Les navigations austronésiennes dans l’océan Indien
L’histoire ancienne de Madagascar serait “la
plus belle énigme du monde” pour les mieux disposés
à l’égard de la culture malgache. Ce ne serait que
la période des “temps obscurs” pour le commun des coloniaux
et néo-coloniaux. La science officielle est donc partagée
entre la bienveillance généreuse et l’hostilité
culturelle, entre la sympathie à l’égard d’hommes
que l’on connaît et que l’on fréquente, d’une
part, et, d’autre part, le sentiment que les Malgaches appartiennent
à des “races” qui ne pourraient prétendre à
une humanité pleine et entière. La première position
avec Hubert Deschamps peine à comprendre.
La seconde, qui est la plus commune et qui a été la mieux
diffusée par les médias depuis plus d’un siècle,
imagine les scénarii les plus désobligeants.
Les questions qu’elle pose, s’agissant des moyens, des trajets,
des dates, des hommes, ont reçu des réponses qui sont souvent
autant de manifestations d’incivilité, dirait-on aujourd’hui
par amabilité mesurée.
Comme le présageait, à la charnière des 18e et 19e
siècles, le philosophe Friedrich Hegel, héritier des Lumières
et partisan de la Révolution, c’est l’Europe qui donnera
son histoire à une Afrique qui, stricto sensu, n’en avait
pas.
L’histoire de Madagascar a donc été conçue
par le 19e siècle européen avec ses vieilles idées
de l’idéologie du sang s’il y a un “bon sang
qui ne saurait mentir”, il y a donc un mauvais sang qui ne peut
que tromper et quelques nouvelles, telles que l’évolution
des espèces vivantes selon Darwin, leur croisement créant
(ou recréant) l’idée de l’existence de “races
supérieures”. Et ce social-darwinisme introduisit une rupture
dans les représentations européennes.
Au début du 17e siècle, en effet, les navigateurs, qui circulaient
en caravelles et croisaient des bateaux “malais” de plus grande
envergure, constataient que les Malgaches parlaient une langue voisine
de celle des Malais. Ils ne se posaient pas la question de savoir comment
les habitants de la Grande Ile avaient fait pour venir s’installer
en ce bout du monde de l’océan Indien. Ils y étaient
évidemment venus en bateau. Ils ne se demandaient pas non plus
ce qu’aurait été la nature de l’humanité
des Malgaches. C’étaient des hommes dont Colbert et Louis
XIV, avons nous vu, pensaient pouvoir faire des sujets du royaume, ayant
même loi, même foi et même roi que ceux de France.
Le 19e siècle, avec son social-darwinisme magnifié par le
nationalisme, développa par contre un corps de doctrine tendant
à établir une supériorité irrépréhensible
des Blancs, qui les aurait conduits à la “Civilisation”
à majuscule initiale et au singulier . Et c’est là
le fondement de la pensée et des décisions politiques en
matière de colonisation. L’histoire de Madagascar qui fut
alors élaborée, et qu’il nous faut à présent
corriger, n’en fut que l’application.
Les dérives du discours minorant
Les premiers temps de l’histoire de Madagascar sont encore bien
souvent donnés pour être les “siècles obscurs”
ou, pire, les “temps obscurs”, la première expression
donnant une idée de durée assez longue mais sans plus, la
seconde formulant une indétermination qui permet toutes les limitations
possibles.
L’ignorance des données et l’assurance de posséder
la vérité permettent alors d’avancer n’importe
quelle hypothèse et d’en faire le corps du récit.
Et la répétition continuelle des hypothèses a fini
par leur donner consistance et force d’évidence.
Il en est ainsi des circonstances et du contexte de l’arrivée
à Madagascar d’hommes venant d’Asie. On s’est
interrogé sur le pourquoi de ces déplacements en élaborant
des scénarii catastrophes. Ces hommes ont-ils, dans des luttes
locales, peut-être tribales, été vaincus et contraints
de déguerpir ? Ou bien : ont-ils été victimes d’une
épidémie qu’ils auraient fuie ?
Même ceux qui avaient en mains ce qu’il fallait pour voir
juste ont alors préféré privilégier l’infériorité
posée d’avance par rapport aux auteurs européens des
“grandes découvertes”. Ainsi en fut-il notamment de
Crawfurd qui assurait, péremptoire : “Ce n’est assurément
ni le commerce, ni la religion, ni le désir de conquête qui
engagea les peuples malais dans cette entreprise, car ils n’ont
jamais été connus comme ayant quitté leurs rivages
pour poursuivre de tels buts.”
Cela posé, bien qu’ayant constaté que les vaisseaux
malais pouvaient faire la traversée de l’océan Indien
en trente-trois jours, cet auteur se demandait si le peuplement de Madagascar
ne serait pas le résultat du naufrage accidentel peut-être
répété au cours des âges d’un vaisseau
ou d’une flottille d’écumeurs des mers malais, qu’une
tempête aurait entraînés dans la zone des alizés.
Et, plus surprenant encore, son ouvrage (paru à Londres en 1852)
étant principalement une grammaire et un dictionnaire du malais,
Crawfurd, ayant mené une comparaison, ne trouva d’origine
malaise dans le malgache que quelques noms de plantes cultivées,
qu’il s’expliquait par le fait que les flibustiers auraient
“épargné quelques grains de riz, quelques noix de
coco, et quelques piments sic
, peut-être même quelques ignames et noyaux de mangue”
qu’ils auraient multipliés sur les lieux de leur(s) naufrage(s).
Le développement du thème des difficultés de la navigation
prend une grande importance à partir du moment où la navigation
à vapeur installe de nouvelles habitudes de régularité
et de sécurité dans les trajets.
Les Européens oublièrent alors l’aventure et les dangers
qu’avaient connus les voyageurs des siècles antérieurs
et ne purent concevoir que des “primitifs” aient pu accepter
de les courir. La peur du civilisé devenait la terreur du primitif.
C’est alors qu’intervient la pirogue à balancier. Ses
différentes réalisations, se retrouvant dans toute l’aire
austronésienne, donnent à celle-ci une unité qu’aucun
auteur ne conteste vraiment. Les yeux fermés sur les grands bâtiments
et leur possible ancienneté, comment envisager que des hommes,
sur de “si frêles embarcations”, aient pu s’engager
sur un océan inconnu pour rejoindre des terres inconnues ?
Ayant repoussé le thème du naufrage accidentel, les savants
indigénophiles se devaient de trouver une solution de rechange.
C’est alors qu’intervient celle du cabotage. Partis sans espoir
de retour des îles d’Asie du Sud-Est, les migrants auraient
suivi les côtes de l’Inde, de l’Arabie et de l’Afrique
avant d’atteindre la Grande Ile. Cet itinéraire aurait duré
un certain temps, car ils auraient fait étape ici et là
pour faire des cultures et renouveler leurs provisions de voyage.
Une variante fut proposée qui, à partir de l’Inde,
passait par les Maldives et les Seychelles. Elle ne fut pas retenue, car
l’avantage du premier itinéraire, outre qu’il évitait
les grandes étendues marines, résidait aussi dans le fait
qu’il permettait nous y reviendrons de donner une origine africaine
aux types noirs de la population malgache.
Se posait cependant la grande question de la chronologie : à quelles
dates se seraient donc situées les premières arrivées
? Alors qu’en dehors de toute autre préoccupation que celle
de l’évolution du milieu naturel, la biogéographie
d’ailleurs rejointe par l’anthropologie physique envisageait
une première arrivée vers 2 500 ans avant notre ère
et une occupation humaine continue de quarante-cinq siècles, la
plupart des historiens et des plumitifs les situaient bien plus près
de nous.
Par une analyse approfondie mais limitée de faits de langue, le
savant Otto Dahl, qui supposait un unique foyer de départ le pays
maanjan , les datait du 4e siècle de notre ère. Des données
de l’archéologie, un archéologue défendait
encore récemment la date du 10e siècle de notre ère,
malgré des datations absolues plus anciennes dont il avait plus
que quiconque connaissance, en étant co-auteur.
Le réseau commercial austronésien
Le conflit entre chronologie longue et chronologie courte indique assez
bien la nature quasi politique du débat. L’ancienneté
de la présence assurant la légitimité de la possession,
si les Malgaches n’étaient pas présents de longue
date sur le sol de la Grande Ile, ils n’auraient guère eu
plus de droits que les colonisateurs.
Par hypercriticisme scientifique, la recherche administrative penchait
donc vers la chronologie courte. Déjà, à la fin du
19e siècle, l’architecte Anthony Jully, futur premier président
de l’Académie malgache, datait du 17e siècle l’arrivée
des ancêtres des reines auxquelles s’était heurtée
la France. Leur arrivée aurait été contemporaine
de la “prise de possession” de Fort-Dauphin par Louis XIV
!
Qu’en fut-il vraiment de tout cela? Deux traversées récentes
jusqu’à Madagascar, l’une organisée par un descendant
des Vikings, l’autre par des marins indonésiens, ont voulu
prouver que le trajet en ligne directe était faisable avec les
moyens anciens.
La première fut faite avec le “Sarimanok”, une très
grande pirogue à voile reconstituée à partir des
modèles utilisés dans l’ancienne flotte des Philippines.
La seconde, celle de l’“Amanagapa”, se voulut à
la fois plus authentique et plus digne de la science ancestrale de la
navigation.
La démonstration n’a pas totalement convaincu, car les marins
qui les dirigèrent avaient malgré tout des connaissances
que n’avaient pas pu avoir les hommes du lointain passé.
Ainsi, pour emporter l’adhésion des sceptiques, mieux vaut
encore arguer de ces migrations et voyages précédemment
évoqués et qui ont diffusé le complexe néolithique
de l’Asie du Sud-Est dans un espace immense, celui du Pacifique,
pour lequel nul ne songerait à évoquer le cabotage.
