ny fanjakam-banim-pary,
Ka ny anjakàn’ ny aloha tsy anjakàn’
ny aoriana" (§ 55),
c’està-dire :
"Les règnes sont à l’image des entre-nœuds
de canne à sucre,
"Et les institutions du règne passé ne deviennent
pas celles du règne suivant". En somme, les Antehiroka
auraient dû se plier à l’arbitraire royal.
C’est là une explication dont il faut bien noter
la commodité, et d’abord pour les Antehiroka eux-mêmes
qui, s’ils perdent leur tranquillité et leur bonheur
paisible ("niala tamin’ ny fiadanany Antairoka",
§ 55), n’ont pas perdu leur honneur d’hommes
et de sujets, puisqu’ils ne sont pas responsables de ce
préjudice.
Andohan'Analakely, il y a longtemps.
Les Antehiroka sont les descendants d’Andriantsimandafika
et Andriambodilova, les fils d’Andriampirokana, qui s’étaient
soumis à Andrianjaka, nouveau roi d’Antananarivo.
À Ambohitriniarivo, pour l’aîné, et
à Anosisoa pour le cadet, ils furent l’objet d’un
culte rendu par les souverains andriana d’Antananarivo.
Jusqu’au règne d’Andrianampoinimerina (1785),
d’ailleurs, les Antehiroka pouvaient se marier avec des
membres de la famille royale.
De fait, il en ressort qu’à la fin du XVIIIe siècle,
les Antehiroka étaient encore un groupe à statut
aristocratique élevé. Andrianampoinimerina, loin
d’être le premier souverain à leur accorder
l’ensemble des privilèges que cite le tantaran-dRanoro,
ne leur avait, en fait, confirmé que certains de leurs
anciens droits et privilèges et leur en avait au contraire
retiré quelques-uns, dont celui de pouvoir contracter des
alliances matrimoniales avec la famille royale . Que le tantaran-dRanoro
donne Andrianampoinimerina pour le souverain qui leur avait concédé
ces droits s’inscrit en vérité dans le modèle
politique de participation au pouvoir et à l’autorité
andriana : mieux valait se rattacher au souverain le plus proche
qu’à un plus ancien, de la même façon
que se présenter comme descendant d’Andriamasinavalona
était plus valorisant qu’être descendant de
Ralambo ou d’Andrianerinerina. Une décision d’Andrianampoinimerina
avait plus de force qu’une décision d’Andrianjaka
et devait être plus difficile à remettre en cause.
La nature de ces privilèges
La nature de ces privilèges important à l’histoire
de la société, voyons donc ce qu’ils représentaient.
1. Tsimatimanota. Ce privilège ne permettait pas aux Antehiroka
d’en faire à leur volonté, et notamment de
s’en prendre aux biens d’autrui. Il autorisait ceux
de ses bénéficiaires qui auraient été
condamnés à mort pour une faute commise à
l’égard du souverain, à racheter leur vie
en faisant au Roi l’hommage d’un bracelet d’argent
ou masom-bola hidy vava (litt. "le bracelet d’argent
qui ferme la bouche"). Ce privilège comprenait également
le droit de n’avoir pas à verser son sang et celui
de n’avoir pas à porter les fers en cas de condamnation,
des liens de fibres végétales étant alors
substitués aux fers. Concédé de façon
héréditaire dans la période ancienne, il
ne le fut plus que de façon individuelle et viagère
au XIXe siècle.
2. Tsy hanim-bodihena. Le vodihena est un droit d’abattage
qui consiste en la remise au roi ou à son représentant
de la moitié droite de l’arrière train de
chaque bœuf abattu. Ralambo ayant affirmé et fait
reconnaître son droit souverain sur les troupeaux de zébus
et ayant exigé d’être celui à qui était
remis le vodihena en cas de sacrifice d’un animal, c’est
donc un abandon de souveraineté important. Rappelons aussi
que, dans les troupeaux des particuliers, tout zébu ayant
la robe du volavita appartenait de droit au roi. Le propriétaire
du troupeau ne l’était pas des volavita, il n’en
était que le dépositaire, mpamerin-doha disait-on.
3. Tsy atao menakely. Les bénéficiaires de ce privilège
résidaient dans le menabe et relevaient donc immédiatement
du roi. De ce fait, leurs terres ne pouvaient être incluses
dans un territoire remis à un seigneur tompomenakely.
Il faut réaffirmer la nécessité de poursuivre
la révision du "problème vazimba" en dirigeant
un regard neuf sur les sources premières. Le tantaran
Ranoro dont l’authenticité est assurée, en
offrait l’occasion. Opérée au profit des rois
de la période suivante dont elle devait, et devrait encore
pour beaucoup de nos contemporains, assurer la légitimité
et fonder la supériorité, l’historiographie
des Vazimba est celle d’une dépossession progressive
et totale qui atteint aussi bien le domaine des activités
matérielles que celui des institutions politiques. La société
merina dirigée par l’aristocratie andriana ne rompt
pas, au tournant du seizième siècle, avec un passé
qui aurait été celui d’une société
"vazimba" archaïque, car la continuité des
institutions ne laisse pas la moindre possibilité d’imaginer
un changement fondamental de l’organisation sociale et politique
des groupes aristocratiques, et encore moins de vérifier
l’installation d’un nouvel ordre par des conquérants
étranger. Les " Vazimba " furent écartés
progressivement du groupe permettant l’accès au pouvoir
suprême et aux charges politiques importantes, leurs descendants
antehiroka perdirent peu à peu leur statut andriana pour
se fondre dans le groupe roturier.
Que le culte de Ranoro se soit conservé jusqu’à
ce jour, n’a rien d’étonnant. Même si
la royauté avait interdit la louange, donc le culte, accordée
à ses ancêtres, le peuple, quant à lui, a
continué à respecter et honorer les esprits de ceux
des grands ancêtres princiers et royaux qui, suivant ses
croyances, lui avaient assuré protection et bénédiction
dans le passé. Le doany de Ranoro n’est pas le seul
à être toujours fréquenté jusqu’à
ce jour. Grands rois et princes de l’époque antérieure
au XVIe siècle, les très connus comme Ramaitsoakanjo
et Andrianony masindehibe ou les moins connus comme Ratsobolo
continuent à attirer des fidèles.
Ainsi les Vazimba d’Imerina, dont l’histoire reste
à écrire complètement, nous apparaissent-ils
déjà très différents de ce que l’on
exposait à partir d’une pseudo-argumentation ethnographique
projetée dans le passé pour reconstruire l’histoire
soit, version andriana, pour valoriser la dynastie d’Andriamanelo
qui aurait sorti la terre de son chaos primordial, soit, version
coloniale, pour déprécier le passé et l’homme
malgaches et justifier un prétendu programme civilisateur.
Le moment est en tout cas venu pour l’histoire de l’Imerina
de cesser de recourir sans précaution à ces modèles
habituels d’explication, et de revenir aux sources et aux
textes de la tradition orale pour les soumettre à une lecture
plus attentive, plus prudente et tout à la fois plus intime.
Jean-Pierre Domenichini
du sommet de Ambohitriniarivo
on aperçoit la colline sacrée: Ambohipoloalina