Ambohimanga sauvé par les corbeaux
Marovatana est sans doute le territoire de l'Imerina dont la conquête
donne le plus de fil à retordre à Andrianampoinimerina.
Tout est pourtant fait pour que ses différentes expéditions
le conduisent à la victoire.
En particulier, il fait appel à des mercenaires sakalava
qui viennent camper à Vakinitoalaza, contrée traversée
par la rivière Toalaza laquelle aboutit sur des marécages.
Et pour bien les motiver, le roi d'Ambohimanga leur offre force
vêtements, zébus, argent... Mais Marovatana est un
peuple belliqueux qui résiste tellement qu'Andrianampoinimerina
doit finalement rompre le contrat des Sakalava qu'il renvoie chez
eux.
Plus tard, c'est au tour des Marovatana d'assiéger la
Colline sacrée par l'ouest et le nord avec également
des Sakalava en renfort. Ils arrivent de nuit à Ankadifinaritana
où ils dressent leur campement, avant de poursuivre vers
Ambohibeloma. Personne ne se serait avisé de ce mouvement
silencieux de troupes ennemies si les corbeaux, qui peuplent la
forêt entourant le Rova, ne se sont mis à croasser
tant et si bien qu'ils ameutent le souverain. Celui-ci inquiet
fait mander les devins pour expliquer ce tapage nocturne inhabituel
de ces volatiles, quand des messagers accourent pour le prévenir
«que l'ennemi est à Ambohibeloma».
Aussitôt Andrianampoinimerina fait sonner les Hova qu'il
envoie affronter les agresseurs. La bataille fait rage et même
les corbeaux, selon la tradition, y contribuent en virevoltant
autour des Marovatana.
Ce qui accélère leur défaite! Ce qui leur
fait aussi dire plus tard, raconte-t-on, lorsqu'ils narrent cette
bataille «que de mémoire de guerrier, ils n'ont jamais
connu un tel combat auquel même les oiseaux ont participé».
Alors qu'Andrianampoinimerina se réveille au matin de cette
nuit exceptionnelle, en attendant le résultat des combats,
il aperçoit deux corbeaux juchés sur une des fenêtres
de son palais. Une fois encore, le roi demande ses devins, mais
déjà les messagers arrivent pour lui annoncer la
bonne nouvelle : la déroute de ses ennemis.
Il donne l'ordre à ses hommes de les poursuivre jusqu'à
Amparihibemaso où ceux qui ne succombent pas, sont faits
prisonniers. C'est, dit-on, la première bataille entre
Ambohimanga et Ambohidratrimo avant la chute de celle-ci. C'est
aussi à cette occasion, assure-t-on, que le monarque décide
de deux choses très importantes.
La première consiste à baptiser les Hova d'Ambohimanga
du nom des «Tsimahafotsy» car même s'ils portent
le titre honorifique «d' aînés des peuples
de l'Imerina, ils ne doivent pas abuser de leurs pouvoirs et mépriser
les habitants des cinq autres territoires».
La deuxième concerne les corbeaux; «ces oiseaux
qui volent et pourtant me vénèrent tant! Les ennemis
arrivent, ils croassent pour alerter mes sujets. Je dors, ils
me réveillent pour m'annoncer une bonne nouvelle!».
Aussi le roi rassemble-t-il tous ses sujets pour prononcer un
grand Kabary dans lequel il souligne la place de choix que tiendront
désormais dans son royaume les corbeaux d'Ambohimanga.
Andrianampoinimerina décrète ainsi que nul n'a le
droit de leur lancer des pierres encore moins de les tuer sous
peine d'être réduit en esclavage, perdant femmes,
enfants et biens comme tout criminel ou tout voleur. Car «ils
tracent la voie à suivre aux territoires de l'Imerina:
bien qu'ils ne soient que de simples oiseaux, ils se sont soumis
à ma souveraineté».
Quelque temps après, indique-t-on, un homme piège
un petit corbeau. Mais il est vu par un témoin qui s'empresse
de le dénoncer au roi. Celui-ci fait venir le fautif avec
le petit corvidé pour entendre sa version. L'accusé,
pince sans rire, explique calmement, affirme-t-on : le corbeau
adulte ayant volé ses arachides et son maïs, il lui
fait «perdre son petit».
Andrianampoinimerina apprécie, dit-on, l'humour de l'homme
et le renvoie chez lui sans le punir. Il ne manque toutefois pas
de réitérer sa loi : «Ne faites pas comme
cet homme. Nul ne doit toucher à une seule plume d'un corbeau
car c'est un oiseau qui me vénère».
Jusque sous le règne de Ranavalona 1ère, plus de
400 corbeaux sont nourris quotidiennement à midi au Rova
d'Antananarivo, de morceaux de viande de zébu (de surcroît
du «vodihena», part réservée au souverain
et aux seigneurs) mélangés à du riz. Le tout
présenté sur de grands plateaux.
Enfin pour leur permettre de nidifier, quelles qu'en soient les
raisons, personne ne peut couper les branches des milliers de
pieds de «aviavy» (sorte de figuier) qui se dressent
autour des Rova, ni en abattre même s'il s'agit de troncs
morts encore debout.
Néanmoins, précise-t-on, on n'a jamais entendu
une personne condamnée des peines prévues pour avoir
tué un corbeau.
Pela Ravalitera journal l' Express
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