Les Tabous des Idoles royales
Avant l'adoption de la religion chrétienne (le protestantisme)
par les plus hauts dignitaires de l'Etat (la reine Ranavalona
II et son époux Rainilaiarivony, Premier Ministre et Commander
in Chief, tous les souverains, pour gouverner, faisaient appel
à l'astrologie (répandue par les Antemoro), aux
idoles, et à l'épreuve du tanguin.
Les idoles étaient des représentations de FORCES
DIVINES, et la première idole connue fut celle dénommée
"RAKELIMALAZA", car déjà le roi Ralambo
lui faisait confiance, ainsi que son fils Andrianjaka et ses descendants
Andriamasinavalona, Andrianampoinimerina et Rabodonandriampoinimerina,
alias Ranavalona I
Andrianampoinimerina avait choisi, après avoir testé leur
"efficacité" et leur "sainteté", douze
idoles sacrées, laissant les autres au peuple et ces idoles royales
furent placées sous la surveillance de gardiens, au pouvoir plus
ou moins étendu, suivant le souverain régnant.
Après "Rakelimalaz", il y avait par ordre d'importance
les idoles nommées RAMAHAVALY, RAFANTAKA, MANJAKATSIROA, RABEHAZA,
RATSIMAHALAHY, RAMASOANDRO, RAMANJAIBOLA, RAFARORATRA, RATSIMITAKO, RAHODIBATO,
RABEFARAVOLO.
Chacune de ces idoles avait sa spécialité et elles devaient
figurer dans la suite royale à chaque déplacement du souverain.
Du fait de ce rôle important qu'elles assumaient, ces idoles étaient
entourées de toutes sortes de TABOUS qu'il fallait observer, et
sur lesquels veillaient leurs gardiens, jour et nuit, mais aussi le peuple,
du fait de ce rôle de protection que ces idoles jouaient sur la
personne royale. Chaque idole avait ses tabous particuliers.
Ainsi, pour la reine des idoles, Rakelimalaza, les gardiens interdirent
le porc, la chèvre, les escargots, le sel extrait du jonc de la
passion. Ces produits ne devaient jamais pénétrer dans le
village où l'on gardait l'idole.
Certaines variétés d'arbustes aussi furent frappées
par le même interdit. De même, les gardiens de cette idole
ne pouvaient pas élever des animaux à poil ou à plumage
noir, les boeufs ou autres animaux sans cornes.
D'autres produits ne devaient pas être consommés par les
gardiens de cette idole: les anguilles, certaines brèdes, les viandes
provenant des animaux abattus lors d'un décès. Ces gardiens
devaient mener une vie particulière, car ils ne pouvaient pas pénétrer
dans un maison où il y avait un décès, même
s'il s'agissait de leurs propres familles. Ils ne pouvaient pas non plus
porter de chapeau, ni travailler aux champs le samedi. Il était
interdit aussi de détruire les nids d'oiseau appelé "takatra",
genre d'ombrette, car l'idole Rakelimalaza l'aurait adopté comme
ami, et ce fut la raison pour laquelle les boeufs abattus pour cette idole
devaient être de couleur brunâtre comme cet oiseau.
Même si ces idoles étaient INVISIBLES, elles étaient
tout de même représentées par des colliers de perles,
des bouts de bois, enveloppés dans un "lamba" (tissu)
en soie de couleur rouge. Et quand ces étoffes étaient usées,
il fallait les remplacer par des neuves. La fabrication de ces étoffes
fut un travail spécial car il fallait tout terminer dans la même
journée: l'extraction des fibres des cocons, le lavage, le filage,
la teinture, le tissage, l'assemblage, et durant ces heures laborieuses,
les différents artisans avaient à peine le temps de penser
à autre chose.
La plupart des tabous cités étaient aussi observés
pour toutes les idoles existant à cette époque jusqu'à
leur destruction par la reine RANAVALONA II en 1869, quand elle
eut adopté la religion protestante.
Construction d’identité et relations de dépendance
: descendants d’anciens maîtres et descendants d’anciens
« esclaves » en Imerina
Lolona N. Razafindralambo, Chercheur associé à l’ICMAA,
Université d’Antananarivo ; chargée de cours
au Département de Civilisations, nlrazafi@malagasy.com
Date de publication : 28 septembre 2005
Résumé
Avant la proclamation du décret d’abolition de l’esclavage
du 27 septembre 1896, les anciens andevo ont occupé une
position en dehors de la société. Ils n’ont
eu ni ancêtres, ni tombeau ni patrimoine ancestral, et particulièrement
les terres, bien qu’ils aient pu posséder des biens.
Actuellement, leurs descendants, afin d’échapper
au statut d’étranger, vahiny, (par opposition à
celui d’originaire, tompon-tanindrazana, « maître
de la terre »), les descendants des anciens andevo s’attellent
à construire une identité, selon la définition
de celle des anciens maîtres. Ainsi ils établissent
des relations de parenté. La construction de tombeau et
les rituels d’ancestralisation qui y ont lieu instituent
leurs morts en ancêtres et consacrent les groupes de descendance.
L’affiliation aux églises chrétiennes comme
l’ont été les désormais ancêtres
participe et renforce cette identité. Cependant, cette
identité d’originaires ne donne pas aux descendants
des anciens andevo un statut égal à celui des descendants
des anciens maîtres qui essaient de conserver ainsi leur
ancienne suprématie.
Table des matières
I. De nouvelles catégories
sociales
II. Représentations
liées aux différentes catégories sociales
III. La parenté
comme élément de l’identité
Les groupes liés au
territoire
Les groupes de
descendance attachés au tombeau
Les groupes locaux
: alliances et résidence
IV. Acquisition
du statut de tompon-tanindrazan
V. Déterminant économique
VI. Citoyens, chrétiens : Au-delà
des identités traditionnelles ?
Conclusion
Texte intégral
Au matin du 27 septembre 1896, les habitants d’Antananarivo
voient sur les murs de la ville placardé un arrêté
proclamant l’abolition de l’esclavage. Ainsi l’a
décidé le Résident Général
Laroche, désireux d’attacher son nom à une
mesure historique, juste avant d’être relevé
de ses fonctions. Le Ministre des Affaires Étrangères
ainsi que les Ministres des Colonies ont préconisé
une émancipation progressive, position non suivie cependant
par la Chambre des Députés qui décide une
émancipation immédiate. L’ordre est donc donné
le 23 juin au Résident Général d’exécuter
la décision.
L’article 5 de l’arrêté permet aux anciens
andevo de demeurer auprès de leur ancien maître s’il
y a consentement réciproque. Trois possibilités
se sont ainsi présentées aux anciens andevo désormais
libres : 1) rentrer dans leur région d’origine, ce
qui a concerné surtout les originaires du Betsileo (Rantoandro)
2) partir dans de nouveaux territoires ou 3) rester dans les villages
des anciens maîtres.
Les anciens andevo qui ont opté pour cette dernière
possibilité, la majorité ont continué à
avoir face à eux les anciens dominants constitués
en groupes. Les groupes sont des groupes endogames dont les membres
partagent le même territoire et sont liés par des
liens de parenté (proches ou éloignés, fictifs
ou réels) parce que se réclamant du même ancêtre.
L’identité de ces groupes est centrée sur
les tombeaux et les terres sur lesquelles ceux-ci ont été
construits, terres transmises et héritées des ancêtres,
eux-mêmes rassemblés dans les tombeaux. Du fait de
leur provenance disparate, de la nature principalement domestique
de leurs attributions, les andevo n’ont pas été
en mesure de former des groupes sociaux homogènes mais
d’ensembles hétérogènes centrés
sur la maison du maître, la non-reconnaissance de leur mariage
ne permettant pas la formation d’unités familiales
stables. Réputés sans ancêtres, n’ayant
pas pu recevoir de terres en héritage, le triptyque identitaire
ancêtres-tombeau-terres, ou plutôt son absence, n’a
pas joué en faveur du nouveau statut d’émancipés
de ces anciens andevo. La question de l’identité
est donc centrale dans la détermination de la place des
descendants des anciens andevo, ou ceux qui sont considérés
comme tels par la communauté au sein de laquelle ils vivent,
dans la société merina actuelle et dans leurs relations
avec les descendants des anciens maîtres. De cette question
découle une autre, tout aussi fondamentale, relative à
la détermination de leur statut. Ce qui équivaut
à analyser l’identité de chacune de ces deux
catégories sociales.
Les matériaux utilisés ici sont constitués
principalement par des données ethnographiques récoltées
lors d’enquêtes de terrain, particulièrement
dans le sud de l’Imerina, dans la région d’Ambohitrandriamananitra
(village d’Amboditany). Comme il est d’usage, les
noms des lieux où le terrain a été effectué
ont été changés afin de préserver
l’anonymat des habitants, certaines informations ayant été
délivrées sous le sceau de la confidentialité.
I. De nouvelles catégories sociales
Dans l’ancienne société d’Imerina, l’ancienne
hiérarchie sociale a été déterminée
par la position de chaque groupe par rapport au souverain. Les
groupes les plus élevés sont ceux qui sont les plus
proches de lui sur le plan généalogique, les plus
bas sont les andevo. Cette hiérarchie tient plus du symbolique,
et se présente sous la forme de privilèges rituels,
que de la réalité du pouvoir.
Ce qui a été qualifié de « système
de castes » par l’administration coloniale a été
légalement aboli par l’arrêté de 1896,
mais les termes qui lui sont relatifs continuent à être
utilisés. À première vue, le système
semble être figé : les descendants d’andriana
et de hova continuent d’être considérés
comme andriana et hova ; les descendants d’andevo sont toujours
désignés comme andevo. Alors que l’ancien
rituel d’affranchissement, dont l’achèvement
est la remise symbolique du hasina, consacre le statut de sujet-citoyen
des nouveaux affranchis, lesquels quittent l’état
et la condition d’esclaves à commencer par l’appellation
andevo, l’émancipation par arrêté n’a
donc pas produit les mêmes effets, du moins sur le plan
symbolique. Cependant, bien que les anciennes catégories
sociales définies sous la royauté aient été
supprimées par arrêté, le pouvoir colonial
a continué de s’y référer.
