Petite histoire d'Andramasina S'établissant
sur une éminence surplombant les bas-fonds par un talus
très escarpé, les anciens princes n'ont pas entouré
leur cité par un fossé rond (hadivory), mais ont
procédé à des travaux qui accentuèrent
la pente du talus originel pour en interdire l'escalade. C'est
le cas, à Andramasina, pour le hadim bazimba qui suit les
rives de la Sisaony, au sud et à l'ouest du plateau habité.
Située près d'une grande et belle cascade (riana)
de la Sisaony, l'ancienne cité andriana est donc bien "an-driana",
selon l'étymologie populaire donnée au mot "andriana".
La cascade permettait à ses anciens maîtres d'assurer
les rituels qui, après la mort, faisaient accéder
à la vie dans l'au-delà. Son nom, Tsimanatimindrana
"Qui ne rend pas ce qu'elle emprunte", reste dans beaucoup
de régions de Madagascar le nom par lequel on désigne
la mort et le Dieu des Enfers. C'est en l'absence d'une telle
cascade à l'ouest des cités andriana nouvellement
créées que, par la suite, furent installés,
toujours à l'ouest des nouveaux établissements,
les lacs sépultures, c'est-à-dire ces lacs ou ces
étangs dans lesquels étaient ensevelis les entrailles
et les sanies provenant du corps des princes qui venaient de trépasser.
Souvent, ces lacs, considérés comme sacrés,
irriguaient les rizières qu'elles étaient censées
particulièrement fertiliser le riz étant d'une nature
divine (andriamanitra ny vary). Et selon les critères que
choisissaient les Anciens pour l'établissement d'une telle
cité, Andramasina fut installée, après défrichement,
sur une partie encore vierge qu'occupait la forêt primitive.
Sans que l'archéologie en ait encore localement apporté
la preuve définitive, l'on peut, sans risque d'induire
quiconque en erreur, dire que la création d'Andramasina
remonte aux tout premiers temps de l'occupation de la région,
puisque c'est à quelques kilomètres seulement que,
surplombant Ankorona, se trouve Ambohimanana, le site actuellement
connu comme le plus ancien des Hautes-terres. Trouvés à
quatre mètres de profondeur dans un premier fossé
qui fut ensuite comblé, lorsque la population augmenta,
et datés au Carbone 14, des restes de charbon d'Ambohimanana
donnent la date du IXe - Xe siècle de façon sûre.
Ajoutons, pour mieux comprendre cette période que l'on
dit "vazimba", que les fouilles d'Ambohimanana ont fourni
la preuve que, dès cette époque, les Malgaches élevaient
le zébu et en consommaient la viande. Que, dès cette
époque aussi, connaissant évidemment la métallurgie
du fer, ils en fabriquaient des outils et des instruments et utilisaient
des couteaux pour sacrifier les animaux et en découper
la viande.
Par les progrès de la connaissance de l’ancienne
culture matérielle malgache qu’a fournis le développement
de l’archéologie, on sait aujourd’hui de façon
indiscutable qu’Andriamanelo n’a pas inventé
le fer, ni Ralambo la domestication du bœuf. Tout près
d’Andramasina, le haut site à fossés (hadivory)
d’Ambohimanana qu’a fouillé feu David Rasamuel,
a fourni les restes de la consommation alimentaire de la population
qui y habitait : ce sont notamment des os de bovidés sur
lesquels sont visibles les traces des couteaux dont on usait.
M. Rafolo Andrianaivoarivony a fait et rendu publique l’étude
de cette boucherie fine. Or, daté de façon absolue
au Carbone 14, l’occupation d’Ambohimanana a commencé
au plus tard au IXe-Xe siècle apr. J.-C. ce qui en fait
actuellement, pour les Hautes Terres, le site le plus ancien.
Et, trouvés à quatre mètres de profondeur
dans le premier fossé qui avait été ensuite
comblé en servant de fosse à ordures, les restes
de boucherie étaient associés au charbon qui a servi
à la datation. De ce fait, il n’est pas aventureux
de dire que les habitants d’Ambohimanana consommaient la
viande de zébu et utilisaient des instruments en fer sept
siècles avant Andriamanelo et Ralambo!
Créée à l'époque la plus ancienne
de l'occupation des Hautes terres, Andramasina reste le modèle
type de I'ancienne cité princière idéale.
Son ancienneté, son prestige et sans doute aussi la sage
politique de tous ses princes lui ont permis de conserver sa forêt.
Rappelons qu'autrefois, quand un prince était vaincu, ses
sujets étaient souvent contraints de déguerpir et
sa forêt réduite en bois de chauffe pour les vainqueurs.
