Radama I° vu par un Français
Dans une lettre écrite à Nantes, le 24 avril 1828, Joseph
Duhautcilly, capitaine de la marine marchande française,
trace un portrait moral de Radama, de ses sentiments, de sa puissance.
"Sa puissance dans ce pays (Madagascar), dit-il, devient
de jour en jour plus formidable et on pourrait même dire
que, sauf quelques révoltes de peu d'importance, il en
est aujourd'hui le maître absolu. 25 000 hommes de troupes,
organisées et enrégimentées à l'européenne,
doivent le maintenir dans cette position".
Joseph Duhautcilly cite le cas de Rabedoka, chef de la région
de Vangaindrano. "Ayant élevé l'étendard
de la révolte et ayant entraîné plusieurs
de ses voisins dans son parti, 15 000 hommes ont reçu l'ordre
de marcher contre lui. Et on savait à mon départ
de Bourbon (1826) que ce chef avait payé de sa tête,
après quelques succès partagés, son insurrection
et que ses troupes dispersées étaient sous la puissance
du roi de Madagascar". Selon Guillaume Grandidier, l'armée
de Radama est commandée par Brady et Rabedoka est tué
non loin de Tolagnaro.
L'auteur de la lettre signale aussi que de grandes actions annoncent
"d'une manière sensible" que Radama, "doué
d'une très heureuse organisation, fait marcher avec rapidité
ce pays vers une civilisation qui méritera prochainement
d'attirer les regards de l'Europe".
A cette époque, une dizaine de missionnaires et d'artisans
britanniques ont déjà monté plusieurs collèges
en Emyrne. Les Malgaches, "doués de beaucoup de moyens
naturels, sont susceptibles d'instruction". Mais Joseph Duhautcilly
ne rate pas l'occasion de lancer une pique aux Anglais : "Les
missionnaires se livrent à d'autres soins qui démontrent
qu'ils sont là pour faire plutôt des prosélytes
de la puissance anglaise que de leur secte". Et de préciser
: "Radama le sent bien, aussi les surveille-t-il avec soin
et les a-t-il déjà plusieurs fois menacés
de les chasser, s'ils sortent des réglements qu'il a établis
dans ces collèges".
D'après Jean Valette, cette notion de maintenir les missionnaires
dans leur rôle d'enseignants, se retrouve à plusieurs
reprises dans les écrits de Radama.
Joseph Duhautcilly précise que le roi de Madagascar est
"beaucoup au-dessus de l'idée" qu'on s'en fait
en Europe et même dans les deux îles voisines. Concernant
les "possessions françaises" dans la Grande île,
il affirme que Radama ne nie pas que la France peut prétendre
à celles qu'elle a eues autrefois dans un pays que lui-même
"considère aujourd'hui comme sa propriété".
Toutefois, son entretien avec Radama en 1827 lui fait comprendre
qu'il est impossible que la France songe sérieusement à
s'en ressaisir. "En reconnaissant sa souveraineté
sur toute l'île de Madagascar, la France obtiendrait de
lui un traité de commerce qui serait plus avantageux que
le vain titre, dont on pare encore les gouverneurs de Bourbon.
Ce ne serait d'ailleurs que de vive force qu'on pourrait lui arracher
les possessions, dont il ne nous a dépouillé que
lorsque nous les lui avions à peu près abandonnées.
Et si ses troupes doivent être considérées
comme peu de chose, opposées à des soldats français,
on ne doit pas oublier du moins que l'insalubrité du pays
est un ennemi formidable, dont la valeur ne triomphe pas".
Durant son entretien avec le roi de Madagascar, Joseph Duhautcilly
remarque que l'éducation reçue en Europe par le
prince Berora- neveu de Jean René, amené en France
par Sylvain Roux pour y être élevé, mais mourra
à Paris en 1831- ne plaît pas à Radama. "Au
lieu de lui laisser le gouvernement de Toamasina et de la province
de Betsimisaraka qui lui revient de droit par naissance, il fera
son possible pour l'attirer près de lui, à Tananarive,
en l'y comblant de faveurs. Il éludera par là le
danger de le laisser à la tête d'une province importante
et éloignée, et en retirera encore l'avantage de
profiter lui-même de ses connaissances".
Journal l'Express : Pela Ravalitera |