Actuellement, la société merina est structurée
en deux catégories sociales : fotsy ( blancs) ou olom-potsy,
par opposition aux mainty (noirs) ou olo-mainty, ces derniers
regroupant désormais sous la même dénomination
les descendants d’anciens mainty et les descendants d’anciens
andevo. Mainty (libres) et andevo n’ont pourtant appartenu
ni aux mêmes groupes ni à la même catégorie
sociale. L’amalgame entre les deux groupes est amorcé
dès l’époque royale, pour aboutir à
la confusion actuelle. C’est le résultat d’un
processus historique favorisé par la réorganisation
de tous les groupes sociaux par le roi Andrianampoinimerina, c’est-à-dire
dès la fin du 18e siècle. Tout d’abord, les
mainty, catégorie libre, ont subi un rabaissement statutaire
par la constitution de la catégorie des Mainty enin-dreny
qui regroupent tous les groupes mainty (Manisotra, Manendy et
Tsiarondahy), les deux premiers perdent ainsi leur fonction guerrière,
mais également leur situation privilégiée
de proches du souverain. Sous ce règne, seul le groupe
des Tsiarondahy, devenus les seuls proches du souverain, est en
permanence sous les armes, mais ceux-ci disparaissent à
leur tour de l’entourage des souverains suivants et des
cadres de l’armée. Ce rabaissement statutaire s’effectue
au profit des hova qui ont aidé le roi Andrianampoinimerina
à prendre le pouvoir et l’ont par la suite confisqué.
Parallèlement à ce rabaissement des statuts des
mainty, une politique d’amalgame a été mise
en œuvre et a consisté à agréger à
certains groupes mainty les prisonniers de guerre et les condamnés
en justice, mais aussi les affranchis qui ne sont ni anciens andriana
ni anciens hova, ou qui ont été refusés par
leur groupe d’origine (Domenichini-Ramiaramanana & Domenichini).
L’incorporation parmi les mainty des Mozambiques affranchis
par décret royal en 1877, achève de fixer dans les
esprits l’identification mainty-andevo.
II. Représentations liées aux différentes
catégories sociales
Dans le village d’Amboditany, l’ensemble de la population
est divisé en mainty et fotsy. À cette division
correspondent des représentations mais également
des comportements. Il en est ainsi des stéréotypes
physiques dont les habitants de l’Imerina usent pour distinguer
les descendants d’anciens andevo des descendants d’anciens
maîtres. Les mainty, noirs, seraient de type africain, c’est-à-dire
de peau noire et les cheveux crépus, par opposition aux
fotsy, « blancs », de teint clair et les cheveux lisses.
La représentation du non-libre malgache comme d’origine
africaine est partagée par tous les fotsy pour lesquels
ce procédé semble nécessaire pour ne pas
être confondus avec les mainty, les barrières légales
entre catégories sociales n’existant plus. De leur
côté, les mainty semblent également avoir
adopté cette représentation. Celle-ci passe sous
silence ou ignore que des libres de l’Imerina ont pu devenir
andevo. Les stéréotypes physiques sont accompagnés
de stéréotypes d’ordre moral. Pour les fotsy,
le terme andevo est inséparable de tel ou tel trait psychologique
négatif des mainty, comme si ce terme mainty porte dans
sa signification même la nature supposée des andevo
: la paresse, l’absence du sens de la propreté, l’ivrognerie,
le mauvais esprit (manao lohan’andevo), le manque d’instruction,
… Et surtout la pratique de la sorcellerie qui inclut ce
qui est désigné comme fanompoan-tsampy ( idolâtrie).
Seuls ceux qui agissent comme les fotsy méritent la considération
( manaraka ny fomban’ny fotsy : qui suivent les manières
des fotsy) : c’est-à-dire qui ne boivent pas (ou
peut-être qui ne se donnent pas en spectacle lorsqu’ils
ont bu), qui sont polis et conciliants, qui viennent au temple
le dimanche, qui sont travailleurs, … En un mot, ceux qui
ont acquis les caractères des fotsy. Cependant, on peut
agir comme un fotsy mais on ne peut le devenir.
De leur côté, les mainty n’expriment pas de
manière explicite ce qu’ils pensent des fotsy. Cependant,
ils ont intériorisé le discours que les fotsy formulent
à leur endroit et prennent à leur compte les traits
que ces derniers leur attribuent.
Les termes relevant du registre des anciennes catégories
sociales continuent ainsi d’être utilisés :
hova ou andriana pour les fotsy, andevo ou mpanompo pour les mainty.
Le terme « mpanompo » est utilisé par les mainty
pour éviter « andevo » jugé insultant.
Ceux-ci se disent andevo dans les situations de conflit ouvert
avec les fotsy : « vous autres les andriana, nous les andevo
». Néanmoins, mainty et fotsy sont dotés de
significations différentes : couleur sociale autrefois,
liés à la notion de « race » actuellement
(caractéristiques physiques). La séparation entre
mainty et fotsy se situe déjà au niveau du discours
: les termes de parenté adressés aux personnes âgées
en signe de respect ne sont pas utilisés entre fotsy et
mainty. Par exemple, telle vieille dame est Nenifara (mère-Fara)
pour les mainty. Par contre, les fotsy s’adressent à
elle par son nom Rafara. D’autre part, diverses expressions
en usage parmi les fotsy visent à les démarquer
des mainty : « ces mainty », « ces gens-là
», « ceux d’en haut » Eux-mêmes
se désignent comme « nous du Nord ». La division
est ainsi inscrite dans l’espace, dans la division en quartiers
du village : à chaque catégorie, un quartier. Les
fotsy sont au Nord, les mainty au Sud (Fig.1).
Fig. 1 : le village d’Amboditany
Les termes neutres pour les mainty aussi bien que les fotsy,
pour se référer aux uns et aux autres, sont ceux
qui sont relatifs aux quartiers : « Nord » ou «
Sud ». Il est à remarquer que le hameau, d’établissement
récent, n’est pas considéré comme un
quartier à part, et, de ce fait, n’est pas attribué
à l’une ou l’autre catégorie.
Mais à chaque catégorie, son lieu d’origine
également, c’est-à-dire le lieu où
se trouve le tombeau auquel on se réfère. Les fotsy
sont de l’ancienne colline d’Ambohitrandriamanitra,
les mainty d’Amboditany. Les toponymes reflètent
déjà une hiérarchie au niveau symbolique
: les hauteurs (vohitra) pour les descendants des anciens andriana,
le bas de la colline (voditany) pour les mainty.
Des fotsy sont d’Amboditany également (ou des villages
alentour), mais ils mettent en avant leurs liens avec ceux d’Ambohitrandriamanitra.
Cette ancienne cité, dont la place dans l’histoire
de l’Imerina est évoquée constamment, reste
donc source de prestige, comme l’est le fait d’être
lié à ceux qui en sont originaires (Fig.2).
Fig. 2: Vue générale de la région d’Ambohitrandriamanitra
III. La parenté comme élément de l’identité
Les groupes liés au territoire
Une des principales mesures prises par le pouvoir royal, lorsque
l’Imerina a été réunifié à
la fin du 18e siècle, a été de fixer les
différents groupes, entre lesquels la population a été
répartie, au sein de territoires délimités,
et de les classer selon un ordre hiérarchique. La territorialisation
de ces groupes ne s’est pas faite de manière arbitraire
: pour la plupart, leur installation sur un territoire déterminé
remonte à l’ancêtre éponyme du groupe
dont les descendants constituent les membres. De cette réorganisation,
qui n’a concerné que la population libre, en a résulté
le fait que chaque groupe a été identifié
à une subdivision territoriale.
Le groupe lié au territoire est la catégorie de
parenté la plus inclusive dans laquelle les membres reconnaissent
être liés entre eux parce qu’ils descendent
d’un même ancêtre lointain à l’origine
du groupe, avec lequel le lien n’est cependant pas précisément
défini, résident sur le même territoire et
possèdent des terres en commun :
Les anciens andriana et hova qui ont habité la région
d’Ambohitrandriamanitra ont appartenu à ces groupes.
Les andriana Andrianamboninolona de la région sont un sous-groupe
d’un ensemble plus vaste. Des Andriandranando sont également
établis dans cette région et forment un fragment
de leur groupe d’origine. Il en va de même des hova
qui ont été déplacés dans la région
d’Ambohitrandriamanitra et constituent des sous-groupes
de groupes appartenant aux ensembles Tsimahafotsy et Tsimiamboholahy
originaires également du nord de l’Imerina, du district
de l’Avaradrano.
Faisant partie des Andrianamboninolona, les descendants des anciens
andriana se considèrent les descendants du grand-ancêtre
Andrianamboninolona bien qu’aucun d’entre eux ne puisse
retracer des liens généalogiques jusqu’à
lui. Le partage du territoire est attesté, non plus par
la résidence commune, mais par la présence de leur
tombeau autour de celui de cet ancêtre, sur l’ancien
territoire du groupe. Bien que les membres du sous-groupe ne se
considèrent pas directement parents les uns avec les autres,
il y a cependant l’idée du partage d’une même
substance, notamment parce que tous se réclament du même
grand-ancêtre et leurs tombeaux se trouvent proches les
uns des autres sur le sommet de la colline, en quelque sorte une
commune résidence des morts (par opposition à ceux
qui n’y sont pas). La localisation des tombeaux des Andriandranando
peut être interprétée de cette manière,
de même que ceux des hova, bien que ces deux derniers groupes
de la population, à la différence des Andrianamboninolona,
soient des populations déplacées qui ne peuvent
justifier de leur présence dans la région par un
rattachement à un grand-ancêtre qui y est enterré.
Quelques jeunes hova déclarent qu’ils sont des andriana
d’Ambohitrandriamanitra. Cela montre, d’une part,
le prestige attaché au fait d’être originaire
de l’ancien village auquel ceux qui ne le sont pas veulent
être rattachés d’une manière ou d’une
autre, et témoigne d’autre part de la disparition
des traditions des hova établis dans la région.
Le groupe lié au territoire en tant que catégorie
de parents, n’intéresse que les fotsy qui continuent
à revendiquer leur appartenance à l’ancien
groupe. Celui-ci fonctionne sous une autre forme : l’association
de descendants. Le recrutement de l’association est différent
de celui de l’ancien groupe, puisque les membres ne détiennent
plus en commun la propriété d’un territoire,
et aucune règle de mariage à l’intérieur
de l’association (si ce n’est une préférence
entre descendants d’anciens andriana). Le seul critère
déterminant est le fait d’avoir un tombeau sur le
territoire de l’ancien groupe, et avoir des ancêtres
qui ont fait partie du groupe, c’est-à-dire descendre
du grand-ancêtre Andrianamboninolona. Cette association
est essentiellement urbaine et concerne peu les andriana de la
région d’Ambohitrandriamanitra qui y vivent encore.
L’évolution de la société merina,
notamment de la région d’Ambohitrandriamanitra, pose
la question de la nature actuelle de ces groupes. Leur caractère
discret déterminé par la propriété
collective des terres n’est plus opérant. La mise
en cadastre des terres a consacré la propriété
individuelle ou au niveau de groupes de descendants. Quant au
caractère endogame du groupe, dont le principal motif est
le maintien de l’intégrité du patrimoine (et
également du statut), l’individualisation de la propriété
ainsi que la dispersion des membres de l’ancien groupe ne
favorisent pas l’application de cette ancienne règle
et ne le nécessitent plus.