Et l’on peut, s’il le faut pour faire bonne mesure, en appeler
aux témoignages écrits, et plus proches de nous, des chroniqueurs
de la marine héritière mais rivale, à savoir la marine
arabo-persane qui ne l’emportera qu’à partir du 13e
siècle, car ceux-ci attestent, pour la période du 9e au
13e siècle, de l’existence d’une marine hauturière
austronésienne et/ou déjà proprement malgache tant
dans le canal de Mozambique que pour la liaison directe de Madagascar
à Aden en navire à balancier, que les boutres arabes ne
pouvaient relier qu’en trois étapes, s’arrêtant
successivement à Quiloa, puis à Mogadiscio.
Les sources grecques et romaines, quant à elles, attestent qu’antérieurement au moins depuis l’époque d’Hérodote, au 5e
siècle avant notre ère, et au moins jusqu’au milieu
du 7e siècle après, à s’en rapporter aux registres
des douanes romaines, la marine austronésienne avait établi
dans l’océan Indien un réseau commercial qui faisait
négoce des plantes médicinales, condimentaires et aromatiques
que procurait une collecte dans les milieux naturels de l’Asie du
Sud-Est au départ, de Madagascar en appoint ultérieurement
: ce fut la “route du cinnamome” mise en évidence par
Miller et dont l’itinéraire par l’est et le sud de
Madagascar était en partie liée à la stratégie
commerciale, les Austronésiens désirant cacher leurs lieux
d’approvisionnement.
Outre les épices et les simples, ce commerce, bien sûr, concernait
aussi d’autres produits. Parmi les plus importants figurait la soie,
dont le négoce, selon les sources méditerranéennes,
se trouvait entre les mains des Sères les “hommes de la
soie” qui, pour l’époque, étaient encore des
Austronésiens et non des Chinois. Car il faut dire que le travail
de la soie était déjà attesté au 4e millénaire
avant notre ère dans le sud de ce qui est aujourd’hui l’espace
chinois.
Et de même qu’on n’est pas sans connaître l’existence
d’une “route de la soie” du sud, qui passait par la
mer, de même sait-on que l’arrivée annuelle des tissus
de soie à Rome intéressait au plus haut point l’empereur
Auguste et sa famille.
Mais ces Sères, à en croire Héliodore, savaient aussi
se saisir des opportunités offertes par le marché. C’est
ainsi qu’il les présente fournissant l’armée
“éthiopienne” en éléphants d’Asie
qui, à la différence de ceux d’Afrique, sont domesticables
et dressables pour de multiples tâches. Et non seulement ils les
transportaient en bateau jusqu’au port d’Adulis sur la mer
Rouge, qui fut aménagé à cet effet, mais c’étaient
également eux qui, pendant un temps les conduisirent et les manœuvrèrent
en tant que mercenaires, comme ils le faisaient d’ailleurs couramment
en certaines armées d’Asie du Sud-Est.
Cela dit, si les êtres humains transportés vers le bassin
occidental de l’océan Indien étaient probablement
pour la plupart des migrants volontaires, il n’en était en
revanche pas de même de certains passagers (beaucoup ?) des voyages
de retour, dont au moins une source chinoise des débuts de notre
ère s’étonnait que les Austronésiens fassent
commerce, au même titre que l’ivoire, les peaux de bête,
l’ambre gris ou les holothuries. Il s’agissait, diront plus
tard des sources arabo-persanes, d’esclaves zandj arrachés
à l’Afrique de l’Est et à la Corne d’Afrique
et faisant ainsi apparaître les Austronésiens comme ayant
eux aussi commis le péché capital de traite négrière encore qu’on ne sache pas toujours vers quelle destination, outre
le Moyen-Orient, les premiers esclaves zandjs reconnus à la cour
impériale de Chine n’y étant arrivés qu’au
7e siècle.
Versant occidental de celui qui conduisait vers la Chine, le réseau
qui fit de l’océan Indien une Méditerranée
austronésienne, ne se constitua sans doute pas en un seul voyage,
pas plus que les Européens n’ont découvert en un seul
jour les côtes africaines, l’Amérique et les Indes
orientales. Il va de soi que l’établissement de ce commerce
austronésien transocéanique a demandé la recherche
simultanée de routes et de marchés par des voyages de découvertes,
des explorations et des négociations. Et pour la période
antérieure à ces attestations, les recherches à venir
ne doivent pas écarter des relations plus anciennes encore avec
l’Egypte pharaonique.
C’est donc dans un espace océanique reconnu que se firent
les établissements austronésiens. Circonstanciellement,
les scénarii catastrophes ont pu jouer. Mais fondamentalement,
l’on a affaire à l’aboutissement vers l’ouest
d’un vaste mouvement historique de peuples à qui les progrès
du néolithique assuraient la croissance démographique, et
la mise en valeur des milieux naturels la puissance économique.
Voilà les clefs qui éclairent la “plus belle énigme
du monde”. La difficulté se trouvait peut-être même
moins dans l’ignorance où l’on était des données
de l’histoire ancienne que dans l’imaginaire impérialiste
et ses fantasmes de supériorité. Les Malgaches n’avaient
pas débarqué dans la Grande Ile après avoir dérivé
sur l’océan Indien; ce qui avait dérivé, c’était
l’esprit de ceux qui en écrivaient.
La question égyptienne
Il est, dans toute recherche, des domaines inexplorés que l’on
découvre peu à peu. Pour la connaissance du passé,
l’historiographie, étude de ce qui fut écrit sur le
passé et donc histoire de l’histoire, montre que les
débuts d’une histoire particulière sont toujours “dépassés”
par des découvertes qui inscrivent les faits connus dans une chronologie
plus longue.
Il en est ainsi des relations du monde austronésien avec le monde
méditerranéen. Avec certitude, on peut les dater au moins
du 5e siècle avant notre ère. Mais elles peuvent être
plus anciennes.
Il nous a été, en effet, signalé que les Égyptiens
de l’époque pharaonique avaient utilisé la cannelle,
plante endémique d’Asie du Sud-Est, dans la momification
des corps. L’on nous dit aussi que la barque funéraire de
la reine Hatchepsout était un bateau “cousu”. S’il
en était ainsi, les relations directes ou indirectes des Austronésiens
avec le Nord-Est de l’Afrique remonteraient à un passé
plus lointain et auraient été d’importance, car dans
le marché des pompes funèbres, la demande ne subit pas de
récession et les besoins égyptiens en aromates devaient
demeurer constants.
Pour assurer les conclusions possibles, il faudrait bien connaître
les techniques de momification et la nomenclature des aromates dans la
langue de l’Egypte ancienne. De même faudrait-il étudier,
face à la curieuse similitude avec les bateaux austronésiens,
les techniques de construction des bateaux égyptiens. Les anciens
Égyptiens, à ce qu’on admet couramment, ne furent
pas marins, mais ils construisaient des bateaux pour circuler sur le Nil,
seule grande voie de communication et de transport en l’absence
de route dans un pays qui ignora longtemps la roue, le chariot mais aussi
le fer. Ces bateaux faisaient partie du mobilier funéraire que
les défunts emportaient avec eux.
Reste que la reine Hatchepsout, qui assura une régence bien connue
à la mort de son mari c’était au 16e siècle
avant notre ère, dirigea bien une expédition maritime
sur la côte somalienne au delà du détroit du Bab el-Mandeb.
Le récit en est fait sur des bas-reliefs du temple de la reine
à Deir el-Bahari. Si l’ensemble des faits signalés
était bien confirmé, cela allongerait d’un millénaire
les relations commerciales avec l’Asie du Sud-Est et entraînerait
bien des révisions dans la reconstruction de l’Histoire.
Jean-Pierre Domenichini et Bakoly D. Ramiaramanana
http://www.ile-bourbon.net
LES MERINA
* Les Merina constituent l'un des quelque vingt groupes ethniques
(foko) ou nations autochtones occupant de nos jours l'île
de Madagascar. Leur pays d'origine, l'Imerina se trouve au centre
de l'île, dans la partie nord de la région des hautes
terres. Leur capitale traditionnelle est la ville d'Antananarivo,
fondée vers la fin du XVIe siècle.
* Les Merina proprement dits (à savoir les descendants
des anciens Hova et des Andriana ; on les qualifie aussi familièrement
de Tsalo, par allusion à leur type asiatique prononcé
et à leur chevelure ordinairement droite) représentent
la moitié environ des habitants actuels de l'Imerina, soit
une population de l'ordre de deux millions de personnes.
Un peuple extraordinaire
* En les visitant pour la première fois en 1895, le journaliste
français J.Carol ne trouva rien de mieux que de qualifier
les Merina de "plus grande curiosité de Madagascar"!
Une remarque d'autant plus pertinente alors lorsqu'on sait que
ce pays est particulièrement riche en manifestations originales.
Ne dit-on pas déjà qu'en raison d'un isolement précoce,
les deux tiers au moins de la faune et de la flore traditionnelles
de l'île sont endémiques et ne se rencontrent nulle
part ailleurs au monde!
* Car tout est effectivement surprenant chez les Merina. Depuis
leur type physique que l'on ne s'attend guère à
rencontrer dans cette partie de la planète jusqu'à
leur histoire et l'ensemble de leur civilisation traditionnelle.
Encore faut-il évidemment que l'on en soit informé,
ce qui, tout aussi étrangement est loin d'être facile,
tant les informations les concernant sont en définitive
très rares, ou alors, fortement sujettes à caution
et nécessitent de sérieuses précautions avant
de pouvoir être utilisées. La preuve en est que bien
peu de gens à l'extérieur de Madagascar connaissent
l'existence du nom ethnique "merina", pourtant attesté
depuis le début du XIVe siècle et rendu officiel
depuis le XVIe siècle. Il est vrai que cela s'explique
en partie par le fait que l'on confond souvent celui-ci avec l'appellation
générique d'origine étrangère "malgache",
déformée ensuite en "malagasy" par la
prononciation des gens du pays. Mais on se doute bien que les
deux réalités ne se recoupent nullement, sauf peut-être
sur le plan des embrouilles politiques et le simple fait que beaucoup
s'imaginent que c'est le cas montre justement combien la désinformation
est phénoménale en la matière.