Ces forêts princières ne pouvaient être l'objet
d'une appropriation personnelle : elles ne faisaient pas partie
du patrimoine personnel des seigneurs et les héritiers
de ceux-ci ne pouvaient se la partager. Alan-dapa, c'était
un bien attaché au fanjakana, tout comme l'étaient
certaines rizières et terres de culture appelées
tanin-dapa. Elle constituait une sorte de pharmacie traditionnelle,
fournissant au seigneur les moyens d'assurer la santé de
sa parentèle et de ses sujets. Il se devait d'ailleurs
de l'entretenir et de maintenir la plénitude de ce rôle
de pharmacie. On se souvient que, très récemment
encore, chaque année du Vendredi (taon-joma) qui était
aussi l'année de la circoncision, et accompagné
de douze personnes de sa seigneurie, douze étant le signe
de la divine souveraineté célestielle, le Prince
d'Andramasina partait dans la forêt de l'Est chercher les
sauvageons à rapporter et replanter dans la forêt
du lapa pour l'enrichir ou remplacer les espèces en voie
de disparition.
C'est alors que le mpanjaka de la dynastie zafirambo de Vohitrarivo,
prés de Tsinjoarivo sur I'Onive, que son nom donne pour
Prince de I'Univers Andrianonindanitramantany signifiant à
la fois "Prince des fleuves du ciel et de la terre"
et "Prince du fleuve dans le ciel et sur la terre",
donna sa fille en mariage à Andriamasinavalona, roi de
I'Imerina aux quatre provinces (Imerina efa toko), qui avait déjà
posé le programme que reprit plus tard Andrianampoinimerina:
"Ny riaka no valam-parihiko", seule la mer était
la limite de sa rizière. Les négociations auxquelles
se livrèrent les deux Princes, reconnurent que, selon l'usage,
les deux premiers enfants de Ralaniboahangy "Dame Ciel de
Perles de Corail" appartiendraient à la famille de
leur mère et que le (ou la) premier(ère) né(e)
hériterait du fanjakana d'Andrianonindanitramantany.
L'histoire d'Andramasina et de sa région est
encore à faire pour les siècles les plus anciens,
néanmoins, l'on sait déjà de façon
sûre qu’au XVe XVI e siècle, les princes de
Milangana, qui domine toute la région au nord-est, s'étaient
procurés, comme d'autres princes d'Imerina, de beaux vases
en céladon de fabrication chinoise dont on a retrouvé
des fragments lors d'une reconnaissance archéologique.
Et la tradition orale, conservée par les mpitantara manendy
qui étaient au service des Princes, nous fournit son histoire
depuis le XVIII e siècle.
Regrettant l'Ambohimanjaka de la région de l'Onive qu'elle
abandonnait pour s'installer à Andramasina, Ralaniboahangy
obtint de son mari la création d'un nouvel Ambohimanjaka
surplombant Andramasina au nord. Affirmant son autorité
souveraine et celle de son épouse sur la région,
AndriamasinaValona rabaissa au rang roturier les havan'Andriana
de la région qui, appelés pour y ériger le
lapa Mandovahasina de Ralaniboahangy, avaient apporté,
suprême injure, des fagots d'ambiaty au lieu du bois nécessaire
à la trano kotona de Ralaniboahangy.
Ralaniboahangy n'eut pas d'enfant, mais selon le principe général
Ny Andriana tsy maty momba, aucun Andriana ne pouvait mourir sans
descendance. Ralaniboahangy adopta donc les deux premiers nés
de sa soeur et du prince d'Antongona qui, par convention, devaient
revenir à leur famille maternelle. Ce furent Andriantsolo
et sa soeur Ratsiavanga : le premier fut installe à Andramasina
et Ambohimanjaka, la seconde à Anosibe.
Sans doute est ce par anachronisme descendant qu'une tradition
orale accorde à Andriantsolo d'avoir établi Andramasina
en défrichant la forêt. En revanche, un des aménagements
importants que conduisit Andriantsolo fut la création du
lac sépulture qui, dominant Andramasina, est à l'ouest
d'Ambohimanjaka. Il hérita bien du fanjakana de son grand-père
Andrianonindanitramantany et de sa mère Ralaniboahangy.
A la fin du XVIII e siècle, en toute indépendance
à l'égard d'Antananarivo, son autorité de
mpanjaka s'étendait d'Andramasina jusqu'aux limites d'Ambohimanga
du Sud, Vohitrarivo sur l'Onive restant une des capitales de son
royaume : c'est notamment là qu'il fit circoncire son fils
et héritier Ramanjaka. Quand Andrianampoinimerina commença
à réaliser l'unité de l'Imerina, il apporta
son royaume au Prince d'Ambohimanga et Antananarivo et devint
Zazamarolahy et vadintany dans la nouvelle formation politique.
