Le gouverneur merina et les zanak'andriana sakalava
L'Express de Madagascar continue de faire fouiller la boue qui dort (mamoha
fotamandry) par ceux qui veulent bien souscrire à ses règles
: rigueur dans la démarche qui peut être scientifique ou
(mais, c'est plus rare) passionnelle. Les photos anciennes, si elles ne
sont pas toujours utiles maintenant, serviront à l'édification
des générations futures.
On imagine souvent que le pouvoir qu'exerçait le Royaume aurait
été, dans le cadre d'un impérialisme indigène,
analogue à celui qui fonctionna ensuite sous la colonisation française
qui suivit. Il se serait donc agi d'un pouvoir de type colonial où
les Merina auraient été les colons et les Tanindrana "originaires
de la périphérie" les colonisés. Nommés
par Tananarive, les gouverneurs (komandy, goverinora) les officiers et
les militaires qui les entouraient auraient simplement précédé
les administrateurs chefs de province ou de district et l'ensemble des
fonctionnaires civils qu'ils avaient à leurs ordres. Une
universitaire parisienne a ainsi écrit, il y a peu, qu'après
la conquête, les Français avaient chaussé les bottes
des Merina ! L'on ne pourrait donc pas reprocher aux Français ce
que les Merina auraient déjà fait. Le pouvoir des
komandy, pense-t-on aussi, aurait même été plus grand
et plus fort que celui des administrateurs coloniaux, car le personnel
administratif malgache appartenait à l'armée des cent mille
hommes (foloalindahy). Ce serait donc une administration et un
gouvernement de type militaire parfait, qui aurait été en
place à partir du moment où Rainilaiarivony cumula ses fonctions
de Commandant en Chef de l'armée avec celles de Premier Ministre
dont son frère Rainivoninahitriniony avait hérité
précédemment de leur père Rainiharo. On serait donc
tenté de penser que le régime politique malgache ressemblait
à ce que fut l'administration militaire instaurée par Gallieni
au moment de la conquête intérieure du pays. Conçue
à l'image de celle de la colonisation française, la politique
du Royaume l'histoire coloniale dirait plus facilement la "domination
merina" , aurait été par essence une politique coloniale,
celle de l'"impérialisme merina" un impérialisme
avec son cortège d'oppression, d'exploitation économique
et de mépris du colonisé. La thèse défendue
actuellement par beaucoup d'historiens, notamment par des héritiers
des missionnaires britanniques fut en quelque sorte instituée dès
les premiers temps de la conquête française avec la "politique
des races" de Gallieni : les considérant comme ses "alliés
naturels" contre la "monarchie hova", la République
prétendait, avec elle, libérer les Sakalava et tous les
peuples "côtiers" de la domination aristocratique merina.
Cette thèse est devenue aujourd'hui un élément important
dans le débat politique intérieur. Il convient donc d'y
revenir pour mieux comprendre ce qu'aurait été le "colonialisme
merina" et pour vérifier si les termes utilisés désignent
bien les réalités que l'on connaît sous ces mots.
Parmi beaucoup d'autres, une lettre du 14 Hrs Razafimanana, gouverneur
de Mahabo, nous permet de voir, au niveau le plus élevé
dans les provinces, la nature des relations entre le gouverneur "hova"
et Ratovonkery, Zanak'Andriana sakalava du Menabe oriental.
Gallieni, les considérant comme ses "alliés naturels"
contre la "monarchie hova", la République prétendait
libérer les Sakalava et tous les peuples "côtiers"
du "colonialisme merina". Cette thèse est devenue aujourd'hui
un élément important dans le débat politique intérieur.