* En tout cas, on commence dès lors à comprendre
pourquoi le principal groupe ethnique d'un pays sur lequel on
a écrit des dizaines de milliers d'ouvrages et d'articles
apparaît aussi comme l'un des plus mal connus au monde !
Les malayo-indonésiens de Madagascar
* Le premier signe distinctif des Merina est leur aspect physique
qui se doit de refléter uniquement une appartenance à
la race malaise. Le Merina typique possède ainsi une couleur
brune (zarazaza, répondant au sawo matang des Malais d'Asie
du Sud-Est!) ou olivâtre, les cheveux ondulés ou
droits, les yeux en amande, souvent légèrement bridés,
la membrure fine et une taille relativement petite.
* La langue merina (fiteny merina) est remarquable par la douceur
et la musicalité chantonnante de son intonation. Par son
vocabulaire de base et sa phonologie, celle-ci se rapproche surtout
des langues indigènes du sud-est de Kalimantan (Indonésie)
et, par sa syntaxe, des langues de Sulawesi et des Philippines.
Ecrite en caractère latin depuis 1823, elle possède
une assez riche littérature.
* Malgré ses origines maritimes, l'adaptation au cadre
particulier des hautes terres de Madagascar acheva de transformer
la civilisation merina en civilisation montagnarde et paysanne
évoluée. Même ainsi si les anciennes maisons
princières étaient édifiées en bois,
les habitations populaires étaient en terre battue. Les
villages (vohitra, répondant au malais bukit, "colline"),
perchés en hauteur étaient habituellement entourés
de fossés défensifs profonds (ady vory), quelquefois
de plusieurs couches. On peut en estimer le nombre des vestiges
à 20.000 environ.
* L'habillement traditionnel était à base de tissu
de soie (landy), porté sous forme de toge ou lamba, souvent
de couleur blanche. En déplacement, les grands personnages
s'abritaient en outre sous des parasols (elo) et étaient
portés sur des chaises à porteurs (filanjana).
* L'alimentation était à base de riz, cultivé
dans des rizières aménagées en plaine ou
en terrasse. A la suite de vieux héritages ancestraux remontant
à la nuit des temps, les paysans merina ont toujours possédé
une grande maîtrise des techniques hydrauliques. Dans les
régions bien irriguées, ils pouvaient ainsi obtenir
facilement deux récoltes annuelles.
* Les forgerons merina étaient également remarquables
pour leur habileté à travailler différents
types de métaux (le fer, l'acier, l'or, l'argent, etc.).
Pour le travail de la terre, l'outil de base était l'angady,
une bêche à longue lame. Les armes les plus fréquemment
utilisées étaient le javelot (lefona), le sabre
(antsibe), le fouet (japy) et la fronde (antsamotady). Les hommes
cultivaient en outre l'art martial du diamanga, analogue au pencak
silat malais (et plus loin au "kung-fu" chinois).
* Dans le domaine musical, on peut noter la prédilection
merina pour la cithare tubulaire en bambou ou valiha, ainsi que
pour la flûte (sodina). Les chants traditionnels prenaient
souvent la forme du rodo-be ou choeur, avec une grande tonalité
nostalgique. Les danses mêmes suivaient un rythme lent et
langoureux, sauf celle guerrière (tsinjaka) des hommes.
Quant aux poèmes ou hain-teny, équivalent du pantun
malais, ils témoignent toujours d'une grande délicatesse
de sentiment.
* L'une des coutumes les plus remarquables des Merina est le famadihana
ou réinhumation périodique des cendres des défunts,
perpétuant de manière un peu particulière
la vieille coutume des "doubles funérailles"
pratiquée par de nombreux autres peuples malais. On peut
également rappeler l'importance exceptionnelle du Fandroana
ou "fête du bain sacré", répondant
aux diverses "fêtes des eaux" ou du bain, extrêmement
répandues en Asie du Sud-Est et en Océanie, jusqu'à
ce que les Français n'en décident arbitrairement
la suppression.
* Ce petit tableau nous permet déjà d'entrevoir
la grande originalité de cette civilisation merina qui,
tout en réussissant à demeurer fidèle au
génie de ses origines nusantariennes a toujours su faire
preuve d'innovation et d'adaptabilité. Bien de ses aspects
continuent ainsi à refléter le passé le plus
ancien de l'Asie orientale (et que nous révèle par
exemple la restitution de la civilisation de la Chine antique,
berceau d'origine justement des peuples nusantariens!) tandis
que d'autres, tout en en perpétuant l'esprit, ne se retrouvent
nulle part ailleurs au monde. Notons enfin que c'est la civilisation
proto-merina qui est également à la base de la culture
traditionnelle des différentes populations négroïdes
de Madagascar, combinée à l'occasion avec d'autres
héritages, notamment africains et arabo-islamiques.
Une épopée tragique
'occupation de Madagascar
* C'est dans la foulée des grandes navigations nusantariennes
qui, depuis plusieurs millénaires aboutirent déjà
au peuplement des îles d'Asie du Sud-Est et d'Océanie,
que des navigateurs originaires d'Indonésie centrale découvrirent
vers le début de notre ère l'île de Madagascar.
Cette dernière, isolée depuis l'ère secondaire
était alors vierge de toute présence humaine. Les
premiers émigrants, qui étaient déjà
pourtant porteurs d'une civilisation très évoluées
(travail des métaux, dont le fer, riziculture savante,
tissage de la soie, encadrement monarchique de la société,
etc.) semblent avoir vécu de la pêche et de la chasse.
Peu à peu, ils pénétrèrent alors dans
l'arrière-pays où on pouvait rencontrer des animaux
étranges, telle par exemple que l'aepyornis ou vorombe,
une autruche géante haute de plus de trois mètres,
ou encore le lalomena, un hippopotame nain. Par la suite, ils
entreprirent également de fréquenter les côtes
africaines où commencaient parallèlement à
s'établir les populations bantoues, originaires d'Afrique
centrale. Des contacts entre ces nusantariens et les Africains
semblent notamment avoir résulté des échanges
commerciaux portant, entre autres, sur la traite des esclaves.
C'est ainsi en tout cas que dès le VIIIe siècle,
les textes chinois font état de la présence chez
eux d'esclaves africains (zhengqi) transportés par les
navigateurs nusantariens. On peut alors supposer qu'à Madagascar
même, le nombre des transplantés involontaires africains
(d'où déjà leur adoption de la langue de
leurs maîtres !) commença à devenir considérable.
C'est cependant par la suite, du fait des trafiquants arabo-musulmans,
que les régions côtières de l'île finirent
vraiment par en être submergés.
La mérinisation
* C'est que, à partir du IX-Xe siècle, après
avoir exercé une domination sans partage sur les océans
depuis plusieurs millénaires, les nusantariens durent enfin
subir la concurrence de la nouvelle puissance maritime de leurs
voisins continentaux, en l'occurrence les Chinois et les Indiens.
A ceux-ci s'ajoute dans la partie occidentale de l'Océan
Indien la pression des Arabo-musulmans qui, après avoir
pris le contrôle des côtes africaines commencèrent
à se déferler sur le nord et, ensuite, l'est de
Madagascar.
* Ainsi bousculés sans pouvoir compter sur le renfort de
leurs cousins d'Asie, les ancêtres des Merina n'eurent d'autres
choix que d'entamer une émigration en masse vers l'intérieur
des terres. D'après nombre de traditions, l'une des raisons
de leur départ était justement le refus de se mélanger
avec leurs nouveaux voisins ; en somme, de s'africaniser. Ils
y rejoignirent d'autres pionniers de leurs race qui, du fait de
leur isolement, paraissent avoir beaucoup régressé
sur le plan culturel, d'où l'appellation dépréciative
de vazimba ou "inférieurs" qui leur furent ensuite
appliquée. Encore que certains indices permettent aussi
de penser que ce processus de "mérinisation"
se poursuivit en fait durant plusieurs générations
pour ne s'achever vraiment qu'à l'aube du XVe siècle.
L'organisation du Royaume merina
* Sur les hautes terres, les Merina ne tardèrent à
se réorganiser en essayant de restaurer peu à peu
leur unité politique. Dans le courant du XVIe siècle,
la région du nord-est, gravitant autour d'Antananarivo
connut notamment un profond bouleversement sous l'impulsion des
trois rois fondateurs : Andriamanelo, Ralambo et Andrianjaka.
Parmi les innovations qui auront les plus lourdes conséquences
figure alors l'instauration du système andriana-hova, divisant
artificiellement le peuple merina en deux groupes de clans astreints
chacun à l'endogamie. Dans un premier temps cependant,
ceci permit l'émergence d'une véritable caste dirigeante
qui put oeuvrer à l'unification du royaume. Pour le foyer
du nord-est, cette unité devint enfin effective dans la
seconde moitié du XVIIe siècle, sous le règne
d'Andriamasinavalona.
* Malheureusement, l'expérience ne dura qu'un moment et,
au XVIIIe siècle, l'Imerina connut de nouveau l'anarchie
et une profonde décadence. Et d'autant plus que l'île
entière se retrouva en proie à l'insécurité
du fait des troubles provoqués par les guerres alimentées
par les traitants européens, en particulier français,
soucieux de se procurer à bon compte des esclaves et des
vivres pour les îles créoles en échange de
fusils.
Andrianampoinimerina et Radama
* A partir de la dernière décennie du siècle
cependant, sous l'impulsion du grand roi Andrianampoinimerina,
l'Imerina retrouva son unité et une nouvelle prospérité.