Les premiers vadintany d’Andrianampoinimerina n'étaient
pas encore ces sortes d'huissiers que devinrent les tenants du
titre à la fin du XIX e siècle. Ils étaient,
notamment dans leurs anciens royaumes et principautés,
les grands juges qui réglaient les conflits qui ne manquent
pas d'intervenir dans la vie de toute société. Ce
furent eux qui, par la suite, furent les premiers à porter
le titre d'Andriambaventy
Andriantsolo, dont on se souvient encore que sous Radama I°,
il créa a Ambohimanjaka la première école
de la région, mourut en 1837 et, comme il y était
de tradition pour les princes qui avaient exerce le pouvoir souverain,
son corps fut éviscère et embaume avant d'être
"cache" dans le tombeau construit au sommet d'Andramasina,
là où ses descendants andriamasinavaIona peuvent
encore aujourd'hui trouver leur dernière demeure.
Le fils d'Andriantsolo, Ramanjaka qui avait épousé
Ranoro, la veuve de Ramananolona, un cousin de Radama 1° exécute
sur ordres de Ranavalona 1° en 1828 à Fort Dauphin
Faradifay disait on alors hérita de la principauté.
Un peu en amont de Vohitrarivo, il en a distrait, pour les donner
à Ranavalona, les chutes d'Andriamamovoka sur I'Onive et
les terres qui l'entourent. C'est là que la Reine fit édifier
le Rova de Tsinjoarivo. Aux neveux de celle-ci, il donna deux
files de I'Onive : l’une à Ramahatrarivo, l’autre
à Ramonja. Ce sont aujourd'hui Anosin-dRamahatra et Anosin-dRamonja,
un peu en amont d'Anosimasina qu'il conserva. La maison d'Andramasina
entretenait, notamment par les alliances matrimoniales, d'excellentes
relations avec les souverains. Cela ne l'empêchait pas de
rester sur son quant à soi. Quand Ranavalona 1° se
rendit à Tsinjoarivo, elle passa par Andramasina, mais
comme par hasard et à la satisfaction de Ramanjaka, les
devins du lieu lui déconseillèrent d'aller à
Antampon'Andramasina .Cela permettait d'éviter d'autres
demandes de la Reine auxquelles il n'aurait pas été
possible de se soustraire.
Les bonnes relations n'arrangeaient pas tout. Ramanjaka ayant
pris une anguille de très grande taille dans ses fefin'amalona
de Vohitrarivo, la fit porter à Ranavalona 1° lors
de la préparation de ce mets de choix, les cuisiniers du
Rova trouvèrent le crâne d'un chat dans le corps
de l'anguille. La Reine pensa que Ramanjaka voulait l'ensorceler
et dépêcha des Tsiarondahy pour 1'executer. L'on
informa ensuite la Reine que ce chat pouvait être simplement
une des proies de l'anguille. Elle dépêcha alors
d'autres Tsiarondahy pour annuler son premier ordre, mais ils
arrivèrent trop tard, le mal était fait. En compensation,
la Reine accorda à Ramanjaka de grandes funérailles.
Son tombeau fut établi au nord de celui de son père,
et il fut décidé qu'après le décès
de sa femme qui y serait également "cachée",
le tombeau, comme celui de tous les rois, ne serait plus ouvert.
C'est pourquoi ce que l'on appelle "tombeau d’ Andriantsolo"
comporte en fait deux tombeaux dans le même monument.
Celui ci jusqu’à la colonisation, était donc
surmonté de deux trano manara. Rasoamanjaka, la fille de
Ramanjaka, puis Rafondriaka, le fils de cette dernière,
furent les derniers seigneurs d'Andramasina. Par la suite, le
pouvoir seigneurial devait revenir à Rangory, fille de
Rasoamanjaka ou a un homme ou une femme de sa descendance. La
conquête française fit disparaître ces institutions,
mais c'est dans la région où s'étaient réfugiés
les zélateurs de Rakelimalaza condamne à l'autodafé
par Ranavalona II, que, devant le reste de la Cour dans le combat
centre 1'envahisseur, les Menalamba élirent un nouveau
roi.
Andramasina conservait son prestige et son ancienne autorité
et restait une des sources d'inspiration du pouvoir selon la tradition
ancestrale. Le pouvoir colonial n'y fut pas insensible puisque,
dans la nouvelle administration, il lui conserva son rang de chef-lieu,
ce rang que la cite conserve jusqu'a ce jour comme centre et capitale
du Fivondronana d'Andramasina |