Le 21 du mois du Scorpion 1871, Razafimanana rend compte à la
Reine de la guérison de Ratovonkery et de ce qu'il a fait pour
en remercier ses ancêtres. Ratovonkery, on le sait, est le fils
de Rainasy ou Renasy, dernier roi sakalava de cette région du Menabe
dont Mahabo était le centre. Rainasy avait fait allégeance
à Ranavalona Ire. Depuis 1858, Ratovonkery et sa sœur Rasinaotra
les traditions orales disent Resinaotse ont succédé
à leur père dans l'administration du Menabe. Lorsque le
gouverneur écrivit à la Reine, Ratovonkery venait de se
relever d'une longue maladie de huit mois. Il avait décidé
de célébrer sa guérison et avait déclaré
au conseil de gouvernement de Mahabo : "Maintenant que je suis guéri,
j'irai, pour cette grâce, me réjouir auprès de mes
ancêtres à Maneva. Je vous l'annonce donc à vous qui
êtes le représentant de la parole de la Reine, et à
vous les Officiers et les Andriambaventy". Avertissant de son projet
le représentant de la Reine, il en avait averti celleci par la
même occasion. Il faut se souvenir du fait que les ancêtres
royaux reposant à Maneva sont devenus ceux de la Reine de Madagascar
depuis l'acte d'allégeance de Rainasy, et que toute invocation
des ancêtres royaux doit être autorisée par le souverain
de Tananarive. S'agissant non d'un sacrifice (soro), mais d'une simple
réjouissance, l'autorisation n'était pas nécessaire,
mais l'annonce officielle pouvait éviter que naquissent soupçons
et rumeurs. Il ne faudrait pas voir dans cette déclaration l'invitation
à une fête à caractère familial, en quelque
sorte un acte privé qui n'engagerait que la seule personne et les
proches de sa famille. Dans la coutume aristocratique, quand un Prince
décide de se réjouir, il ne peut le faire qu'avec le peuple.
En Imerina, l'on se souvient qu'Andrianampoinimerina avait rappelé
à ses descendants qu'ils ne pouvaient pas se réjouir seuls
à Ambohimanga. A Maneva, qui est à Mahabo ce qu'Ambohimanga
est à Antananarivo, c'est le même principe qu'applique Ratovonkery.
Une fois faite la déclaration, l'administration du Royaume s'était
mise en branle. Le 14 Hrs Razafimanana envoya des lettres dans les différents
postes militaires du Menabe, à Midongy sur sa marche orientale,
à Manja dans sa partie méridionale et à Andakabe
à l'embouchure de la Morondava. Aux gouverneurs de ces garnisons
qui étaient sous son autorité, il donne l'ordre de désigner
des Officiers et de simples militaires pour accompagner Ratovonkery et
sa sœur à Maneva. Parallèlement, l'administration interne
du Menabe composée des Andriambaventy et des Masondrano prévint
la population sakalave.
Sur un patron culturel marxisant, un esprit critique pourrait penser
que la solidarité aristocratique se maintenait aux dépens
du peuple. Ce serait se tromper sur la nature des structures du Royaume
qui, si la société était, dans toutes les régions,
fondée sur le principe hiérarchique, n'avait rien de commun
avec les structures que posa le système de l'indigénat de
l'époque coloniale. Dans l'Empire Français, celuici institua
les colonisés comme un groupe inférieur et de droit diminué
par rapport aux colonisateurs. Soumis au code de l'indigénat et
pour des fautes qui n'étaient même pas des délits
mais des contraventions particulières comme le manque de respect
à l'autorité, les sujets français de Madagascar étaient
jugés par l'administrateur dans un système ignorant la séparation
des pouvoirs, alors que les colonisateurs continuaient à bénéficier
des droits de citoyen comme en métropole. Les Malgaches qui échappèrent
à l'indigénat par l'obtention de la citoyenneté française
à partir de 1909, ne furent jamais bien nombreux. Et c'est contre
cet indigénat, assimilé à un esclavage, que réagirent
très vite des personnalités comme Jean Ralaimongo, Emmanuel
Razafindrakoto et leurs amis français comme Dussac. Le système
de l'indigénat ne se limitait pas à être une organisation