Sur cette base se construisit ensuite l'oeuvre de Radama, son
fils et successeur qui, profitant de la coopération britannique,
entama la modernisation de son peuple tout en imposant la domination
merina sur la majeure partie de Madagascar. Le premier, il se
vit alors reconnu roi unique de l'île par la Grande Bretagne.
* Mais la disparition précoce de Radama en 1828 compromit
la poursuite de ce véritable meiji à la façon
merina. Et d'autant plus que l'aggravation des menaces européennes
ne tarda à obliger les nouvelles autorités à
prendre des mesures défensives de repli.
* Même cependant de façon hésitante et dans
la crainte constante de l'invasion étrangère, le
processus de modernisation continua tant bien que mal, au point
de bouleverser peu à peu l'équilibre traditionnel
de la société merina. Ces bouleversements concernent
en particulier le système des valeurs avec le progrès
rapide de la christianisation, favorisé par la scolarisation.
Au point que le protestantisme devint à partir de 1869
la religion officielle de la monarchie merina.
Un royaume aux abois
* Mais en plus de la menace européenne, en particulier
française, la plus grande source de problèmes était
pour les Merina le maintien de leur domination sur les régions
côtières. En dépit en effet des bénéfices
ponctuels que rapportaient le commerce avec l'étranger
et les droits de douane, cette domination leur coûtait l'entretien
permanente d'une force armée de plusieurs milliers d'hommes,
ce qui était apparemment au dessus de leurs moyens. A tel
point que, pour essayer de suppléer à la carence
de main-d'oeuvre qui en a résulté, ils durent se
résoudre à faire venir en Imerina une masse considérable
de captifs arrachés aux régions périphériques.
C'est de cette manière que les Merina finirent par inonder
eux-mêmes leur pays qui, jusque-là en avait été
largement préservé, de populations étrangères
de race noire!
* Il faut cependant reconnaître également que la
menace constante d'invasion étrangère limitait considérablement
leurs marges de manoeuvre. Ainsi, on peut dire que les Merina
étaient obligés d'occuper les côtes pour empêcher
les Français de s'y établir à leurs dépens,
sans compter que c'était pour eux la seule façon
de se ménager une ouverture sur le monde extérieur.
C'est dire qu'ils étaient davantage encore les prisonniers
que les maîtres de leur trop vaste et, finalement, désastreux
"empire".
* La dernière source grave de faiblesse du royaume merina
était enfin la division interne due à la sourde
rivalité opposant les clans andriana à ceux des
Hova pour le contrôle du pouvoir.
Le ravalement colonial
* Tout ceci aboutit à la conquête facile de Madagascar
par les troupes coloniales françaises à partir de
1895. Pour la France, l'objet d'une vieille convoitise (depuis
le XVIIe siècle !) était enfin tombé, sans
coup férir, entre ses mains. Paradoxalement en effet, en
dépit de toutes les prévisions, les Merina avaient
à peine résisté, tant ils étaient
las et démoralisés, en grande partie d'ailleurs
pour des raisons de politique interne. Sans compter que, vis-à-vis
même de l'envahisseur, ils pensaient surtout avoir affaire
à une puissance plus "évoluée",
ambitionnant d'imposer à leur pays un simple régime
de protectorat, ce qui supposait le respect de leur souveraineté
intérieure, ainsi qu'une promesse de développement
plus rapide. De même, ce genre de considération empêcha
ensuite l'élite occidentalisée merina d'appuyer
activement l'insurrection populaire des menalamba qui se vit dès
lors condamnée à l'échec.
* Mais, contre toute attente (et ce qu'ils avaient eux-mêmes
solennellement promis!), les Français s'empressèrent
de consolider leur pouvoir en prenant contre les Merina des mesures
radicales, destinées justement à les "ravaler"
comme on disait ouvertement à l'époque. En fait,
l'objectif des vainqueurs était de détruire à
jamais les fondements même de leur nationalité, en
en faisant à terme des Français, après les
avoir réduit au préalable à l'état
de "malgache", de créole afro-asiatique, à
l'identité aussi inconsistante que honteuse.
* Pour ce faire, ils commencèrent par supprimer sans autre
forme de procès la vieille monarchie à laquelle
tous les Merina étaient viscéralement attachés,
tout en exilant brutalement (après l'avoir kidnappée!)
la dernière reine. Afin d'anéantir ensuite le moral
des opposants qui se référaient avant tout au caractère
sacré des mânes royales, ils entreprirent de profaner
les cendres des anciens souverains merina par des déplacements
intempestifs et des pillages de sépultures! ( Un phénomène
apparemment unique dans les annales de la colonisation moderne
!). De même, l'ancien palais royal se vit transformé
en simple dépôt d'objets de luxe (et non pas véritablement
un musée !) dont même la simple visite était
interdite, jusqu'en 1946, aux indigènes. Et enfin, pour
couronner le tout, les Français mirent sur pied une "académie
malgache" chargée de contrôler l'esprit de la
nouvelle élite franco-malgachisée en forgeant, sous
couvert de culture et de "science", un discours à
leur convenance sur l'histoire et la civilisation du pays.
Le relèvement manqué de l'Après-guerre
* Après des décennies d'assoupissement, tant ils
étaient meurtris, les Merina commencèrent à
se réveiller en 1946 en entreprenant de secouer enfin le
joug colonial. Encore que l'objectif même du MDRM (Mouvement
Démocratique de Rénovation Malgache) qui ambitionnait
de les représenter n'était en rien la réhabilitation
de la cause merina mais l'instauration d'un système démocratique
à l'occidentale, ainsi à terme que la décolonisation
de Madagascar.
* Cela suffit cependant à hérisser le pouvoir colonial
qui, pour isoler la résistance merina, entreprit d'organiser
les Noirs à l'intérieur d'un parti adverse dévoué
à ses intérêts, le Padesm ou Firaisan'ny Tanindrana
sy ny Mainty enin-dreny ary ny karazany rehetra eto Madagasikara
(Union des Côtiers, des Noirs [de l'Imerina] et assimilés
à Madagascar), avant de procéder à la répression
proprement dite, en 1947. Bilan, démantèlement du
MDRM et 100.000 cadavres environ, tombés directement sous
la répression ou à la suite des troubles.
* Ce désastre acheva de déstabiliser complètement
les Merina qui, depuis, ne réussirent plus jamais à
retrouver leurs marques. C'est que, en raison de l'impact malgachiste,
leurs élites semblaient véritablement atteintes
d'une sorte de paralysie mentale, les empêchant même
d'avoir une vision un peu lucide de leurs problèmes. Au
point que leurs horizons se limitaient en fait à la défense
fétichiste de l'"unité nationale", même
lorsqu'il était devenu manifeste que celle-ci les condamnait
à être exclus définitivement de l'exercice
du pouvoir dans leur propre pays, tout en vouant purement et simplement
leur peuple à la misère et à l'oppression,
en attendant une inéluctable disparition.
A la merci de la République malgache
* En 1958, les Français décidèrent d'eux-mêmes
l'instauration de la République malgache, à laquelle
ils octroyèrent ensuite ce qu'il est d'usage de qualifier
d'"indépendance", pour le bénéfice
des anciens dirigeants du Padesm. Ainsi supplantés, les
Merina durent se cantonner dans une vague opposition de principe,
incapable même de formuler la moindre idéologie alternative,
pour se contenter de vieille litanie anticolonialiste. C'est que,
en raison de leur francisation, ceux qui leur faisaient office
de "leaders" n'avaient même plus en fait le courage
de revendiquer leur nationalité merina pour au contraire
se retrancher derrière le masque aliénant du "malgache"!
* En 1972, la révolte des jeunes merina ébranla
ce pouvoir néo-colonial mais le mouvement n'aboutit qu'à
la mise en place, trois ans plus tard, de la dictature marxisante
et kleptocratique des militaires noirs dirigés par le capitaine
Ratsiraka. Cette fois-ci, les Merina se virent confrontés
à une oppression raciale ouverte, le régime s'affichant
ostentatoirement "africain", et ce avant tout à
leurs dépens. En 1976 d'ailleurs, Ratsiraka fit délibérément
incendier le palais d'Andafiavaratra, le second monument du pays,
symbolisant un peu l'ancienne domination merina du XIXe siècle.
De même, en 1985, il fit massacrer par l'armée les
jeunes merina (et betsileo) pratiquant les arts martiaux et qui,
en desespoir de cause devant l'indifférence complice de
la police, entreprirent de s'organiser d'eux-mêmes pour
essayer de protéger un peu la capitale contre le pillage
et les assassinats perpétrées sur une grande échelle
par des bandes armées noires, agissant pour le compte des
milieux au pouvoir.
* Après une quinzaine d'années de ce régime
de terreur et de destruction, comme on n'en a vu depuis la fin
de la deuxième guerre mondiale que sur le continent africain
ou à Haïti, Madagascar finit par se retrouver complètement
ruiné et ravagé, au point d'apparaître comme
l'un des pays les plus pauvres au monde!
* La chute de Ratsiraka en 1993 fit un moment renaître l'espoir
mais la plus amère des désenchantements s'ensuivit
aussitôt après. Le nouveau pouvoir noir de Zafy Albert
s'avérait en effet tout aussi incapable que l'ancien à
faire redémarrer la machine étatique dont le moteur
semble maintenant définitivement cassé. Le pays
continuait tout simplement à s'empêtrer dans l'anarchie
et l'économie, déjà chancelante, de s'effondrer,
sous l'oeil indifférent du reste du monde.