Les groupes de descendance attachés au tombeau
Alors que les membres du groupe ne peuvent reconstituer généalogiquement
les liens qui les rattachent à l’ancêtre éponyme
du groupe, et ne peuvent proclamer la parenté entre eux,
les groupements teraka (« descendants de ») regroupent
différentes catégories de parents qui peuvent prévaloir
descendre d’un même ancêtre. Selon les auteurs
et les régions, les groupements teraka semblent recouvrir
différentes réalités sociologiques : tantôt,
ils sont assimilés aux parentèles : « un individu
appartient à deux "stocks" (teraky), constitués
par tous les descendants en ligne directe de deux couples de grand-parents
» (Vogel), tantôt, ils désignent des lignes
localisées, « ordonnées à partir des
germains de la génération des parents, suivie de
leurs enfants et petits-enfants » (Ottino). Alors que, d’après
cette dernière définition, le teraka est déterminé
par la résidence des parents, vivants, dont il porte les
noms, la première fait du teraka un groupement de descendance
et de patrimoine, « tous les membres d’un même
teraka se reconnaissent comme descendants et ayants-droit d’un
couple de fondateurs » (Vogel).
Le tombeau est le point d’ancrage des teraka qui se définissent
par rapport à lui : l’ancêtre référence
du teraka doit être enterré dans le tombeau auquel
le teraka proclame l’appartenance. La mémoire généalogique
n’excède pas G+321. Au fur et à mesure, de
nouveaux teraka se créent et les anciens tendent à
disparaître (Fig.3). La mémoire
généalogique suit cette évolution : les ancêtres
des anciens teraka tendent également à être
oubliés. Cette segmentation est conclue par la construction
éventuelle d’un nouveau tombeau. Être membre
d’un teraka donne le droit d’être enterré
dans le tombeau auquel appartient le teraka. Même si tous
les membres ne seront pas enterrés dans le même tombeau,
ils restent membres du teraka. On est membre du (ou des) teraka
auquel est affilié son père, mais également
de celui auquel appartient sa mère. Et l’on est membre
d’un teraka aussi bien par les femmes que par les hommes.
Ce recrutement cognatique des teraka est contrebalancé
par une tendance patrilinéaire qui se retrouve dans la
composition des tombeaux (ceux qui y sont réellement enterrés).
P.Ottino avance que les teraka mainty relèvent de l’utrolatéralité
plus qu’ils ne sont cognatiques (Ottino). Ce qui peut être
exact pour les mariages totalement exogamiques, c’est-à-dire
dont le conjoint est non-originaire. La résidence détermine
alors l’appartenance.
Bien que tous les membres d’un teraka aient les mêmes
droits en ce qui concerne le tombeau, on peut observer généralement
que les hommes sont enterrés dans le tombeau du teraka
de leur père (du père de leur père) tandis
que les femmes suivent leurs maris. Néanmoins, à
l’exception des tombeaux régis par des règles
particulières, le lieu où une personne est enterrée
dépend du choix qu’elle fait. Mais en l’absence
d’une préférence, l’homme suit son appartenance
au teraka de son père, tandis que la femme suit le teraka
auquel appartient son mari (sans toutefois en faire expressément
partie). Ce choix résulte de plusieurs motivations. Pour
des raisons de statut, une personne peut choisir le tombeau auquel
plus de prestige est attaché (par exemple, choix du tombeau
andriana du père au détriment de celui hova du mari).
Il semble que pour les descendants issus de mariages fotsy-mainty,
ce sont les tombeaux qui déterminent leur statut. Le choix
du tombeau peut également résulter d’une affection
ou d’un lien particulier avec un des teraka auxquels une
personne appartient. Cela concerne généralement
les petits-enfants élevés par leurs grands-parents
maternels. Le choix peut être fait pour des raisons de convenance
: on est enterré là où l’accès
est plus aisé. L’entrée à un tombeau
ne peut être interdite à aucun membre du teraka.
La règle pour les conjoints est évidemment différente.
Leur accès au tombeau peut faire l’objet d’un
rejet pour différentes raisons. Celle qui paraît
la plus fréquente est liée à la différence
de catégories sociales. Cela concerne aussi bien les mariages
entre hova et andriana qu’entre mainty et fotsy. Dans notre
région, les enfants issus de ces unions, lorsqu’ils
sont reconnus (non hors mariage), ne semblent pas suivre l’exclusion
de leur parent.
Des personnes non-membres du teraka partagent quelquefois le
même tombeau. Il peut s’agir de familles qui y achètent
ou louent un emplacement, ou des gendres enterrés dans
le tombeau de leurs épouses (du père de celles-ci).
Ces derniers sont tous des non-originaires. Ce sont les teraka,
et leur chef (et responsable du tombeau), qui donnent l’autorisation
à des non-membres d’être enterrés dans
leur tombeau. La tendance patrilinéaire des teraka peut
s’observer également dans la transmission de cette
charge de responsable : elle passe souvent de père en fils
(le fils aîné en général), mais en
tout cas toujours en ligne masculine. L’âge est déterminant
pour assumer cette responsabilité, mais le statut personnel
joue un rôle important également.
Fig. 3 : Exemples de teraka
La différence la plus visible entre teraka fotsy et teraka
mainty est l’ancienneté des tombeaux auxquels sont
liés les teraka fotsy (andriana ou hova), tandis que pour
les teraka mainty, ils ont été plus récemment
construits. Ce qui contribue à la revendication d’une
implantation plus ancienne des premiers. Bien que les fotsy construisent
également de nouveaux tombeaux, ils peuvent encore se référer
à l’ancien, ne serait-ce que parce qu’ils sont
parents avec les autres teraka qui y sont restés attachés.
Tandis que pour les mainty, tout commence désormais par
le nouveau tombeau. Les parents à l’origine de leurs
teraka ont auparavant été enterrés dans une
tombe, abandonnée une fois que leurs descendants ont construit
un nouveau tombeau. La tombe est différente du tombeau
à tous les points de vue. Tout d’abord, dans l’aspect
extérieur : la tombe est une construction peu visible,
surmontée d’un tumulus plus ou moins élevé
selon les cas. Le tombeau, lui, est en pierre. Aussi bien pour
les fotsy que pour les mainty, les tombes signifient amoncellement
sans aucun ordre des corps, alors que dans le tombeau, chaque
corps est placé sur un lit en pierre. Mais plus important,
la tombe, par son côté provisoire, ne peut être
le symbole d’un groupement de descendants, alors que le
tombeau, symbole de permanence et de flux continu liant les ancêtres
et leurs descendants, donne naissance aux teraka.
Comme les adidy (obligations, charges et devoirs) sont inséparables
de l’existence du teraka, lorsqu’une branche s’estime
pouvoir les supporter seule, elle se segmente pour se constituer
en nouveau teraka (avec, éventuellement, la construction
d’un nouveau tombeau). La succession des teraka se fait
plus rapidement, et plus systématiquement, parmi les fotsy,
alors qu’elle est plus lente parmi les mainty (Fig.3).Des
teraka fotsy qui ont pour référence la génération
G+2 (par rapport à Ego) commencent à être
remplacés par de nouveaux teraka en G+1. De leur côté,
les teraka mainty continuent de revendiquer leur attachement à
leurs plus anciens ancêtres. En ce point réside une
des plus importantes différences entre mainty et fotsy.
Le plus ancien ancêtre est, pour les mainty, une marque
de l’appartenance à un territoire. Mais le teraka
sous cette forme constitue également la plus grande extension
de parents : il permet de poser la distinction fondamentale entre
les non-parents et les parents, ceux-ci étant, parce que
membres du même teraka, des proches parents. Les fotsy obéissent
à une autre logique : pour eux, l’affiliation à
un teraka équivaut à reproduire le statut des ancêtres,
le statut d’anciens dominants. Ce qui se rapproche de la
notion d’anaran-dray (litt. « nom-du-père »),
« un principe technique patrilinéaire de filiation
et de succession aux charges, aux honneurs et aux responsabilités,
indissociable de l’héritage aux biens ouvrant l’accès
aux terres ancestrales » (Ottino), qu’on retrouve
dans les études sur les fotsy dans d’autres régions
de l’Imerina.
Les groupes locaux : alliances et résidence
Le critère de résidence permet de déterminer
des ensembles discrets à l’intérieur du teraka
: c’est le groupe familial local. Les membres du groupe
local sont constitués de « trois générations
dernières subdivisions des subdivisions précédentes
» (Ottino), c’est-à-dire dernières subdivisions
des teraka, et issus de parents vivants au niveau desquels le
dernier partage du patrimoine s’est effectué. Le
groupe local est celui au sein duquel les droits sur cette portion
du patrimoine sont effectivement exercés, par opposition
aux ayants droit membres non-résidents du teraka. La résidence
est donc le principal critère de constitution de ces groupes.
Comme un individu appartient généralement à
plus d’un teraka, le choix de la résidence équivaut
à réclamer des droits sur les biens appartenant
au teraka lié à ce lieu, et parallèlement
choisir de ne pas exercer les droits sur ce qui appartient aux
autres teraka, bien que, théoriquement, ces droits subsistent
(Vogel). Les membres des teraka restés au tanindrazana,
c’est-à-dire les membres des groupes locaux, sont
considérés comme mamelo-maso (litt. « faire-vivre-les-yeux
») : ils perpétuent le lien du groupe teraka avec
le tanindrazana.
Fig. 4 : Exemples de groupe local
Les groupes locaux mainty correspondent, à quelques membres
près, à leurs teraka, ce qui n’est pas le
cas pour les fotsy pour lesquels les teraka sont plus étendus,
la plupart ayant quitté la région pour s’établir
ailleurs (Fig.4). Pour les mainty, les mariages
avec un conjoint non-originaire constituent une menace potentielle
pour les teraka dans la mesure où ce sont prioritairement
dans ces circonstances que les membres des teraka quittent leur
village d’origine. Ceux qui partent créent des liens
de parenté (affinité) avec les habitants de leur
village d’adoption et ne reviennent presque plus dans leur
village d’origine, rompant de fait avec leur teraka. En
revanche, ce type de mariage (et sa résidence hors du village)
est contrebalancé par les mariages entre originaires qui
lui doivent son existence (Fig.5).Le mariage
avec des conjoints étrangers permet au mariage entre originaires
d’avoir lieu en laissant des conjoints disponibles pour
ce type de mariage, c’est-à-dire des personnes n’appartenant
pas aux mêmes groupes de parenté, au même teraka.