juridique. L'accompagnait une pratique quotidienne qui niait la dignité
humaine du colonisé. Sur des fondements racistes, les théories
socialdarwinistes qui animaient la pensée occidentale, autorisaient
le colonisateur à péjorer le monde non européen et
le colon à mépriser et rabaisser le colonisé. C'est
ainsi que certains colons rêvaient, par l'enseignement technique,
de faire des enfants des anciens seigneurs les techniciens subalternes
des exploitations concessionnaires et étaient exaspérés
de les voir s'orienter vers les études de médecine. La coutume
coloniale qui tendait à maintenir la partition de la société
le plus fréquemment une forme d'apartheid mou , voulait aussi qu'un
fonctionnaire indigène ne possédât pas les mêmes
signes extérieurs de modernité que l'un de ses supérieurs
français. Affecté en province dans les années trente,
un médecin indigène se sentit contraint de changer de voiture,
car l'administrateurmaire de la ville avait la même lequel administrateurmaire,
de son côté, fit de même. Rien de tel dans le Royaume
de Madagascar. Tout au long de son existence, il affirma l'unicité
du droit applicable à tous les sujets dans leurs rapports avec
le fanjakana, et notamment, qu'ils soient des Hauts ou des Bas, l'égalité
juridique de tous les sujets libres. " Ny Ambaniandro tsy misy hafa,
répèteton, les Ambaniandro sont juridiquement tous les mêmes
". Sont Ambaniandro, faut-il se souvenir, tous les habitants du Royaume
à l'exception des andriana et des andevo. Mais les codes (didimpanjakana)
que promulguèrent les souverains du XIXe siècle à
leur avénement et qui fixaient le barème des peines qu'ils
s'engageaient à respecter au cours de leur règne, prévoyaient
tous, depuis celui de Ranavalona Ire en 1828, que les peines appliquées
dans les Hauts, donc dans les six provinces de l'Imerina, seraient diminuées
de moitié dans les provinces des Bas. Cette " discrimination
positive ", diraiton aujourd'hui, est un fait capital dans l'appréciation
de ce qui aurait été une forme de colonisation et de colonialisme.
A l'opposé du système de l'indigénat qu'instaura
la " patrie des droits de l'homme " après la conquête
coloniale, cette discrimination est la négation parfaite du colonialisme.
Tout au long de son existence, le Royaume de Madagascar affirma l'unicité
du droit applicable à tous les sujets dans leurs rapports avec
le fanjakana, et notamment, qu'ils soient des Hauts ou des Bas, l'égalité
juridique de tous les sujets libres. Mais les didimpanjakana que promulguèrent
les souverains du XIXe siècle prévoyaient tous, depuis celui
de Ranavalona Ire en 1828, que les peines appliquées dans les Hauts,
donc dans les six provinces de l'Imerina, seraient diminuées de
moitié dans les provinces des Bas.
Quand le 14 Hrs Razafimanana, gouverneur de Mahabo, endosse le rôle
de directeur du protocole de Ratovonkery et appelle les officiers en poste
dans le Menabe à se faire représenter à la fête
que le Zanak'Andriana sakalava de Mahabo organise à Maneva, il
ne met pas en œuvre une quelconque complicité qui, au sommet
de la hiérarchie sociale, aurait existé entre les officiers
de la Reine et les seuls Grands de la région. Il accomplit normalement
la mission d'un gouverneur de province qui lui prescrit de " prendre
soin " (mitaiza, mitandrina) des héritiers de la précédente
dynastie à qui l'organisation unificatrice du Royaume reconnaît
le statut de Zanak'Andriana, d'Enfant de la Reine, statut analogue à
celui des " Princes du sang " dans l'ancien Royaume de France.
Les relations entre le 14 Hrs Razafimanna et le Prince sakalava n'ont
rien de commun avec celles que la colonisation institua, au siècle
suivant, entre l'administrateur chef de province et le " roitelet
" du Menabe. Tant le statut juridique de tous les habitants de la
province de Mahabo que la dignité et la qualité de la fonction
sociale de Ratovonkery montrent bien que l'on ne saurait, sans mauvaise
foi, parler de colonialisme merina.