Une nation brûlée vive
* C'est dans cette ambiance particulièrement morbide
que survint pour les Merina l'une des plus graves tragédies
de toute leur histoire. Le 6 novembre 1995, des hommes de main
à la solde des milieux au pouvoir lancèrent des
bombes incendiaires contre l'ancien palais royal d'Antananarivo
dont tous les bâtiments et l'ensemble des cimetières
(abritant les cendres des souverains merina depuis quatre siècles
!) furent anéantis sans que les autorités tentèrent
de bouger le petit doigt pour s'y opposer, et pour cause! D'un
seul coup, les Merina virent partir en fumée les vestiges
laissés par plusieurs siècles de leur histoire,
pendant que tout ce qu'ils avaient de plus nobles et de plus sacrés
étaient ouvertement piétinés par leurs ennemis!
Il est en effet manifeste qu'à travers le Rova, c'est la
nationalité merina elle-même qui était visée,
vouée à l'anéantissement.
* La première conséquence de cet acte barbare de
malveillance, motivé uniquement par la plus mesquine des
jalousies est de bouleverser complètement la conscience
merina d'eux-mêmes, au point de les obliger enfin à
assumer leur véritable identité, quasiment escamotée
depuis le début de l'époque coloniale. Pour les
Merina qui, désormais s'affichent ouvertement tels, la
preuve était maintenant faite que leurs voisins noirs aspirent
purement et simplement à les voir disparaître, après
les avoir piétinés, et ensuite cannibalisés!
Ce qu'ils reprochent aux Merina n'est pas tant ce que leurs ancêtres
ont pu faire (du reste, quoi déjà?...) que leur
existence actuelle, avec ses caractéristiques distinctives.
On en veut aux Merina de ne pas être devenus eux aussi des
noirs, de persister dans leur refus à le devenir, ainsi
que d'avoir des origines enviées, des ancêtres dont
on peut être fier, une histoire malgré tout prestigieuse!...
Epilogue
* De toute leur longue histoire, jamais sans doute les Merina
ne se sont retrouvés aussi bas, dans une situation aussi
périlleuse que maintenant. Ils sont non seulement misérables
mais encore piétinés, couverts d'injures, et pour
finir, promis purement et simplement à la disparition à
brève échéance, que ce soit par le massacre
à la façon rwandaise ou par le métissage
forcé, destiné à les couper de leur histoire
et de leur identité d'origine. Après avoir accaparé
leur présent, pour mieux les priver de tout avenir, leurs
ennemis tentent tout simplement maintenant de les frustrer du
vestige de leur passé, faire comme si celui-ci n'avait
jamais existé!...
* Dès lors, les seules questions qui méritent d'être
posées sont pour nous les suivantes : que pourrait-on faire
pour empêcher l'accomplissement de ce véritable ethnocide?
Qu'est-ce que les Merina eux-mêmes pourraient faire pour
s'y opposer, renouer enfin avec la vie en reprenant le fil de
leur fabuleuse histoire, incontestablement d'ailleurs l'un des
chapitres les plus extraordinaires de celle de l'humanité
entière?... Car autrement, le gâchis serait d'autant
plus regrettable que, par-delà le crime, Madagascar y perdrait
l'aspect le plus intéressant de son originalité,
ainsi sans nul doute que toutes chances de pouvoir se développer
de lui-même dans un avenir prévisible. Etant donné
en effet le rôle de premier plan que les Merina ont toujours
joué dans ce pays, et cela depuis les origines, leur élimination
de cette manière abjecte ne manquerait de faire perdre
à celui-ci, et son âme, et le dynamisme de ses enfants
comptant parmi les plus compétents et les plus dévoués.
D'ailleurs, personne ne serait en mesure de nier que la principale
raison de la déchéance actuelle de Madagascar est
justement cette "exclusion" des Merina, écartés
donc (en tant que merina, susceptible d'agir véritablement
en merina, et non en "malgache", pour le compte du pouvoir
colonial ou de sa scandaleuse "maintenance" indigène!)
de toute responsabilité effective à l'échelle
nationale dans leur propre pays depuis maintenant plus d'un siècle!...
Copyright © Ratrimo-Andriantefinanahary.
http://users.cwnet.com/zaikabe/merina/index.htm
Les premiers habitants de la Grande Ile
La question des premiers habitants de la Grande Ile n’est
pas purement académique. Hier avec les “guerres tribales”,
aujourd’hui avec les “conflits interethniques”,
l’Occident qui se dit porteur de droit, de justice et de
paix, s’est forgé ses justifications : pour la conquête
et la domination dans le passé colonial, pour l’ingérence
et l’intervention dans le présent néo ou post-colonial.
Or, s’agissant du monde malgache, on serait tenté
de dire que c’est le pompier qui a mis le feu. En effet,
contre l’évidence de l’unité linguistique
et culturelle de l’île, qui apparaît si fondamentalement
austronésienne qu’Alfred Grandidier en vint à
y donner aux Noirs une origine mélanésienne (sic),
on agite, jusque dans l’actualité la plus brûlante,
l’épouvantail d’une “irrémédiable”
opposition originelle et raciale entre les Merina déclarés
asiatiques et hégémoniques et les “côtiers”
déclarés africains et victimes. Et cela mérite
bien sûr qu’un effort soit fait non seulement pour
comprendre mais aussi pour commencer à rétablir
la vérité historique.
Des premiers habitants de la Grande Île
En arrivant à Madagascar, île géographiquement
africaine où ils ne s’attendaient à trouver
qu’un peuple noir, les visiteurs occidentaux du 19e siècle
ne pouvaient qu’être surpris et par la variété
des types humains et par l’éventail des couleurs
de peau, allant du plus sombre au plus clair. Mais ceux d’entre
eux qui recherchèrent une explication par l’histoire,
ne trouvèrent dans la tradition locale que des récits
de faible profondeur historique, s’enfermant de surcroît
dans les limites de l’île et l’espace social
de chaque groupe concerné. Aussi se laissèrent-ils
conduire par la science et les préjugés de leur
état ou de leur temps, ou des deux à la fois.
Missionnaire luthérien norvégien, Lars Dahle, connu
pour ses travaux d’ethnologie et de linguistique, fut le
premier à poser les fondements de la théorie qui
allait faire fortune. Face aux types humains présents à
Madagascar, il posa, en 1883, la question de savoir lequel, du
type africain ou du type malayo-polynésien, était
arrivé en premier. Outre qu’il était de ceux
pour lesquels le peuplement d’une île s’expliquait
par le continent voisin et à chaque continent correspondait
une couleur de peau, sa formation théologique et ses activités
missionnaires l’amenèrent à aller chercher
dans la Bible son argument décisif en faveur de la primauté
des Africains. Et d’expliquer que si les Asiatiques étaient
arrivés les premiers, jamais les Noirs n’auraient
pu venir s’établir à Madagascar, puisque les
Asiatiques, plus intelligents et plus belliqueux, les en auraient
empêchés.
Au contraire, si les Noirs avaient été les premiers,
les Asiatiques les auraient facilement vaincus et dominés,
puisque selon la malédiction de Noé, les descendants
de Cham – reçu pour l’ancêtre des Noirs
– ne pouvaient être que les “serviteurs des
serviteurs” des descendants de ses frères, Japhet
et Sem – respectivement reçus pour l’ancêtre
des Européens et celui des Sémites.
Raciste sous l’autorité de la Bible, Lars Dahle,
se voulant néanmoins homme de science, n’entendait
formuler qu’une hypothèse, dont il attendait confirmation
ou infirmation de recherches à mener ultérieurement
à Madagascar et en Afrique. Mais la conquête coloniale
française et l’installation d’un nouveau pouvoir
allaient conduire à effacer son nom, et à ne retenir
de sa réflexion que la conclusion selon laquelle les Noirs
africains furent les premiers habitants de la Grande Ile et les
Malayo-polynésiens des conquérants venus ultérieurement.
Transformée en “vérité scientifique”,
une fois dégagée de l’argumentaire, cette
conclusion put être alors récupérée
pour l’action et devenir instrument de conquête et
de domination en toute bonne conscience.
Religion, science et racisme
En effet, Gallieni et son petit cercle d’officiers ethnologues
ayant institué la “politique des races” et
repris le “diviser pour régner”, tout se passa
comme si, dans l’esprit de la Révolution et à
l’image des soldats de l’An II, les soldats de la
République Française – et bien évidemment
leurs successeurs, militaires ou civils – étaient
venus combattre une tyrannie d’“ancien régime”
pour libérer et protéger des Africains noirs opprimés
par une aristocratie malaise.
Quant à Gabriel Ferrand, publiant en 1903 la thèse
qui allait l’opposer, jusqu’à la rupture, à
Alfred Grandidier et sa “thèse asiatique”,
tout donne à penser qu’il le fit au minimum pour
fixer les idées, et pour consolider cette bonne conscience
qui l’avait lui-même animé au début
des années 1890, quand, protégé par son statut
de diplomate accrédité auprès du Royaume
de Madagascar, il mijotait dans sa résidence de Mananjary
de former des troupes “côtières” auxiliaires
en prévision de la conquête.
Mais il y a, semble-t-il, bien plus. Car la conclusion à
laquelle aboutit Ferrand – et qui allait s’imposer
jusque de nos jours, malgré les discussions dont elle fit
l’objet parmi les chercheurs au long des décennies
– était exactement que seuls étaient asiatiques
les types clairs, cependant qu’étaient africains
les types noirs, parmi lesquels il distinguait, d’une part,
les “Négrilles”, arrivés les premiers
et correspondant aux célèbres Vazimba des traditions
locales, et d’autre part, les “Bantous” dont
il fait les ancêtres des Malgaches à la peau noire
d’aujourd’hui. Autrement dit, les Vazimba ayant été,
dit-on, massacrés – et les survivants chassés
vers des lieux inhospitaliers où ils n’ont pu que
s’éteindre –, c’est sans exception, que,
types clairs et types noirs confondus, les Malgaches sont donnés
pour des êtres ayant un passé entaché par
la sauvagerie et les “guerres tribales” à fondement
racial.