Le mariage mainty étant strictement exogamique : il ne
peut avoir lieu entre membres d’un même teraka (Fig.5,
III). Le choix d’un conjoint non-originaire permet également,
en n’exerçant pas tous les droits sur le patrimoine
éventuel du teraka (ou des groupes qui le composent) d’équilibrer
l’usage de celui-ci, au profit de ceux qui restent au village.
Tous ces points visent à la reproduction, à la perpétuation,
des groupes locaux et par là, du teraka.
Pour les fotsy en revanche, les teraka ne se perpétuent
pas grâce à l’existence des groupes locaux,
qui eux-mêmes ne sont pas influencés par le type
de mariage entre co-originaires ou non, leur identité n’étant
pas déterminée par leur appartenance à un
teraka ou à un groupe local, c’est-à-dire
par leur place au sein d’un groupe de descendance, l’attachement
au tombeau est le signe de leur statut. Contrairement aux teraka
mainty qui sont, plus ou moins, identifiés à la
somme des groupes locaux qui les composent, les groupes locaux
fotsy ne sont qu’une fraction du teraka et, dans la plupart
des cas, ne résident pas là où est situé
leur tombeau. L’usage du patrimoine est laissé aux
membres des groupes locaux, cependant ceux qui partent continuent
d’accomplir leurs adidy en tant que membres du teraka (au
temple, vis-à-vis des co-originaires, au tombeau, etc).
Figure 5 : Exemples d’alliances
Bien que la définition des groupes locaux soit la même
pour les deux catégories sociales mainty-fotsy (deux générations
issues de parents vivants, possédant ou exerçant
en commun les droits sur un patrimoine, résidant sur un
même territoire), on peut voir ici deux conceptions différentes
du teraka. Pour les mainty, il est lié au territoire sur
lequel se trouve le tombeau, et se confond, donc, en partie, avec
les groupes locaux. Pour les fotsy, la résidence n’a
pas d’incidence sur l’appartenance au teraka : seule
la filiation à l’ancêtre à l’origine
du teraka compte. L’explication de cette différence
pourrait être l’absence d’une idéologie
de la descendance parmi les mainty :
Dans notre village d’Amboditany,
l’absence de règle préférentielle de
mariage parmi les fotsy conduit à un choix aléatoire,
à première vue, des conjoints. Pour les mainty,
une proportion importante de mariages suit le même mouvement
parallèlement à un choix dirigé vers des
conjoints de même origine, les deux étant étroitement
liés (Fig.5, II). Même s’ils
n’ont pas d’idéologie de la descendance, ces
mariages entre co-originaires peuvent favoriser la constitution
d’un large groupe endogame.
L’histoire particulière de chacune
des deux catégories fotsy et mainty détermine leurs
règles de parenté. Les premiers ont tout d’abord
été membres de groupes, groupements définis
par son endogamie et son inscription dans un territoire déterminé.
À un niveau inférieur, et à mesure que les
groupes s’affaiblissent, notamment lorsque les règles
qui les circonscrivent ne sont plus appliquées, les fotsy
sont attachés à des teraka qui sont parents entre
eux, parce qu’ils ont le même ancêtre et partagent
le même tombeau. Le choix des conjoints commence à
se diversifier selon des critères autres que ceux qui sont
définis traditionnellement (par exemple, l’endogamie
de statut). Les différents groupes de descendance ne sont
plus liés à leur lieu d’origine par leur résidence
mais par leur filiation à un ancêtre.
Les anciens andevo ont tout d’abord été répartis
en différentes maisonnées. La génération
qui est née au lendemain de l’abolition se tourne
vers l’extérieur du village pour choisir ses conjoints,
pour plusieurs raisons, notamment la diversification des alliances
et la peur de l’inceste. Dans les génération
suivantes, en revanche, bien que la diversification des alliances
continue, des alliances sont établies à l’intérieur
du village, transformant ainsi les voisins en alliés, puis
en parents. La nécessité de l’entraide peut
expliquer cette tendance, mais également la crainte de
la sorcellerie. Néanmoins, les unions exo-villageoises
permettent l’existence des mariages entre co-originaires,
garants de la perpétuation des teraka par leur présence
continue dans le village d’origine.
Deux traits essentiels distinguent donc la parenté fotsy
de la parenté mainty. La filiation définit la parenté
pour les fotsy, et l’alliance pour les mainty.
IV. Acquisition du statut de tompon-tanindrazana
Les tombeaux sont le symbole matériel des groupes et des
groupes de descendance. De ce fait, ils présentent un fort
contraste avec les habitations des vivants. Celles-ci sont des
constructions modestes en briques, de terre cuite ou non, ou en
simple torchis, avec une toiture en tôle ou en tuile pour
les plus riches, ou en paille. Les tombeaux, eux, de forme carrée,
sont toujours en pierre et en ciment28. Cette différence
au niveau des matériaux utilisés est un reflet de
l’opposition symbolique entre la maison et le tombeau :
Dans notre région d’Ambohitrandriamanitra, les sépultures
des anciens andevo n’ont été que de simples
caveaux, lesquels sont peu identifiables malgré une petite
monticule de terre qui les surmonte servant à signaler
aux passants l’emplacement d’une tombe. Mais tous
les teraka mainty d’Amboditany ont maintenant un nouveau
tombeau. En effet, dès que les familles arrivent à
mettre de l’argent de côté, elles achètent
un terrain et construisent un tombeau pour placer leurs ray aman-dreny
auparavant enterrés dans ces caveaux. Dans ces tombeaux
sont maintenant regroupés leurs morts, des plus anciens
aux plus récents. Par leur aspect extérieur, rien
qui puisse indiquer le statut des propriétaires ne distingue
les tombeaux des fotsy de ceux des mainty29, si ce n’est
une différence au niveau des matériaux utilisés
ou de la taille, qui dénote plus une différence
d’ordre économique.
Le rituel de l’enterrement ne revêt pas de signification
particulière pour l’ensemble d’un groupement
de parenté. Non seulement il est accompli dans l’urgence
de l’événement et le choix du tombeau peut
être dans ce cas provisoire, en plus, il n’implique
d’une part que la famille proche du défunt et d’autre
part, les voisins pour l’essentiel des préparatifs
(Bloch). Le famadihana, par contre, confirme le choix du tombeau
et consacre le statut d’ancêtres dispensateurs de
bénédiction à l’ensemble des descendants.
Ces ancêtres sont maintenant à l’origine d’un
groupe de descendants dont l’unité, la permanence
et le point de cohésion sont représentés
par leur tombeau. Et c’est par le tombeau que ces ancêtres
transmettent leur bénédiction à leurs descendants.
Le famadihana, rituel de bénédiction, est le rituel
qui permet de réactualiser les liens qui tiennent ensemble
les ancêtres, leurs descendants, la terre sur laquelle ceux-ci
vivent et ceux-là sont enterrés :
D’autre part, ce sont les ancêtres qui légitiment
la présence de leurs descendants sur un territoire. Par
le famadihana, les descendants des ancêtres du tombeau réaffirment
leur attachement à ce territoire. Pour les fotsy, l’antériorité
de leur présence légitime leur attachement au territoire,
et ils n’ont donc pas besoin de le réaffirmer comme
les mainty31. D’où l’importance attachée
par ces derniers à l’accomplissement de ce rituel
de manière régulière sinon dès que
les possibilités financières de la famille le permettent.
À son accomplissement est lié également le
statut de ceux qui l’organisent : le nombre d’invités,
la « qualité » des invités, la somme
dépensée, ... Plus une famille est en vue, plus
la fête doit être retentissante.
Les représentations font de la tombe un simple lieu d’ensevelissement,
par opposition au tombeau source de bénédiction
et symbole de l’unité du groupe et de son lien au
territoire. Les funérailles ne peuvent être accomplis
sur les tombes, et donc impossibilité pour les morts de
devenir ancêtres. La promiscuité et l’absence
d’ordonnancement à l’intérieur y règnent,
la hiérarchie parents-enfants, aîné-cadet
(et éventuellement femme-homme) n’est pas respectée
puisque, d’après les descriptions, les corps sont
jetés à l’intérieur. La tombe est également
caractérisée par son manque de visibilité,
signe de la position en marge de ceux qui y sont enterrés
et de ceux qui doivent l’être. La tombe ne peut donc
être liée à l’existence d’un groupement
de parenté. La tombe, et la non-possession de tombeau,
sont également liées au statut. Les andevo ont été
hors de parenté, et n’ont pas eu d’ancêtres
ni n’ont pu le devenir (ny andevo tsy mba raza, dit-on chez
les Sakalava : litt. « les andevo ne sont pas des ancêtres
»). Les tombeaux se présentent différemment
des tombes. Ils sont solides, visibles, les corps y sont posés
selon un ordre jugé naturel, tous les morts peuvent y être
regroupés et en même temps ils sont identifiables
(du moins sur trois générations, les descendants
peuvent s’identifier à un ancêtre) et des rituels
peuvent y être accomplis qui permettent l’ancestralisation
des morts et la réception de leur bénédiction.
Ils matérialisent l’attachement aux ancêtres
et au tanindrazana. Le tanindrazana est la terre héritée
des ancêtres, sur laquelle ils ont vécu puis sont
enterrés. À leur tour, leurs descendants y seront
enterrés, créant ainsi une continuité entre
la communauté des ancêtres et celle des vivants,
mais également la perpétuation du groupe. Le tombeau
et le rituel du famadihana qui lui est lié permettent la
transformation des morts en ancêtres et donc celle de la
localité où se trouve le tombeau en tanindrazana.
Ils matérialisent également les groupes de descendance.
La construction du tombeau peut donc être le point de départ
de la constitution d’un groupe de descendance qui ne peut
exister sans lui, finalisée par l’accomplissement
du famadihana qui réactualise régulièrement
le lien aux ancêtres et au territoire.
L’importance symbolique du tombeau ainsi que les ressources
matérielles nécessaires à sa construction
en font l’élément central du patrimoine du
groupe de descendance, dont il permet, mais marque également
l’existence. Par rapport aux autres biens qui forment le
patrimoine, le tombeau a un statut particulier : il appartient
à tous les membres du groupe, et en même temps, n’appartient
à personne en particulier. La notion de patrimoine repose
notamment sur le fait que les biens qui le forment ont été
transmis de génération en génération.