Qu'aurait fait la Reine si Anatirova avait brûlé au siècle
dernier ? La question ne s'est heureusement pas posée à
l'époque, mais s'est posée celle des travaux de restauration
qu'il fallait périodiquement envisager et entreprendre. Une lettre
d'Andrianilana 11 Hrs, gouverneur d'Antomboka, nous fournit un début
de réponse au sujet de la procédure qu'engageait le gouvernement
et de la nature des ressources qui étaient alors collectées.
En 1875, Ranavalona II voulut engager des travaux dans le rova d'Ambohimanga,
Elle le fit savoir à la province d'Antomboka par une lettre du
10 du mois de la Balance 1875. Elle s'adressait alors, non pas seulement
au gouverneur, aux officiers et à toute l'armée, comme elle
le fait le plus généralement, mais aussi nommément
"à Ratsimiharo mon parent". qui était le mpanjaka
de l'Ankarana, et aux deux principaux Andriambaventy, Ramohamady et Ratsifandrama,
ainsi qu'à l'ensemble des Andriambaventy et à la population
d'Antomboka et de la Lokia. Antomboka était à l'époque
le siège du gouvernement situé le plus au nord de Madagascar,
là où ensuite fut établi DiégoSuarez et où
maintenant se situe Antsiranana. Quant à la Lokia, que les cartes
actuelles dénomment Loky, alors que la graphie ancienne en indique
mieux la prononciation, c'est le fleuve qui sépare les départements
actuels d'Antsiranana et de Vohémar. Le gouvernorat d'Antomboka
regroupait donc les deux versants, est et ouest, de l'extrême nord
de Madagascar. Dans la copie de la missive royale que nous a conservée
Andrianilana, la Reine se contente d'indiquer laconiquement son projet.
Entre les formules habituelles de ses correspondances celles du début
où elle annonce qu'elle prend la parole et celles de la fin par
lesquelles, avant de les saluer, elle rappelle à ses représentants
la conduite à suivre , deux courtes phrases : "Manamboatra
ny Rova ao Ambohimanga. Ka Ambohimanga no hihetsika ka ilazàko
hianareo.". "Je vais faire des travaux au Rova d'Ambohimanga.
Et comme c'est Ambohimanga qui va bouger, je vous en fais part."
Elle ne formule aucune demande et ne fournit aucun devis ni évaluation
des dépenses à venir. Mais tout de suite se met en marche
la réponse de la province.
La réponse de la province
Le 11 Hrs Andrianilana, Aide de camp du Premier Ministre, donne le détail
des informations dans sa lettre en date du 17 du mois du Capricorne 1875.
c'estàdire plus de trois mois après la rédaction
de la lettre de la Reine, Ce n'est pas que l'administration provinciale
ait été particulièrement lente, mais, outre le temps
qui avait été nécessaire sur place au rassemblement
des différentes contributions. il faut compter qu'après
sa rédaction, il est possible que la lettre ait encore attendu
le départ des courriers royaux, et il fallait bien évidemment
le temps de faire à pied, le plus souvent le trajet d'Antananarivo
à Antomboka.
Quand la lettre de la Reine arrivait dans une province, c'est comme
si la Reine ellemême s'y rendait en visite. Le hasina habituel et
protocolaire d'une province lui était alors offert. Celuici se
composait de la piastre entière (vola tsy vaky) par laquelle elle
l'assurait de son allégeance, et du zébu volavita par lequel
elle lui fournissait l'offrande de bienvenue et, symboliquement, la nourriture
nécessaire.
Mais l'émulation qui existait traditionnellement même
si, comme s'en plaignent les missionnaires, elle était plutôt
rare dans beaucoup des temples de l'époque , a ici parfaitement
joué. L'un des deux 11 Hrs, Rainisoamanambola, donne quatre fois
plus que son collègue Ranjaiany, qui pourtant est Aide de Camp
du Premier Ministre et exerce les fonctions de gouverneuradjoint. De
même, des huit officiers qui ont le grade de 8 Hrs, trois d'entre
eux, Ratrimo Aide de Camp du Premier Ministre, Randriamihaza et Rainimamonjy,
contribuèrent au même niveau que les 9 Hrs. Egalement, trois
6 Hrs, Rabesihanaka, Ramahafadrahona et Rafinimanga, donnèrent
chacun une contribution d'une piastre, donc à un niveau supérieur
à celui qui était retenu pour les 8 Hrs et légèrement
inférieur à celui des 9 Hrs. A la contribution de l'armée
sont associées celle d'un Européen qui était commerçant
à Antomboka, et celle des havan'Andriana "parents de la Reine".