Cela étant, le plus grave, à notre sens, réside
dans le fait que cette (re)présentation occidentale du
monde malgache que l’on crut (que certains continuent de
croire) scientifiquement fondée – et que l’on
a de ce fait érigée en doctrine des bureaux et des
agences administratives qui prétendent décider sans
fin, en dogme de différents enseignements qui continuent
de s’imposer aux élèves et étudiants,
en clef d’interprétation pour la quasi totalité
des médias qui entendent “informer”, et en
gage de sérieux dans les guides touristiques les plus répandus
–, s’est non seulement élaborée en s’enracinant
dans le racisme le plus ordinaire de la culture judéo-chrétienne
d’Occident, mais en est progressivement venue à polluer
jusqu’aux représentations de soi-même de nombre
de Malgaches qui ont été soumis à l’acculturation.
Et certains, bien évidemment, l’ont intériorisée
avec des conséquences catastrophiques, qu’il n’y
a plus seulement lieu de craindre puisqu’on peut désormais
les constater.
Dans le monde austronésien occidental
Pour poser correctement la question embrouillée des premiers
habitants de la Grande Ile, sans doute convient-il, avant de se
replacer dans le cadre dessiné par les activités
économiques austronésiennes, de relever les plus
grossières des erreurs que présentent les reconstructions
théoriques dont on vient d’avoir un aperçu.
Inutile naturellement de s’attarder sur l’impertinence
scientifique de l’argument biblique de Lars Dahle. En revanche,
comment ne pas souligner qu’il fait erreur quand il affirme
qu’une poignée de Malayo-polynésiens auraient
pu imposer leur langue au reste des Malgaches : l’on sait
que, dans une situation de contact telle que celle qu’il
imagine, c’est la langue de la majorité vaincue qui
l’emporte sur celle de la minorité victorieuse.
Quant à Ferrand, on rencontre chez lui au moins deux erreurs.
Tout d’abord quand, s’en rapportant à la réduction
des Vazimba à des nains dans les traditions locales, il
a cru pouvoir en inférer une immigration de “Négrilles”
d’Afrique, parce qu’il n’avait pas saisi que,
strictement symbolique, cette “nanification” les donne
tout simplement pour des personnes ayant perdu leur ancien rang
dans la société.
Ensuite, s’agissant des Bantous, les progrès de la
recherche permettent aujourd’hui de dire que leur expansion
vers l’est, à partir d’une région du
centre nord-ouest de l’Afrique, ne les a conduits jusqu’à
la mer qu’à la fin du 1er millénaire de notre
ère. Ainsi ne peuvent-ils pas avoir précédé
les Austronésiens à Madagascar. Cela ne signifie
évidemment pas que les premiers habitants de l’île
n’ont pas pu compter des Africains noirs parmi eux, mais
simplement que ceux-ci, outre qu’ils ne pouvaient être
des Bantous, n’auraient pu y arriver, à l’époque,
qu’en voyageant sur des embarcations austronésiennes.
Quoi qu’il en ait été, “Noir”
ne signifie pas uniquement africain ou mélanésien,
et l’erreur d’Alfred Grandidier sur ce point tenait
au fait qu’il ignorait apparemment tout de l’Empire
du Champa qui, bien que situé sur le continent, fut, rappelons-le,
le centre d’une des grandes thalassocraties du monde austronésien.
Or, comme en attestent les écrits chinois du 2e siècle,
l’aristocratie de l’Empire du Champa était
composée de Noirs, bien que le peuple y fût de teint
clair. Et de même, peut-on relever que les bas-reliefs des
temples d’Angkor au Cambodge, aux 12e et 13e siècles,
présentent avec des traits négroïdes les mercenaires
chams (habitants du Champa à ne pas confondre avec le fils
de Noé!) conducteurs d’éléphants de
l’armée khmère.
Mais ce qui, en l’occurrence, peut laisser perplexe pris
entre sourire et fureur c’est que c’est dans les travaux
de Gabriel Ferrand sur les Kunlun, travaux d’un orientaliste
de renom, que l’on trouve une bonne part des données
concernant non seulement le Champa et la navigation austronésienne
de l’Antiquité, mais aussi l’une des premières
mentions, d’après les sources chinoises, de l’existence,
dans le Sud-Ouest de l’océan Indien d’un Kun-lun
Zengqi, “pays des hommes noirs venus d’Asie et établis
en Afrique de l’Est”.
Ainsi apparaît-il clairement que c’est à dessein
que ne furent pas rectifiées les erreurs diffusées
sur les premiers habitants de la Grande Ile, car jamais ni Ferrand
ni d’autres malgachisants avant nous n’ont véritablement
mené ce travail salutaire.
Nous reste donc maintenant l’obligation, éthique
et scientifique, d’esquisser une reconstruction plus proche
de la vérité.
De fait, à s’en rapporter à l’ensemble
des sources disponibles, Madagascar paraît bien avoir été
inscrite dans un véritable réseau de commerce maritime
s’appuyant sur les productions des pays riverains de l’océan
Indien et des mers adjacentes.
Les premières explorations de la Grande Ile, puis les premiers
établissements permanents se seraient ainsi situés
dans une région où les Austronésiens étaient
présents depuis le pays de Pount, au nord où il
est notoire qu’ils avaient le monopole des aromates, jusqu’au
sud-est de l’Afrique en passant par l’ancienne Azanie.
Dans ce monde des deux rives à cheval sur le canal de Mozambique,
les premiers témoignages archéologiques trouvés
sur le sol malgache n’apparaissent qu’au 5e siècle
de notre ère. En revanche, c’est en étudiant
des sites d’avant la fin du 1er millénaire avant
notre ère que les archéologues admettent que le
complexe néolithique sud-est asiatique – avec la
diffusion de la poule, du cocotier, du bananier et du taro –
avait modifié les conditions alimentaires et démographiques
de l’Afrique de l’Est. Et c’est dès avant
le 2e siècle de notre ère que tout en notant, dans
le Périple de la Mer Erythrée, la présence
de ces plantes asiatiques sur la côte africaine, Ptolémée
présente les hommes de la région comme étant
de grands hommes noirs “aux cheveux frisés”
que rien n’interdit plus aujourd’hui de reconnaître
pour des Austronésiens depuis qu’on a pu les mettre
en relation avec ceux du Champa.
En quête de “feuilles d’herbes”
Qu’ils aient été du type malayo-polynésien
ou du type cham, ou plus probablement des deux, et qu’ils
aient été ou non accompagnés de Noirs d’origine
africaine, les premiers Austronésiens qui touchèrent
Madagascar, arrivèrent dans une île déserte.
Tout donne à penser que c’est son très grand
intérêt économique qui fait qu’ils s’intéressèrent
à cette nouvelle terre, après y avoir reconnu une
nature riche des ressources qu’ils avaient l’habitude
d’exploiter. Et l’on ne peut que relever qu’avec
des termes tels que mandranto, mila ravin’ahitra ou mamanga,
le vocabulaire malgache de l’économie traditionnelle
continue à utiliser des mots qui ont pris sens dans ces
anciennes activités austronésiennes.
En effet, dérivé du vieux mot austronésien
ranto désignant l’estran et la plage, le terme mandranto,
qui exprime aujourd’hui le fait de se livrer au commerce
itinérant en poussant jusqu’à la côte,
désignait dans le monde austronésien le fait de
se rendre temporairement sur des rives lointaines pour y chercher
fortune, et plus particulièrement pour y exploiter les
ressources de l’estran, à commencer par l’ambre
et le trépang (aussi appelé holothurie ou concombre
de mer). Et c’était alors sur des rives préalablement
reconnues que l’on revenait chaque année s’établir
le temps d’une campagne de collecte et de fumaison des trépangs,
qui étaient destinés à l’exportation
vers le marché chinois.
Relevant du même domaine du commerce d’exportation,
l’expression mila ravin’ahitra désigne le
fait de parcourir les terres, ou de partir à l’intérieur
des terres, en quête de “feuilles d’herbes”
pouvant devenir des richesses grâce au commerce des simples,
des épices et des aromates.
Quant à mamanga qui dérive de la racine vanga
signifiant “action de vendre”, c’est un
mot qui désigne jusqu’à aujourd’hui
l’action de migrer temporairement vers des régions
lointaines, avec l’espoir de parvenir, avant le retour,
à accumuler un certain capital.
Aux mpandranto et mpila ravin’ahitra austronésiens,
végétation et faune de Madagascar offraient un intérêt
exceptionnel. Sur les lieux d’arrivée, dans la région
de Maroantsetra et sur la côte nord-ouest, les rivages offraient
en abondance un ambre et des trépangs – dingadingana
en malgache – qui n’avaient jamais été
exploités. Quant aux feuilles, racines et écorces
sources de richesses, on en trouvait, également en abondance,
dans les forêts de la zone au vent de la côte est
et dans celles du Sambirano dans le nord-ouest.
Il était facile de faire l’inventaire des ressources
de l’estran du fait même de la topographie des rivages
marins. Quant aux potentialités de la flore de l’île,
elle ne pouvait faire, au départ, qu’un objet de
reconnaissance et d’échantillonnage. Ce n’est
sans doute que par la suite, quand furent décidées
les installations permanentes, que les premiers colons se livrèrent
en outre à la production agricole, fruitière et
sylvicole selon les modèles ancestraux d’Asie du
Sud-Est et qu’ils importèrent d’Afrique des
animaux et des plantes qui augmentèrent leurs ressources
alimentaires.
Jean-Pierre Domenichini et Bakoly D-Ramiaramanana
Pourquoi Austronésien ?
Il est un mot auquel le lecteur est déjà habitué,
mais qui mérite d’être expliqué autrement
que par l’application qui en est faite. Pourquoi parler
de langues austronésiennes, alors qu’on les dit habituellement
malayo-polynésiennes ? Pourquoi dire que les ancêtres
des Malgaches sont Austronésiens, alors que l’on
parle d’habitude d’ancêtres malais ou indonésiens
?