Son existence atteste de deux choses. Tout d’abord, avoir
un bien hérité montre l’appartenance à
un groupe de descendance et partant, l’existence d’un
ancêtre. Le deuxième point ne peut être séparé
du premier : il s’agit du statut. Pour les deux catégories
de la population, les fotsy d’un côté, les
mainty de l’autre, le patrimoine tient des fonctions contradictoires
: revendication du statut des ancêtres pour les premiers,
acquisition d’un nouveau statut qui n’est plus celui
de leurs ancêtres pour les seconds. D’où l’insistance
des descendants d’anciens andriana quant à l’ancienneté,
supposée ou réelle, de leur patrimoine. D’où
leur attachement à l’affirmation selon laquelle les
biens des descendants d’anciens andevo proviennent de dons
de leurs ancêtres, une certaine manière de dire que
la région d’Ambohitrandriamanitra a appartenu aux
anciens andriana. Cela illustre la conception fotsy du patrimoine
selon laquelle les transactions et l’échange de biens
ne peuvent suivre qu’une direction : des fotsy propriétaires
aux mainty acquéreurs, ou des fotsy donateurs aux mainty
donataires.
Le patrimoine est étroitement lié à l’existence
des groupements de descendance. Il ramène ceux-ci aux ancêtres,
au territoire, mais également aux liens entre descendants.
Le patrimoine est légalement la propriété
du teraka (ou d’une branche du teraka) sur laquelle tous
les membres détiennent les mêmes droits, droits exercés
par ceux qui font partie des groupes locaux, droits dormants pour
ceux qui partent. Le cadastre a permis de délimiter le
patrimoine de chaque teraka et a consacré la propriété.
Les différentes successions ne sont pas toujours enregistrées,
d’une part à cause des frais importants que cela
occasionne, d’autre part pour éviter le morcellement.
Le morcellement, conséquence de l’augmentation des
descendants, s’observe dans les faits. La partition du patrimoine
a notamment pour conséquence la segmentation des branches
du teraka. L’intégrité même fictive
du patrimoine renvoie à l’unité du teraka.
Plus que pour sa valeur économique, le patrimoine est donc
maintenu pour sa valeur symbolique. Pour certains groupes, et
plus particulièrement pour les descendants d’anciens
andriana, il est en relation avec le statut : leurs tombeaux et
leurs terres se trouvent sur la colline d’Ambohitrandriamanitra.
Mais plus généralement, l’existence d’un
patrimoine définit la relation entre anciens dominants
(les descendants d’anciens andriana) et anciens dépendants
(les descendants d’anciens andevo). Pour les premiers, ces
derniers ne peuvent posséder que ce que les anciens maîtres
ont accordé à leurs anciens andevo (« tany
natolotra ny ankizy » : litt. « terres données
aux enfants », le terme « enfant » rappelant
justement le statut de dépendant. Le patrimoine est donc
un élément constitutif de l’identité
des descendants d’anciens andriana. Dans le discours, ceux-ci
soulignent constamment l’importance de leur patrimoine,
mais passent sous silence leur amenuisement à la suite
de ventes successives.
Il est probable que, à l’abolition, les biens des
anciens andevo n’ont pas été importants (voire
inexistants pour certains), mais ceux-ci ont pu constituer un
patrimoine grâce à l’achat de terres. Les mainty
n’accordent pas d’importance à la manière
dont ces biens ont été acquis, leur valeur venant
du fait qu’ils ont été transmis par les ancêtres.
Ils sont ainsi nantis d’une charge symbolique plus importante
que les biens plus récemment obtenus, ces derniers participant
plus au prestige individuel.
Les anciens andriana se réclament de l’ancêtre
à l’origine de la région. La position hiérarchique
des anciens andriana est ainsi liée également à
leur antériorité dans la région. À
l’autre extrémité de l’échelle
sociale, les anciens andevo ont été sans ancêtre
et sans descendants. Dans la société merina actuelle,
la position des descendants des anciens andriana ne se traduit
plus dans les mêmes termes politiques et économiques,
mais idéologiques. Le seul moyen de revendiquer leur ancienne
position est de maintenir le lien à l’ancêtre
fondateur, et cela par l’emplacement de leur tombeau d’une
part, par leur patrimoine, d’autre part. Ils sont les tompon-tanindrazana
(« propriétaire de la terre des ancêtres »)
par excellence. Plusieurs éléments définissent
le statut de tompon-tanindrazana et les distinguent des non-originaires
(mpiavy), tous se ramenant à l’existence d’un
ancêtre : un tombeau, un groupe de descendants, le patrimoine
dont l’unité reflète l’unité
du groupe de descendants. Les tompon-tanindrazana se distinguent
surtout des non-originaires lors des différentes occasions
qui rassemblent les villageois, que ce soit lors de grands rituels
comme les famadihana ou dans les assemblées villageoises
auxquels ils ne prennent pas part. Ils n’ont pas d’ancêtres
dans la région, et donc n’y possèdent pas
de patrimoine. Les descendants d’anciens andevo, bien que
descendants de « ceux qui sont arrivés après
», ne peuvent pas être assimilés à des
non-originaires. L’ancestralisation (construction de tombeau,
rituels permettant d’instituer des ancêtres) consacre
l’existence de groupes de descendants et d’un patrimoine
et constitue donc une forme d’ascension sociale. Les mainty
dont les ancêtres n’ont pas quitté le territoire
de leurs anciens maîtres adoptent les valeurs de ces derniers.
De ceux-ci les fotsy disent qu’ils connaissent bien les
usages (« mahalala fomba »), sous-entendu les usages
(ou valeurs) des fotsy. L’ascension sociale ne peut être
séparée du prestige individuel, c’est-à-dire
de la réussite économique.
V. Déterminant économique
L’agriculture reste l’activité la plus pratiquée
dans le village, bien qu’il soit difficile de déterminer
le nombre de personnes qui s’y consacrent : les personnes
qui ont une autre activité y passent une partie de leur
temps libre ; même les enfants, après l’école,
aident les parents à s’occuper des animaux ou à
arroser les légumes. Dans chaque maisonnée, une
personne au moins s’occupe de culture et/ou d’élevage.
Les terres sont exploitées soit par leurs propriétaires
eux-mêmes, soit en faire-valoir indirect, par le métayage
ou la location. Les propriétaires fotsy sont les plus nombreux
à adopter cette deuxième solution. Non seulement
ils possèdent plus de terres, mais ils sont dans l’impossibilité
de les cultiver : ils ne disposent pas des moyens matériels
suffisants pour engager des journaliers. Aussi ils mettent leurs
terres en location ou en métayage. Ce faire-valoir indirect
constitue également pour les propriétaires fotsy
un apport non négligeable d’argent et de produits
agricoles. C’est la raison pour laquelle le métayage
est préféré dans la riziculture. Entre mainty,
le faire-valoir indirect se pratique également, mais la
plupart du temps dans le cadre de la parenté. La relation
de métayage et de location ne semble pas toujours suivre
d’autres relations préalables, comme entre les descendants
d’un ancien maître et les descendants de leurs anciens
andevo.
À la pratique de l’agriculture est lié le
problème de l’accès aux terres, le principal
moyen de production, dont la distribution inégale entre
fotsy et mainty serait à l’origine de la dépendance
économique de ceux-ci à l’égard des
premiers. Ce trait caractériserait la situation des mainty,
et contribuerait à les maintenir dans un statut inférieur
(Razafindratovo, Bloch, Evers, Rakotomalala & alii), un statut
de dépendant. On peut remarquer que quelques ménages
mainty ne vivent pas de l’agriculture (donc ne dépendant
pas des terres que peuvent fournir les fotsy), et le nombre de
personnes qui s’y consacrent a diminué également.
D’autre part, la préférence des jeunes pour
d’autres métiers n’en est qu’à
ses débuts. Le développement des industries à
la périphérie de la ville ne peut qu’accélérer
ce processus. Ces derniers sont attirés par le mode de
vie urbain (mode d’habillement ou musique) sans toutefois
avoir à rêver de quitter la campagne, alors que l’agriculture
est liée à la ruralité.
De leur côté, les fotsy redoutent que leurs terres
ne restent non cultivées, ce qui pourrait arriver s’il
ne se trouve personne dans le village (ou dans la région)
pour les travailler. Ils parlent explicitement de leur dépendance
vis-à-vis des mainty (« on doit se montrer conciliant
parce qu’on a besoin d’eux »), d’autant
plus qu’eux-mêmes sont dans l’impossibilité
de les cultiver.
Néanmoins, les fotsy ont en général un niveau
de vie plus élevé que celui des mainty. Cependant,
alors qu’auparavant le travail dans l’administration
a été la seule instance permettant une ascension
sociale, le développement des industries devient un instrument
permettant de sortir de l’ancienne condition, d’autant
plus que le niveau d’instruction qui y est requis n’est
pas élevé : savoir lire et écrire, et éventuellement
coudre, broder, ou tricoter. Cela permet notamment aux femmes
d’échapper au métier d’employée
de maison, dorénavant perçu négativement
par les villageois, y compris par les plus pauvres : être
employée de maison est rapproché de l’occupation
des anciens andevo. Alors que la dépendance des fotsy vis-à-vis
de la main-d’œuvre mainty est clairement exprimée,
les mainty impliqués dans le régime de métayage
et de location ne représentent pas cette situation sous
cet angle de la dépendance économique.
La relation à la terre est représentée comme
une reproduction de l’image de l’ancienne domination
et permet aux fotsy d’affirmer leur statut supérieur,
et place ainsi l’économie au centre des relations
entre les mainty et les fotsy. Mais l’évolution de
la situation économique des uns et des autres fait que
leur relation n’est plus basée sur une dépendance.
Cependant, les fotsy continuent à se considérer
comme faisant partie d’une catégorie de dominants.
VI. Citoyens, chrétiens
: Au-delà des identités traditionnelles ?
Dans les représentations, la division de la société
merina en deux catégories sociales mainty et fotsy se traduit
également en terme confessionnel : les mainty seraient
catholiques, et les fotsy protestants. Tous les tompon-tanindrazana
habitants d’Amboditany appartiennent à la religion
protestante. Certains groupes locaux fotsy appartiennent au temple
d’un autre village de la région, alors que les membres
de teraka mainty établis dans ces villages restent attachés
à celui d’Amboditany. Les réseaux de parenté
structurent l’organisation du temple. Membres du bureau
et diacres, tous élus, sont issus de quelques groupes locaux
et teraka. Cependant, malgré l’importance numérique
des mainty parmi les fidèles, les fotsy sont majoritaires
au sein des instances de décision. Au nom de leur ancien
statut de dominants, les fotsy essaient de maintenir leur position,
notamment en détenant toutes les fonctions de responsabilité.
La seule contestation possible pour les mainty est d’adopter
une position en retrait.
Les ancêtres servent aux fotsy à maintenir une position
de dominants. Les ancêtres permettent à leurs descendants
mainty de sortir de leur ancien statut de dépendant, sans
pour autant accéder à celui des fotsy. Les mainty
intériorisent cette forme de hiérarchie, de la même
façon qu’ils ont pris à leur compte les stéréotypes
des fotsy à leur égard. Au même titre que
le tombeau et le patrimoine, l’appartenance à la
communauté du temple constitue pour les mainty un des signes
de leur enracinement au village. Ainsi résidence, tombeau
et ancêtres, affiliation religieuse font partie d’un
même ensemble assurant l’appartenance à un
territoire, le statut de tompon-tanindrazana.