Il est intéressant de noter que, pour les travaux d'Ambohimanga,
qui était la capitale religieuse par excellence et le symbole de
la malgachité profonde, la participation d'un commerçant
européen ne semblait pas incongrue, ni même ne devait être
refusée ; mais la formulation du gouverneur, "et il y eut
un Européen commerçant, qui s'appelle Mosero, qui versa
de l'argent", paraît bien quelque peu empruntée, et
ne s'inscrit pas dans la logique habituelle d'une telle situation. Il
serait intéressant de savoir quelle attitude adoptèrent
les autres Européens, et notamment ce que firent les missionnaires
qui étaient à Antananarivo. Quant aux havan'Andriana, qui
sontils ? La piastre qu'ils versent semble bien être un hasina,
plutôt qu'un fitiatsimbahetra, même si elle termine la liste
des contributions. Il faut écarter l'hypothèse que ce puisse
être la participation de Ratsimiharo, car j'ai le sentiment que,
dans ce cas, d'une part, le nom de ce Prince aurait été
donné ainsi que sa qualité de havandRanavalomanjaka, et
que, d'autre part, il n'aurait pas été adjoint à
la liste de l'armée. Qui sont ces derniers ? Des andriana évidemment,
mais étaientils installés à Antomboka sans appartenir
à l'armée ? Ou bien étaientils des militaires qui
auraient refusé d'être inclus dans la masse de l'armée,
parce qu'ils n'avaient pas à verser le fitiatsimbahetra à
la Reine, et qu'en de telles circonstances ils offraient le hasina à
celle qui restait à la tête de la grande famille andriana.
Je n'ai pas encore de réponse à cette question.
Armée et Ambaniravinkaro
Dépassant la question de la participation des andriana se pose
une question plus générale, inhérente à la
nature complexe de l'ancienne société malgache : qui était
soumis à ces versements et qui en était exempté ?
Le hasina de la monnaie entière et du zébu volavita était
présenté au nom de l'ensemble de la province. Il y eut deux
fitiatsimbahetra "contributions volontaires". L'une fut présentée
par les membres de l'armée, l'autre par les civils (borizano) de
la province. Cette dernière le fut au nom des "Andriambaventy
et de l'ensemble de la population native d'Antomboka et de la Lokia".
Depuis que Radama Ier avait créé le corps des foloalindahy
"les cent mille hommes, l'armée" et l'avait placé
au dessus des civils, une telle distinction était institutionnelle
et ne s'appliquait pas seulement à l'Imerina mais à l'ensemble
du Royaume. Quant au solombokatra, la lettre d'Andrianilana ne permet
pas d'assurer que seuls les civils la payaient. Quand il écrit
que les "productions de la terre" sont offertes par "izahay
Ambaniravinkazo", l'on peut comprendre que luimême, comme le
font d'ailleurs d'autres gouverneurs, s'inclut au nombre des sujets vivant
à la périphérie du pays dans les régions boisées.
Mais il est également possible qu'il ne fasse que rapporter ici
les paroles de Ratsimiharo ou celles de l'Andriambaventy représentant
la région et que, de ce fait, le "izahay" ne comprenne
pas les militaires. La question reste donc pendante. Sans que la Reine
ait eu besoin de préciser qu'elle demandait une aide pour effectuer
les travaux au Rova d'Ambohimanga, son appel avait été entendu.