Pour caractériser la famille de langues à laquelle
appartient le malgache, on a longtemps utilisé le terme
“malayo-polynésien”, mais il a le défaut
de ne pas comprendre les langues de la Mélanésie,
de la Micronésie, de Taiwan (Formose) et des montagnards
d’Indochine.
Pratiquement, le terme malayo-polynésien excluait surtout
les populations noires du Pacifique. Austronésien est déjà
plus englobant. “Malayo-polynésien” reste cependant
employé avec un sens plus précis. On dira, par exemple,
que la langue malgache appartient au rameau hespéronésien
(occidental) de la branche malayo-polynésienne de la famille
austronésienne.
D’emploi courant et ancien, le mot “malais”
manque de précision. Il désigne les habitants de
la Malaisie ou, à l’époque de l’arrivée
des Européens, les hommes qui faisaient le commerce maritime
entre les îles de l’Insulinde. Quant au terme “indonésien”,
il ne convient pas pour les périodes anciennes, puisqu’il
a été formé au 19e siècle par les
Hollandais pour regrouper dans un même ensemble les colonies
qu’ils possédaient dans la région. Le mot
fut repris par les indépendantistes au lendemain de la
Seconde guerre mondiale.
Même si certains ancêtres des Malgaches sont partis
de terres désormais indonésiennes, ils n’étaient
pas Indonésiens. Ce serait un anachronisme comme de dire
que le Gaulois Vercingétorix était Français.
Le vocabulaire fait partie de la trousse d’outils du chercheur.
Comme un bon couteau, il doit être bien aiguisé et
sa forme adaptée à l’usage prévu. C’est
pourquoi il est préférable de parler d’Austronésien
et d’Austronésie, comme le font d’ailleurs
depuis un siècle les chercheurs allemands et anglophones.
Il est vrai que le terme austronésien est européo-centré.
L’on pourrait tout aussi bien – c’est l’option
nationaliste – dire nousantarien en partant du terme “nusantara”
par lequel les chercheurs indonésiens désignent
l’aire.
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Dans la chronologie que permet de définir l’état
actuel des connaissances dans l’attente notamment de nouveaux
travaux d’archéologie et de sciences dont les préoccupations
sont tournées vers la période où l’homme
était présent dans la Grande Ile , le temps des
principautés des embouchures est le plus long, s’étendant
au moins sur une douzaine de siècles. La période
suivante, que l’on fait commencer au 7e siècle et
s’achever à la fin du 11e siècle, marquée
par les rivalités de la marine austronésienne, plus
que jamais active, et de la marine musulmane, de plus en plus
présente, bénéficie localement de plus de
sources. Aux données de l’archéologie entendue
au sens large s’ajoutent celles de la tradition orale, tant
sous la forme de l’histoire conservée par certains
groupes que sous celles de “légendes”, d’autant
plus recevables que qui dit légende dit implicitement fond
historique. Ce fond, c’est à l’historien qu’il
appartient de le retrouver par une interprétation appropriée.
Du temps de Darafify
La période que nous appelons “temps de Darafify”
n’a que très exceptionnellement fait l’objet
d’une étude d’ensemble, une telle étude
paraissant à beaucoup totalement inconcevable. Or, il s’agit
d’une période importante, car c’est elle qui
voit l’homme achevant son occupation de l’ensemble
de l’île, passant d’une attitude de prédation
à celle d’un homme évoluant dans un environnement
naturel qui lui était de moins en moins étranger
et qu’il allait finir par investir jusque sur le plan sentimental.
Au début de son occupation de l’île, l’homme
s’était installé sur les côtes près
des embouchures. Mais il semble bien que telle fut, tout au long
de l’histoire, l’attitude des nouveaux arrivants.
S’agissant de la période de Darafify, si rares soient-elles,
les fouilles archéologiques (ensemble d’Irodo dans
le Nord-Est, ensemble de la Manambovo dans le Sud) montrent des
populations pleinement installées sur la côte et
ayant développé diverses activités artisanales
(cuillers taillées dans le turbo, marmites et bols en chloritoschiste,
marmites, jarres et bols à pied en poterie, etc.).
Mais l’installation aux embouchures n’était
que le prélude aux incursions dans l’intérieur,
à la recherche des fameuses “feuilles d’herbes”,
bientôt suivies d’établissements de moins en
moins temporaires. Et c’est ce que montrent non seulement
l’existence de sites mixtes associant des restes d’animaux
subfossiles à des traces d’activités humaines,
mais aussi certains acquis de cette forme particulière
d’archéologie qu’est la palynologie, étude
des pollens fossilisés au fond des lacs et des tourbières.
En effet, des seize sites à subfossiles déjà
recensés, quelques-uns de ceux qui ont été
datés de façon absolue montrent que l’homme
n’était pas seulement présent sur les côtes
comme à Irodo-Tafiampatsa (début 8e - fin 9e siècle)
ou à Lamboharana (milieu 7e début 9e siècle)
entre Tuléar et Morondava, mais qu’il avait aussi
pénétré jusque loin dans l’intérieur
comme à Ampasambazimba (milieu 9e milieu 10e siècle)
sur les Hautes terres centrales.
Quant à la palynologie, qui avait déjà fait
découvrir cette plante d’origine asiatique introduite
par l’homme qu’est le chanvre (rongony, jamala), cultivé
loin à l’intérieur des terres dès 350
av. J.-C. (à Tritrivakely, dans la région d’Antsirabe),
les résultats qu’elle a produits lors des carottages
de Kavitaha (dans l’Itasy) l’y montrent aussi présent
que le ricin introduit d’Afrique , et ce tout au long de
la période de Darafify.
Des sites dans le Sud et sur les Hautes terres
D’ailleurs, venant confirmer ces premières données,
les fouilles archéologiques nous font au moins connaître
des sites d’intérieur dans le Sud et sur les Hautes
terres centrales. Dans le premier cas, il s’agit de l’ensemble
Andranosoa-Mandan-Refilahatra et ses satellites. Situés
sur la Moyenne-Manambovo, près du confluent avec la rivière
Andranosoa, ces sites remontent à une période où
se rencontraient encore sur les lieux habités les diverses
espèces de la faune subfossile et appartiennent à
la même culture de sites interfluviaux à enceintes
de pierre pratiquant l’élevage des bœufs et
des moutons. Plus en amont, dans la Haute-Manambovo, la région
de Lambomaty fut, à la même époque semble-t-il,
le centre d’une intense activité métallurgique
(cuivre et fer).
Quant aux Hautes terres centrales, il faut au moins citer les
fouilles d’Ambohimanana dans la région d’Andramasina
(à tout juste 20 km d’Antananarivo à vol d’oiseau)
un site dont les datations absolues indiquent qu’il fut
créé au plus tard au Xe siècle, et qui est
donc le plus ancien des sites fouillés en Imerina.
C’était, établi sur un sommet, un habitat
à fossé qui devint rapidement trop exigu : le premier
fossé fut comblé et un nouveau fossé étendit
la surface disponible pour ses habitants. Les produits des fouilles,
notamment celle du fossé comblé, montrent que l’on
y consommait du bœuf (Bos taurus et Bos indicus), du mouton
et du potamochère, que l’on y travaillait le fer
et que l’on y menait une vie d’où, comme d’ailleurs
à Andranosoa, n’était pas absent un certain
goût du luxe.
Du centre ou de la périphérie, les sites d’habitat
de cette période qui ont fait l’objet de fouilles
méthodiques renvoient, quant à une part de leur
culture matérielle, au même monde, précédemment
évoqué, qui associe Madagascar et l’Afrique
à l’Asie.
C’est, par exemple, ce que souligne le graphitage sans fonction
utilitaire apparente de la poterie, qui est un procédé
qu’on ne retrouve, hors de Madagascar, que sur certaines
poteries d’Afrique orientale et méridionale, d’une
part, et sur celles de l’ancien Champa, dans le domaine
austronésien, de l’autre.
Néanmoins, les relations avec la ou les métropole(s)
de l’Asie du Sud-Est, si elles n’avaient pas disparu,
avaient commencé à se distendre, à mesure
que se développaient sur place des organisations aussi
complexes que celles que l’on peut observer à propos
d’Andranosoa/Mandan-dRefilahatra.
Car, outre qu’il se dessine en cette région tout
un réseau de relations économiques sur lequel nous
aurons à revenir , les archéologues ont solidement
établi que les habitants d’Andranosoa appartenaient
à une organisation territoriale aux cérémonies
rituelles de laquelle participaient différentes agglomérations.
Et il n’est pas exclu que ce soit dès cette époque
que les Malgaches situèrent dans la Grande Ile le “grand
nombril” (foibe) ou le “nombril de la terre”
(foiben’ny tany), ce lieu où leurs lointains parents
d’Asie du Sud-Est situaient l’endroit où les
ancêtres célestes avaient posé le pied pour
la première fois et qui, dans leur géographie, devenait
le centre du monde.
De fait, la tradition malgache a longtemps retenu l’idée
qu’autrefois, un seul royaume rassemblait l’île
entière. Si ce n’est l’idéalisation
de la conception selon laquelle les souverains étaient
les maîtres de l’univers, peut-être est-ce le
souvenir d’un système où les principautés
relevaient toutes d’une même thalassocratie.
Quoi qu’il en soit, la tradition orale se souvient, d’une
part, d’un ensemble qui, dans l’Est du pays, allait
du cap d’Ambre à Fort-Dauphin (Taolañaro),
et, d’autre part, dans le Sud-Ouest de l’île,
d’une grande unité politique à propos de laquelle
on peut signaler par ailleurs qu’un géographe musulman
du Xe siècle l’a présentée sous l’autorité
d’un Hova.