L’organisation du village est similaire à celle
du temple. Les membres du fokontany (la circonscription administrative
de base), désignés par le maire de la commune, sont
majoritairement fotsy. Il en va de même des différents
comités et associations qui regroupent les villageois,
que leurs dirigeants soient élus ou nommés. Une
des explications de cette position des fotsy est leur longue pratique
de l’administration : ils savent profiter des opportunités
qu’elle offre et la manipuler à leur profit.
Toute forme de pouvoir ne peut être séparée
du statut de tompon-tanindrazana. Les étrangers ne peuvent
y accéder. Les mainty ont affirmé leur statut de
tompon-tanindrazana, mais malgré cela, ils n’ont
pas le même rang que les fotsy. Ceux-ci tiennent le pouvoir
dans le village, et cela au sein d’instances dont l’organisation
a été élaborée en dehors du cadre
des relations mainty-fotsy, que ce soit dans le temple ou dans
le fokontany. La différence entre les fotsy et les mainty
réside en ce que les premiers légitiment leur position
par leurs ancêtres. Les seconds en revanche valorisent le
statut acquis : quelques individus jouissent de prestige du fait
de leur réussite économique. C’est parmi eux
que leurs teraka choisissent leurs représentants au temple
ou au sein du fokontany. Cependant, malgré l’importance
numérique des mainty dans le village, ceux-ci semblent
accepter cette domination des fotsy qui ne s’exprime pas
(ou de moins en moins) dans les autres domaines de la vie sociale
que ce soit politique ou économique. Néanmoins,
leur non-participation à certaines instances de prise de
décision, par leur silence ou leur absence, est une forme
de contestation de ce pouvoir : ils s’abstiennent volontairement
de la parole qui est l’instrument des dominants.
Conclusion
Le processus de construction d’une nouvelle identité
par les anciens andevo a commencé au moment de l’abolition
de l’esclavage de septembre 1896, notamment par le départ
soit de la maison des anciens maîtres soit de la région
d’Ambohitrandriamanitra. La parenté est l’élément
qui structure cette construction. Aussi, des alliances entre habitants
mainty du même village, nés au lendemain de l’abolition,
sont établies. Dans les générations suivantes,
en revanche, le choix des partenaires matrimoniaux est plus diversifié.
On pourrait l’expliquer par la nécessité d’établir
des réseaux en dehors du village. Les alliances des groupes
mainty respectent la règle de l’exogamie qui prohibe
les unions entre membres d’un même teraka. L’application
de cette règle rend indispensables les unions exo-villageoises
puisqu’elle permet de laisser disponible des partenaires
pour les alliances entre originaires. Ces différentes unions
dessinent le contour de groupements de descendants. Pour les mainty
donc, l’existence de groupements de parenté remonte
aux ancêtres fondateurs anciens andevo affranchis par l’administration
coloniale alors nouvellement installée. Leurs descendants
doivent assurer une présence continue sur leur tanindrazana,
d’où la nécessité d’effectuer
des mariages entre co-originaires.
Pour les fotsy, en revanche, la situation est différente.
Leur identité est établie, non pas par leur parenté
comme les mainty, mais par leur seul lien avec le tombeau de leurs
ancêtres : leurs teraka et groupes de résidence sont
parents parce qu’ils appartiennent au même tombeau.
Aussi, bien qu’ils soient nombreux à avoir quitté
le village, ils restent attachés à leur tanindrazana.
C’est la raison pour laquelle également, le choix
des partenaires matrimoniaux est résolument exogamique
et « aléatoire », c’est-à-dire
ne suivant aucune préférence liée à
la préservation du statut ni du patrimoine. Leurs conjoints
sont considérés comme fotsy parce qu’eux le
sont.
L’existence même du teraka est attachée à
l’élément fondamental qu’est le tombeau.
Alors que les teraka fotsy ont gardé pour la plupart leurs
anciens tombeaux, les teraka mainty ont tous construit de nouveaux
tombeaux. Le passage de la tombe au tombeau est le signe de l’existence
de teraka qui lui est désormais lié. Le lien du
teraka avec le tombeau est affirmé par l’accomplissement
du rituel du famadihana au cours duquel les ancêtres transmettent
la bénédiction à leurs descendants. La signification
de ce rituel est différente pour les mainty et pour les
fotsy. Pour les mainty, son accomplissement a pour but de renouveler
régulièrement l’enracinement des teraka au
territoire, au tanindrazana, et à une communauté.
En revanche, les fotsy ne pratiquent généralement
que le famadihana de transfert (à la construction d’un
nouveau tombeau, ou pour ramener un défunt dans son tombeau
ancestral). Ils sont motivés par le fait de regrouper ensemble
les morts dans le tombeau dispensateur de bénédiction.
Par leur tombeau, leur patrimoine, et leurs ancêtres, les
descendants des anciens andevo sont devenus tompon-tanindrazana
au même titre que les descendants des anciens maîtres.
Néanmoins, malgré l’acquisition de ce statut
par les mainty, statut reconnu d’une certaine manière
par les fotsy, ceux-ci n’acceptent pas que les mainty aient
les mêmes droits qu’eux. Cela est visible notamment
au temple et au sein du fokontany où leur position de dominants
n’est pas disputée. Ils détiennent toutes
les positions de pouvoir, et les charges détenues par les
mainty sont celles que les fotsy leur ont attribuées. Cette
inégalité entre mainty et fotsy peut être
observée également dans le maintien des anciens
termes relatifs à l’ancienne hiérarchie sociale,
comme ankizy ou andevo (ou mainty), qui deviennent l’opposé
d’andriana (ou fotsy) ; dans l’adoption de conduites
d’évitement qui établissent une barrière
entre les fotsy et les mainty, et dont la raison invoquée
est la crainte de la sorcellerie ; ou dans les valeurs attachées
au patrimoine.
Le statut de tompon-tanindrazana des mainty ne peut plus être
remis en question. Pour que les fotsy puissent continuer à
revendiquer le statut d’anciens dominants, il est indispensable
pour eux de maintenir les mainty dans un statut d’inférieurs,
de dépendants.
L'ESCLAVAGE : Une véritable institution
L'esclavage, sous la royauté, est une véritable
institution. Le «modernisme», introduit à partir
du règne de Radama I, n'a aucune prise sur les usages et
les coutumes. Le marché aux esclaves d'Anjoma, à
Antaninarenina, et son annexe d'Analakely sont très achalandés.
C'est en vain que les missionnaires prêchent en chaire,
exhortent, menacent. «La population fait la sourde oreille,
quand elle ne se livre pas à des manifestations tumulteuses»
(Revue de Madagascar, spécial Tananarive, 1952). Du genre
de celle qui retentit dans le temple d'Ampamarinana, lors d'un
prêche anti-esclavagiste du Rev. Standing, en 1892.
Pourtant les codes, publiés par le gouvernement royal,
condamnent formellement la traite et implicitement l'esclavage.
Cependant, Alfred Grandidier, en 1869, déclare que les
deux tiers de la population tananarivienne, 50 à 60 000
personnes, sont des esclaves. En 1895, plus de la moitié
des habitants de l'Imerina est de condition servile.
Jusqu'à la fin du règne d'Andrianampoinimerina,
en 1810, le seul commerce extérieur de l'Ile se résume
à la traite des esclaves. C'est de ce trafic humain que
le souverain, les nobles et les commerçants hova tirent
leurs ressources en devises, évaluées en piastres
d'argent.
Hormis les esclaves de case ou domestiques, la masse exportable
est surtout faite de prisonniers de guerre, de délinquants
de droit commun ou de criminels politiques. Tous les moyens sont
bons pour s'en procurer. Ainsi, des expéditions sont menées
contre les villages ennemis ou rebelles, à la fin desquelles
les personnes en état de marche sont acheminées
jusqu'à la côte, liés les uns aux autres.
Les prisonniers qui en sont incapables, les infirmes, les femmes
ayant perdu leurs charmes, les enfants vacillants sont souvent
abandonnés à leur sort, voire tués sans pitié.
«Les tractations fréquentes et nombreuses portaient
chaque année sur plusieurs milliers d'individus, sous réserve
de l'acquittement d'un droit de deux piastres et demie par tête
au profit du trésor royal. La prospérité
du vieil Antananarivo fut, pour cette raison, scellée de
larmes et de sang. Ceci dura jusqu'à ce que l'exportation
du bétail ait supplanté celle de l'homme».
La traite des esclaves est condamnée en 1814 par le Congrès
de Vienne. Et c'est pour lui demander l'abolition de ce commerce
que James Hastie, devenu pour les besoins de la cause agent consulaire
du gouvernement de Maurice, se présente au roi Radama,
le 17 juillet 1817.
«Pour ne pas être signalé aux princes européens
comme ennemi de la civilisation», le souverain consent à
supprimer «l'exportation» des esclaves, le 11 octobre
1820. Il obtient, en contrepartie, des avantages en nature sous
forme de produits européens et en espèces (Equivalent).
En outre, 20 jeunes gens parmi les fils des grands, reçoivent
instruction et formation technique à Londres ou à
Port-Louis (Maurice).
A la mort prématurée de Radama, en 1828, Ranavalona
1ère, son épouse, hérite du pouvoir. Sous
la pression des conservateurs de la Cour, des devins et des sorciers,
inquiets des progrès de la civilisation et du christianisme,
elle adopte, après ses premières années de
règne, «une attitude hostile aux Européens
et à leurs innovations. Il lui semble que leur fréquentation
et leurs apports lui rendent ses sujets déloyaux».
En premier lieu, pour rompre avec les décisions de son
mari défunt- qu'elle juge «incompatibles avec le
respect dû aux bonnes traditions»- elle tolère
et même favorise le commerce des esclaves. La traite reprend
de plus belle grâce aux débouchés offerts
par les marchés de l'Inde, de l'Amérique et des
Mascareignes (La Réunion, Maurice, Rodrigues).
«Si les marchés se tiennent généralement
sur les côtes, Antananarivo n'en est pas moins un centre
de transit et un lieu où se négocient les autorisations
administratives». Ch. Robequain («Une capitale montagnarde
en pays tropical: Tananarive»), écrit en 1949 : «Le
Rova apparaît alors comme un nid de rapaces, de grands marchands
d'esclaves au service de la culture et de l'industrie sucrière».