Et la lettre qu'il signait avec Ratsimiharo et les représentants
de l'armée et des civils ainsi que l'argent qui avait été
recueilli, le gouverneur les faisait porter à Antananarivo par
une délégation protocolairement composée à
l'image de la population de la région, une délégation
dont n'étaient pas exclus les islamisés, puisque dans le
nom de l'Andriambaventy antakarana qui en faisait partie, Rahosiny, l'on
retrouve la malgachisation de Hussein ou Houssein. En cas de nécessité,
la Reine pouvait compter sur les bonnes dispositions de ses parents comme
Ratsimiharo, Mpanjaka de l'Ankarana, et de ses sujets les plus éloignés
comme ceux de l'extrêmenord de la Grande Ile. Corrigeant les clichés
déformants à travers lesquels on imagine le passé,
une telle lettre permet de mieux comprendre les relations qui existaient
autrefois entre l'Ankarana et Antananarivo, entre le Roi de l'Ankarana
et la Reine de Madagascar.
Le trépas d'un souverain était l'occasion d'un deuil national.
Il ne "mourait" pas mais "tournait le dos" (miamboho).
Il se situait à la charnière du monde que nous voyons et
de l'autre monde. Il tournait le dos à ce monde pour entrer pleinement
dans l'autre. Son titre changeait. Il n'était plus Ny Andriana
ou Ny Manjaka, mais Ny Masina, "Le Saint, La Sainte".
Dans une autre lettre que ne signent que le gouverneur et son adjoint,
ceux-ci donnent la composition d'un la-lampò privé. Du point
de vue de la norme administrative, même si le gouverneur en fait
un lalampò, il s'agit là non d'une obligation, mais d'une
contribution volontaire (fitiatsimbahetra), comme l'indique une annotation
des bureaux tananariviens. Ce lalampò privé est fait par
le gouverneur luimême pour une somme de 39,58 francs, par son adjoint
(19,58 francs) et deux vadimbazaha, Ravahidria (5 francs) et Raivo (2,50
francs), soit au total 66,66 francs. Ce sont toutes des personnes importantes
et qui jugent nécessaire de faire un geste personnel, peutêtre
parce qu'elles avaient une démarche en cours. Cela se comprend
pour le haut personnel administratif qui est en relation directe avec
le roi et qui a plus de devoirs envers l'Etat. C'est sans doute le cas
de Ravahidria qui avait obtenu un visa de sortie pour aller avec les siens
rendre visite à l'un de ses fils établi à l'île
de la Réunion et que le décès de la Reine va obliger
à renouveler sa demande. Quoi qu'il en soit, les vadimbazaha "épouses
de vazaha" ont un statut social qui est reconnu sur l'ensemble de
la côte orientale au XVIIIe et au XIXe siècle et qu'elles
conservent après le décès ou le départ de
leur mari. Peu nombreuses et appartenant souvent à des familles
andriana, elles apparaissent comme des femmes influentes, riches et indépendantes.
Qu'on les retrouve dans ce geste aux côtés du gouverneur
et de son adjoint n'a donc rien d'étonnant. Ce sont des notabilités
dans la ville.
Dans la lettre où il annonce l'envoi du lalampò de la province,
le gouverneur traite aussi des affaires courantes. Il signale à
l'attention du Roi que les trois armuriers (mpanefy basy) qui ont été
affectés à FortDauphin donnent toute satisfaction. La réparation
des armes à feu était un des soucis constants de nombreuses
garnisons, et Fort-Dauphin en avait longtemps souffert. Il signale aussi
qu'en dehors de l'armée, dans la ville, le peuple qui vivait dans
la mouvance du royaume se composait de 120 hommes adultes, et évidemment
de leurs familles. Que ces affaires soient traitées dans la même
correspondance que l'envoi du lalampò montre que ce dernier était
au nombre des actes administratifs normaux. La nouvelle du décès
d'un souverain n'avait à être accompagnée ni d'une
demande d'aide ni de toutes les mesures qui devaient être alors
rappelées à la population. Les gouverneurs et le peuple
savaient quelles étaient les activités interdites pendant
la durée du deuil, tout comme ils savaient qu'ils allaient contribuer
au lalampò. Cette aide était aussitôt recouvrée
et envoyée. En 1861, la collecte des quelque 275 francs de la province
n'avait pas demandé plus de trois jours.
JeanPierre Domenichini
L'Express de Madagascar
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