Ce fut l’“époque des Géants” et
un temps d’expansion. Pour l’Est, le mieux connu de
ces géants était Darafify. Que les textes qui rapportent
leurs exploits aient été reçus par la critique
comme des contes et de simples œuvres d’imagination
et de divertissement, ne doit pas nous tromper.
Pour les anciens à Madagascar, il s’agissait de tantara,
c’est-à-dire de récits historiques, et c’est
comme tels qu’il nous faut les interpréter. Car,
de même que la nanification fut employée pour entériner
une condamnation politique à l’oubli nous y reviendrons
, de même la géantification fut-elle employée,
dans le cas des Darafify et donc aussi de leurs adversaires ,
pour immortaliser des groupes qui furent si prestigieux que nombre
de traditions locales se sont efforcées d’en garder
la mémoire.
De même, concernant le Sud-Ouest, était tantara,
malgré ses aspects merveilleux, le cycle de Tsimamangafalahy,
dont le héros est un jeune prince dépossédé
qui réussit à reconquérir son statut en combattant
ses oncles maternels, lesquels se trouvaient à la tête
d’une principauté sur la côte africaine.
Ce que l’on sait des anciens groupes dirigeants, soit grâce
à certains tantara comme celui des Ravoaimena Andriamanavanana
du Sud-Est, soit grâce à l’analyse des fonctions
religieuses comme celles des Antevinany du Nord-Est, montre bien
que la culture dans son ensemble restait profondément austronésienne.
Les preuves ne manquent pas.
Ainsi voit-on Rasoabe et Rasoamasay, les deux sœurs qu’épouse
Darafify, bénéficier à leur mort d’une
sépulture aquatique dans deux grands lacs qui se trouvent
entre Toamasina et Brickaville la première épouse
étant dans le lac du nord pour marquer sa supériorité
sur la seconde, immergée dans le lac du sud.
Quant à l’histoire de Tsimamangafalahy, on peut en
retenir qu’à la mort de ses deux oncles, il leur
sacrifiera un chien : c’était encore le sacrifice
par excellence, comme il l’est toujours en Insulinde, dans
certaines régions qui n’ont pas été
islamisées.
Les tantara font aussi état des conflits politiques auxquels
furent mêlés ces grands hommes. C’est ainsi
que l’on y voit que si Tsimamangafalahy évolue dans
un monde qui défend les valeurs des ancêtres et vise
à restaurer un pouvoir légitime, Darafify, en revanche,
joue de la tradition pour s’imposer aux anciens pouvoirs,
en surenchérissant parfois sur les anciens interdits.
Les tantara nous apprennent qu’il vainquit une confédération
princière symbolisée par une hydre géante
(fanany) dans laquelle étaient censées résider
les âmes des anciens princes.
De même rabaissa-t-il les représentants d’autres
dynasties du Sud-Est en profanant les sépultures aquatiques,
dans un geste qui semble bien trahir ses attaches hors du monde
austronésien. Encore que le fait soit rare, nous ne sommes
pas les premiers à reconnaître en Darafify un personnage
historique. C’est ainsi qu’on a vu Grandidier essayer
de le situer en interprétant son nom malgache, et en le
recevant comme signifiant “(L’homme) aux joues couleur
de datte”.
Adaptation au contexte international
En sachant que dara, qui désigne le dattier en tant qu’arbre
par excellence dans une région où la datte est une
nourriture essentielle, est un nom d’origine persane, on
peut être tenté de dire que Darafify était
persan, mais peut-être ne faut-il pas aller jusque là.
Ce qui est sûr, ce sont deux choses. Tout d’abord,
c’est que c’est vers la fin du 1er millénaire
que le contexte international commence à connaître,
dans la grande région qui nous concerne, des changements
d’importance (propagation de l’islam et expansion
du monde musulman, révoltes serviles de Basse-Mésopotamie,
attaque de Qambalou en 845 par des Malgaches et des Austronésiens
d’Asie du Sud-Est, massacre des musulmans de Canton en 878,
fermeture des détroits entre mer de Chine et Océan
Indien par Srivijaya, etc.) qui allaient se répercuter
sur les pays riverains, dont évidemment Madagascar.
Ensuite, c’est que diverses données relatives à
cette période font apparaître que la Grande Ile avait
alors commencé à entretenir des relations avec les
pays riverains du Golfe Persique. C’est ainsi que tous les
sites archéologiques maritimes ou ayant un débouché
sur la mer recèlent des traces de ces relations, des tessons
de poterie importée de la zone arabo-persane au travail
du chloritoschiste sans doute emprunté à la tradition
artisanale persane.
Cela n’est évidemment pas pour surprendre quand on
sait que le Golfe Persique avait pris la place de la mer Rouge,
condamnée par le ralentissement des échanges avec
la Méditerranée ; mais on comprend du même
coup pourquoi se produisit un certain changement de vocabulaire
dans le domaine traditionnel de l’exportation des aromates,
épices et simples.
Ainsi, si la cannelle demeura un produit-phare de ce commerce,
ses vieux noms d’origine austronésienne de hazomanitra
et de hazomamy se virent adjoindre celui de darasiny dérivant
de la dénomination en usage sur le marché persan,
laquelle signifiait “bois de Chine” ou “porte
de Chine”.
A s’en rapporter aux noms dont furent baptisés les
héros du “cycle de Darafify” (Darafify, Darafely,
Darofipy, Fatrapaitanana), loin de s’en tenir à de
tels changements de dénomination, l’adaptation du
commerce extérieur malgache au nouveau marché alla
jusqu’à la promotion des produits qui y étaient
particulièrement recherchés.
Tel fut notamment le cas pour les différentes variétés
de poivre sauvage que les spécialistes identifièrent
plus tard comme étant “la vraie Cubèbe des
Arabes” et dont les Arabo-persans furent d’abord les
grands consommateurs, avant d’en être des réexportateurs
; toutes y reçurent des noms tels que voamperifery, tsimperifery,
darafilofilo renvoyant à l’indo-européen pipali.
Il faut de même relever que, dans un monde où l’information
circulait apparemment fort bien, les Malgaches surent parfaitement
saisir les opportunités, comme lorsqu’ils se mirent
à produire du sucre en quantité, dans le Sud-Est.
Ce pour l’exporter quand éclatèrent les révoltes
serviles dans les plantations de Basse-Mésopotamie au IXe
siècle.
Cela dit, les commerçants de la Grande Ile n’avaient
nullement cessé de s’inscrire dans le réseau
austronésien, et malgré la fermeture du détroit
de Malacca - qui était principalement dirigée contre
leurs partenaires arabo-persans -, ils parvenaient eux-mêmes
à exporter normalement vers la Chine, qui était
le plus grand marché de l’époque.
C’est ainsi que celui-ci fut très probablement la
destination de la fonte et de l’acier produits par les métallurgistes
de la vallée de Lambomaty dans le sud de l’île.
Intégrée au trafic international, Madagascar en
subissait forcément les aléas et le commerce extérieur
n’engendrait pas une prospérité constante.
Cependant, le pays ayant déjà développé
un marché intérieur, les marchands ne se trouvaient
pas automatiquement démunis quand se produisait un repli
du commerce international. Les traditions transmises par certains
manuscrits arabico-malgaches soulignent que leur attention trouvait,
en de tels cas, à se porter notamment sur l’élevage
bovin, qui était déjà la principale source
de richesse et de prestige dans le pays.
Jean-Pierre Domenichini et Bakoly D-Ramiaramanana
L’homme et les subfossiles
On a longtemps pensé que l’homme était arrivé
dans un pays couvert de forêts et qu’avec le feu,
il était entièrement responsable de l’apparition
des steppes et savanes, qui couvrent maintenant la plupart des
régions de Madagascar.
Ensuite, s’ajoutant à cette modification de l’environnement,
la chasse aurait conduit à la disparition des grands oiseaux
coureurs (vorompatra), des hippopotames nains (lalomena) et des
grands lémuriens qui, en l’absence de grands carnassiers,
n’avaient pas encore appris à se mettre à
l’abri.
Mais les études récentes de palynologie cette forme
particulière d’archéologie de la vie végétale
qui permet aujourd’hui de mieux comprendre les rapports
que l’homme a entretenus avec l’environnement naturel
montrent que c’est bien avant l’arrivée de
l’homme que les changements climatiques avaient été
favorables à des feux naturels, durant les périodes
sèches.
Il existait déjà à son arrivée, du
moins dans l’Ouest et le Moyen-Ouest, de grandes formations
herbacées et des formations végétales qui
s’étaient adaptées au feu. Et comme le donne
à entendre la paléontologie, archéologie
de la vie animale et végétale, la disparition de
ces animaux fut seulement accélérée par les
activités humaines. De fait, à ce qu’on sait,
l’extinction des vertébrés subfossiles qui
s’acheva au 10e siècle, commença il y a 3
000 ans et connut deux maxima : l’un il y a 2 000 ans, l’autre
il y a 1 200 ans, c’est-à-dire, d’une part,
dans les derniers siècles du 1er du millénaire avant
notre ère et, d’autre part, à la fin du millénaire
suivant.
Comme le donnent à entendre les sources méditerranéennes
et comme le confirme la présence des pollens de cannabis,
l’homme était présent dès le premier
pic. Ensuite, c’est le développement de ses activités,
culture sur brûlis et élevage, qui l'a amené
à modifier l’environnement.
S’agissant de l’élevage, on a pu évoquer
le rôle de la chèvre, animal qui détruit assez
rapidement le milieu végétal où il broute
; mais en fait, ce rôle n’a pas dû être
important, étant donné que son élevage était
réservé aux Grands. En revanche, quoiqu’il
paisse encore souvent dans les forêts claires, le bœuf
a pu avoir, dès cette époque, un rôle important
dans la destruction car le développement de son élevage
a nécessité l’extension des pâturages,
entraînant défrichements et feux de brousse annuels
pour provoquer la repousse des herbages.
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