Ce commerce ne sera réprimé qu'au moment de la conquête
française. Une des premières décisions prises
par Joseph Gallieni, est d'abolir l'esclavage. «La monarchie
merina n'aurait pas été aussi facilement supprimée
qu'elle le fut par Gallieni, si elle n'avait pas été
entièrement sapée et rongée par le double
cancer de la corvée et de l'esclavage. Pour la plupart
des habitants d'Antananarivo, la conquête française
fut vraiment une libération».
La traite fleurit sur les côtes
Aussi loin que s'étendent les connaissances sur Madagascar,
il y fleurit une sorte de commerce très spécial,
qui consiste à troquer des esclaves contre des marchandises
apportées par les négociants. Un trafic important
se voit, tant sur la côte Ouest que sur le littoral Est,
fréquentés par les Arabes et les Européens.
Il existe, d'ailleurs, un double courant, ce qui explique la présence
à Madagascar d'éléments africains d'arrivée
récente, tels les Makoa. Ils sont importés, mais
leur nombre n'est pas très important, sauf peut-être
sur la côte Nord-ouest, où ils sont connus sous le
nom de Mozambiques, «allusion très nette à
leur origine africaine».
Jusqu'aux dernières années du 18e siècle,
la traite ne devra toucher que les régions côtières,
seules en contact avec l'étranger et les seules à
être arrivées à un certain degré d'organisation.
«Le pays merina, encore divisé en plusieurs principautés
et n'ayant aucun accès avec la mer, n'aurait pu y participer
qu'en utilisant des intermédiaires, malgaches ou européens.
Or, il a fallu attendre 1777 pour qu'un Européen, le Français
Mayeur, pénétrât en Imerina. Antananarivo
même ne fut atteinte qu'en 1808, par Hugon» (Jean
Valette, archiviste-paléographe).
Pela Ravalitera Journal Express
La coutume oui, le sida non !
Au nord-ouest de Madagascar, la cérémonie du
bain des reliques royales est devenue prétexte à
des échanges sexuels débridés. À défaut
de pouvoir changer les rites, les chefs coutumiers essaient de
limiter ces débordements et d'inciter les adeptes de se
protéger du sida.
Chaque année, le fitampoha, bain des reliques sacrées,
donne lieu, en juillet, à Majunga, au nord-ouest de Madagascar,
à une semaine de fête et de débordements.
Chants et danses traditionnels, accompagnés de percussions,
résonnent sans relâche à Tsararano, le quartier
où sont gardées des reliques des anciens souverains
du royaume sakalava du Nord. Des milliers de personnes envahissent
alors les lieux : adeptes de la religion traditionnelle, venus
des quatre coins de l'île, mais aussi nombreux touristes
étrangers attirés par l'originalité de ces
rites. Une ambiance électrique règne dans l’enceinte
sacrée et alentour. En tenue traditionnelle, pagne et masque
d’argile sur le visage pour les femmes, certains entrent
en transe, possédés par les esprits.
Mais liberté des mœurs et alcool à volonté
ternissent aujourd'hui l'image de ces cérémonies
et, à l'heure où le sida plane sur la Grande île,
beaucoup craignent que la tradition contribue ainsi à répandre
la maladie. Certains participants profitent, en effet, de ces
festivités pour donner libre cours à leurs instincts
surtout lors de la veillée du grand jour du bain des reliques.
Ibrahim Houssein, un habitué du fitampoha, rappelle le
fondement de cette tradition : "Jadis, le roi décréta
que chacun pouvait réaliser tous ses désirs secrets
cette nuit-là. Les femmes n’avaient pas le droit
de refuser les sollicitations, les hommes aussi d’ailleurs.
Certains veulent perpétuer cette tradition de liberté
sexuelle." Selon un anthropologue, le professeur Rabedimy,
"la liberté sexuelle pendant les festivités
est réelle. Lors d’une étude, on a remarqué
que pendant la veillée, certains changent plusieurs fois
de partenaire".
Les chefs coutumiers réagissent.
Conscients des dangers de ces échanges, plusieurs organismes
de lutte contre le sida essaient de sensibiliser les adeptes de
cette croyance traditionnelle. Vony Thomas Ravalitera, épouse
d’un dignitaire, a créé une association pour
informer les femmes dans l’enceinte sacrée même.
"Nous entonnons des chansons traditionnelles et transmettons
ainsi des messages qui parlent du danger des relations sexuelles
débridées", rapporte-t-elle. Les membres de
l'association tentent aussi d'éduquer les jeunes filles,
parfois illettrées, afin qu’elles résistent
aux avances des inconnus.
Les risques liés à de telles coutumes n'ont pas
échappé à la Direction provinciale de la
Culture, où l'on considère "certaines contraintes
sociales et religieuses d’une société conservatrice"
comme des "obstacles aux sensibilisations pour la lutte contre
le sida." Cette Direction a sollicité l’aide
des chefs coutumiers et religieux leur demandant de participer
activement à l’effort collectif pour enrayer la progression
du sida. Pour Virginie Razafindravola, la directrice, "ils
sont les seuls à être vraiment écoutés
en pareil cas".
Les chefs coutumiers ont réagi positivement d'autant qu'ils
ne veulent pas voir l’image de ces fêtes entachée
par la dépravation des mœurs. Mais ils n’ont
cependant pas le pouvoir de changer quoi que ce soit à
ces rites séculaires. "Les gens viennent pour obtenir
une bénédiction. Nous ne tenons pas à ce
qu’ils repartent avec une maladie", insiste Édouard
Asindrazana, troisième dignitaire de la hiérarchie
traditionnelle. "Avant la fête, rappelle-t-il, les
autorités sanitaires nous mettent en garde contre les dangers
de la pandémie. Nous transmettons ensuite le message aux
gens d’une façon ferme et appuyée."
Pour limiter les risques, des préservatifs sont distribués
gratuitement avec l’accord des chefs. L’association
des femmes encourage les gens à se faire dépister.
Les chefs font preuve de vigilance en payant des gardiens chargés
de veiller sur les cases qui accueillent les étrangers
à la ville. "Nous faisons en sorte qu’aucune
case ne demeure libre durant les cérémonies, précise
Jules Letsara, chef de ces gardiens. Nous installons des familles
honorables dans chacune d’entre elles. Nous sommes très
vigilants : tout comportement déplacé est considéré
comme un sacrilège en ces lieux."
Saralea (Syfia International) www.lexpressmada.com
Peu de melting-pot en Imerina
Un cloisonnement assez marqué caractérise les rapports
des Tananariviens entre eux, comme le fait remarquer, en 1968,
Gerald Donque, maître-assistant à l'Université.
Ce cloisonnement est en partie dû aux différences
raciales ou ethniques, en partie aux hiérarchies, traditionnelles
ou modernes. " L'élément majoritaire à
Tananarive, celui des Merina, ne constitue pas un groupe parfaitement
homogène ". Aux différences physiques viennent
s'ajouter des différences héritées de la
tradition et de l'ancienne organisation sociale du temps de la
monarchie .
Effectivement, les différences physiques entre Malgaches
frappent d'emblée les étrangers, différences
que l'on peut, grosso modo, répartir en trois catégories.
D'abord, le type brun clair pouvant aller jusqu'au blanc (fotsy)
, aux cheveux lisses ou légèrement ondulés,
aux traits fins, au crâne mésocéphale, à
la taille petite ou moyenne. C'est, semble-t-il, le type indonésien
presque pur, le plus fréquent chez les Andriana, descendants
de nobles, et les Hova, descendants de roturiers libres. Cependant,
certains parmi eux sont " fortement teintés ".
Ensuite, le type noir (mainty) aux cheveux crépus, à
mâchoire prognathe, aux lèvres épaisses, au
crâne dolichocéphale, particulièrement représenté
chez les descendants d'esclaves (andevo) ou hors de l'ethnie merina,
" chez les peuples dits côtiers ".
Enfin, un type mixte, brun foncé, aux cheveux frisés,
au nez court et épaté, " qui constitue une
espèce de transistion entre les types précédents
et que l'on peut rencontrer dans toutes les castes ".
Selon Gerald Donque, ces différences physiques suggèrent
une diversité d'origine. Les traditions font venir les
Merina assez tardivement, vers le 14e siècle, de la côte
orientale et délimitent le territoire de leurs premiers
clans aux hautes vallées de l'Ikopa et de la Sisaony. "
L'opinion scientifique la plus communément admise est qu'il
s'agit d'immigrants indonésiens, tard venus dans l'Ile
".
A ces éléments asiatiques viennent s'ajouter au
fil des ans, des apports africains. " Ils constituent aujourd'hui
les " mainty ", exogènes donc à l'ethnie
merina pure, presque tous captifs de guerre ou de razzias opérées
sur les côtes du Mozambique, puis installés comme
serfs sous l'autorité des nobles et des roturiers libres
". Comme ils ont conservé leurs particularités
physiques et culturelles, " ils ont été longtemps
et demeurent encore à l'écart de la population merina
qui continue à les considérer comme " étrangers
".
Toutefois, précise Gerald Donque, si les unions entre "
fotsy " et " mainty " ont été extrêmement
rares, voire inexistants, " cela n'a pas empêché
des relations extra-matrimoniales qui expliquent le type mixte
".
En effet, l'ancienne organisation monarchique a laissé
subsister une stratification sociale qui, au sein de la population
de l'Imerina, permet toujours de distinguer des descendants de
nobles, de roturiers et d'esclaves.
En 1968, les Andriana représentent environ 14% de la population
imérinienne. Ils sont issus des anciens rois ou de leurs
collatéraux qui n'ont pas régné. Ils se subdivisent
en sous-castes.
Les Hovas ou roturiers libres (47% de la population) semblent
être " les descendants des anciens chefs de clan "
proto-merina " ou merina ". Des divisions les hiérarchisent.
Quant aux Andevo, ce sont des descendants d'esclaves, captifs
de guerre ou de pillages soumis à la servitude, ou encore
d'hommes libres voire de nobles déchus de leurs prérogatives
pour fautes graves.
Le brassage des anciennes castes ne s'est pas opéré.
Cependant, si les mariages entre " fotsy " et "
mainty " sont quasi inexistants, de plus en plus, un changement
de mentalité s'opère dans les jeunes générations
" avec le progrès de l'individualisme, le développement
de l'instruction, la nouvelle répartition des richesses
et des revenus... ". Ainsi, les mariages entre Andriana et
Hova deviennent relativement fréquents et la barrière
entre ces deux castes, jadis très rigide, " s'effrite
progressivement ".
Divisés par la religion
Dans son étude sur la population tananarivienne en 1968,
Gerald Donque souligne que l'appartenance à une religion
complique la structure sociale et joue un rôle non négligeable
dans le choix de l'époux(se). Du moins, il y a une
quarantaine d'années.
"Une majorité d'Andriana est de religion protestante
pour avoir suivi la Reine (Ranavalona II) lors de sa conversion
". Néanmoins aussi bien chez les Andriana que dans
les autres castes, le catholicisme a gagné du terrain.
En fait, la population tananarivienne constitue une " mosaïque
religieuse " et la religion peut encore constituer une barrière
infranchissable dans le mariage, venant après le critère
de caste à l'intérieur de celle-ci.
Autres facteurs de différenciation des Tananariviens :
le genre et le niveau de vie, le degré d'instruction, l'état
de fortune ou la profession. Différenciations qui ne modifient
pas, toutefois, l'interdit qui peut frapper une caste en matière
de mariage, tout en introduisant en son sein une nouvelle hiérarchie.
Celle-ci est " calquée sur celle des pays d'économie
développée occidentaux ", et fait distinguer
une classe supérieure riche ou aisée, une classe
moyenne et une classe pauvre.
En général, de par leur origine et les privilèges
qui s'y rattachaient, Andriana et Hova ont pu acquérir
ou faire acquérir à leurs descendants un niveau
économique bien supérieur, en général,
à celui des Andevo. Ils ont pu leur donner une instruction
à l'européenne leur permettant d'accéder
aux fonctions de cadres publics ou privés. Ce que, sauf
exception, les descendants d'Andevo n'ont pu faire, malgré
la volonté des gouvernants d'abolir toute distinction d'ordre
racial, ethnique,religieux, social...
www.lexpressmada.com Pela Ravalitera
Quid du tribalisme à Madagascar
Existe-t-il une pratique du tribalisme à Madagascar ? En
d’autres termes, le tribalisme est-il une réalité
dans le pays ?
La réponse à ces deux questions est assurément
affirmative. Il ne faut pas se voiler la face et faire la politique
de l’autruche. Le tribalisme est bel et bien une réalité
dans le pays, et il se pratique sous tois formes, et ce depuis
avant, pendant et après la colonisation, et jusqu’à
aujourd’hui : sous forme insidieuse ou sournoise, sous forme
réactionnaire, et enfin sous forme népotique. Cet
état de chose est tout à fait courant et presque
naturel, notamment dans les pays au peuplement multi-racial ou
multi-éthnique. Les grands pays comme la France, les Etats-Unis
d’Amérique, la Grande Bretagne, l’Allemagne
et la Russie, n’y ont pas échappé. La plupart
des pays africains en pâtissent toujours actuellement, où
le tribalisme, comme on le sait, se traduit par des conflits armés,
par des guerres tribales sans fin, par des massacres d’innoncents,
par des épurations éthniques sans merci, voire des
génocides. A Madagascar, avant la colonisation française,
les menées expansionstes et les guerres de conquête
des rois merina, ou la volonté d’unification et de
pacification du pays de la part du royaume du centre, ont créé
des sentiments de frustration et de rancœur chez les roitelets
vaincus et leurs sujets, et même chez leurs descendants.
L’existence de nombreux lieux et doany dont l’accès
est strictement interdit aux Merina en témoigne de nos
jours. Et quand les Français ont débarqué
dans le pays, c’est chez ces derniers qu’ils ont cherché
et trouvé des alliances et complicités, tantôt
moyennant des subsides, tantôt en exacerbant les sentiments
de rancœur contre les conquérants venus du centre.
Et cela a beaucoup facilité la prise du royaume merina,
et par la suite, la main-mise sur tout le pays, par les Français,
qui ont par la même occasion agrandi leur empire colonial.
Durant la colonisation, surtout au début de cette période,
les Français ont recruté chez les Merina des auxiliaires
intéressants et faciles à former, afin de pacifier
et administrer la nouvelle colonie. Ils étaient les premiers
écrivains et interprètes, les premiers chefs de
canton, les premiers maîtres d’école, les premiers
greffiers des tribunaux dans le pays. Encore une fois, cela a
créé des sentiments de jalousie et de frustation
voire de haine, chez la population côtière et Betsileo.
Peu à peu, les auxiliaires merina ont acquis des connaissances
techniques et des formations intellectuelles de haut niveau, et
du coup, ont eu le sentiment de pourvoir rivaliser avec les colons
et prendre leur place dans les rouages de l’administration
du pays, car la plupart d’entre eux sont de venus des citoyens
français à part enitère et ont pu faire des
études très poussées. Il en est de même
pour les enfants et leurs proches parents. Beaucoup ont intégré
l’armée française et y ont acquis des galons
d’officier et sous-officier. Mais les colons ont vite déchanté,
car leurs auxiliaires nourrissaient au fil des ans des ambitions
de prendre la place du colonisateur, et des désirs d’émancipation
à l’échelle nationale. Cela a commencé
par des désobéissances plus ou moins caractérisées,
et a abouti à des conflits ouverts, à des soulèvements
populaires, dont les évènements de 1947. La plupart
des instigateurs et dirigeants de ces mouvements étaient
des politiciens et intellectuels merina qui étaient nettement
en avance par rapport aux autres, et plus habiles dans ce genre
de question. En réaction à cet état de chose,
lorsque ils ont jugé qu’il était temps de
se retirer, les colons ont chois des élements non merina
à qui octroyer et confier l’indépendance politique
de Madagascar. Afin d’essayer de rétablir l’équilibre
entre les Merina et le reste de la population malgache, les tenants
de la première République ont favorisé la
formation massive des éléments de la périphérie,
notamment dans les domaines de l’administration, de l’enseignement
et de l’armée. D’où la création
de différents types d’écoles en province,
la mise en place des partis politiques, de l’Académie
militaire d’Antsirabe, la formation de nouveaux administrateurs
civils en France. La tribalisme à Madagascar est donc largement
tributaire de ces évènements, de ces deux époques
de l’histoire du pays. La thèse des Merina qui dit
qu’ils ne sont pas tribalistes mais des victimes expiatoires
du tribalisme des politiciens côtiers en mal d’arguments
intelligents est plus que trompeuse, voire douteuse. Le tribalisme
merina est insidieux, sournois et incisif.
Il se traduit par des actes de ségrégation qu’on
appelle la politique de l’exclusion, par des comportements
vexatoires et frustrants, par l’hypocrisie et le manque
de franchise, par le mépris et le désir hégémonique
mal contenu. Les nominations aux hauts emplois de l’Etat
depuis la première République à nos jours
en est des aspects les plus voyants. Et le régime actuel
ne fait qu’aggraver la situation qui tend vers l’insupportable
pour les autres. Le tribalisme réactionnaire, comme son
nom l’indique, est une réaction contre cette forme
insidieuse et sournoise du tribalisme merina. Il est le fait des
gens de la périphérie qui se sentent encore et toujours
frustrés, qui sont écœurés par cette
pratique. Le tribalisme réactionnaire peut être très
violent, et menace parfois l’unité nationale, si
l’on ne fait pas attention de part et d’autre, par
des concessions, des dialogues francs et ouverts, des examens
de conscience permanents, par des efforts de compréhension
et d’acceptation de l’autre. Il a déjà
occasionné des victimes innocentes à Toamasina,
à Toliara, à Antsiranana et ailleurs il n’y
a pas longtemps. Au cours de la crise de 2001-2002, ce type de
tribalisme a failli provoquer la désintégration
de la Nation et la balkanisation du pays. L’émergence
du club des 17 (tribus) ou des 5 (provinces) en est encore une
des manifestations apparentes. Il faut arrêter de dire et
de penser que les côtiers ne sont pas de vrais Malgaches
mais des descendants d’esclaves venus d’Afrique qui
doivent y retourner, que les côtiers ne font que sucer les
richesses des hauts plateaux et de l’Imerina car il n’y
a rien à la côte, qu’il faut restaurer la Nation
ou l’Etat merina que les colons ont détruit avec
l’aide des côtiers. Des écrivains et journalistes
merina ont fait paraître des écrits qui condamnent
ce tribalisme réactionnaire en brandissant des slogans
du genre "Trop, c’est trop" ou "Mahatantesa
ny valin-kitsaka". On se lance ainsi des défis qui
ne font qu’exacerber les rancœurs. La forme népotique
du tribalisme est tout simplement le népotisme qui consiste
à favoriser à tout prix les membres de sa famille
et ses proches parents, des gens de sa tribu, aux dépens
des autres qui peuvent être plus compétents. C’est
la forme la plus pratiquée dans le pays, car la plupart
des hauts responsables la pratiquent, les Merina comme les Betsileo
et les côtiers, ceux qui ont une parcelle de pouvoir. Il
est certainement superflu d’affirmer que le tribalisme,
sous quelque forme que ce soit, reste et demeure le poison le
plus dangereux pour l’unité nationale, et pour la
paix sociale et la concore entre les Malgaches. Il appartient
donc à tous les responsables dans tous les domaines et
à tous les niveaux, à tous les politiciens, surtout
aux tenants actuels et futurs du pouvoir légitime et/ou
légal, de faire un examen de conscience, et de tout mettre
en œuvre pour trouver un remède efficace à
ce tribalisme ambiant et pernicieux qui menance en permanence
l’ordre public et la sérénité de la
société nationale. Et c’est peut-être
dans ce sens qu’il faudrait comprendre la réconciliation
nationale que certains veulent organiser, bien qu’il n’y
ait encore eu de guerre tribale dans le pays. Il faut la prévenir
à tout prix. En effet, il faut se rendre à l’évidence
que la société malgache est actuellement divisée
en trois catégories de gens qui ne se communiquent plus
et qui s’ignorent superbement. La première catégorie
est celle de l’indifférence, de la suffisance, de
l’auto-satisfaction, de la sourde-oreille, voire du mépris,
du genre "cause toujours, tu m’intéresses".
La deuxième catégorie comprend des gens ouverts
à tout, qui veulent comprendre et être compris, qui
croient avoir de bonnes idées qu’ils veulent partager,
qui souhaitent que les choses évoluent enfin dans le bon
sens, mais qui rencontrent des portes closes et des oreilles sourdes.
La troisième catégorie est celle de la masse amorphe,
apathique, résignée et fataliste, qui ne croit plus
ou qui n’a jamais cru à un avenir meilleur, quelles
que soient les gesticulations des politiciens et les changements
de régime dans le pays, et les promesses électorales.
Mais la colère populaire nous guette tous, comme une épée
de Damoclès. N’est-il pas temps que nous les Malgaches
nous ayons aussi notre séance de vérité-réconciliation,
notre contrat social ou charte de la fraternité, une sorte
de modus vivendi entre toutes les tribus de Madagascar? Soyons
enfin sérieux et pensons aux problèmes fondamentaux
de notre pays, c’est-à-dire la concorde nationale.
Jaolaza Bien-Aimé Ambovoalanana Mahajanga
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