Des marchés créés pour maintenir
la paix
Certaines localités à la périphérie
d’Antananarivo portent le nom de Fihaonana. C’est
ainsi que sont dénommés les marchés avant
Andrianampoinimerina, c’est-à-dire du temps où
les guerres entre roitelets et chefs de clans ne cessent d’enflammer
l’ancienne Imerina.
Ce sont des lieux de rencontre entre eux, car ils s’accordent
à fixer un jour hebdomadaire, non seulement pour s’approvisionner
en produits de première nécessité, mais aussi
pour échanger les prisonniers.
Le samedi, tous se retrouvent à Ambohimirimo. Le dimanche
est réservé à la rencontre hebdomadaire d’Ambohidratrimo
entre les clans de l’Ouest et de l’Est, du Sud et
du Nord. Alatsinainy-Ambazaha réunit le lundi les Zanamihoatra,
le clan d’Anosizato et ceux d’Antananarivo. Le mardi
c’est à Andramasy que tous se retrouvent et à
Talata-Volonondry entre Mandiavato et Tsimahafotsy, le mercredi
à Amboanjobe entre les Famailahy et les Manisotra, le jeudi
à Antanamalaza entre Vakiniadiana et Alasora, et le
vendredi à Analaroa entre tout le Nord et tout le Sud.
Ces lieux de rencontre sont destinés aux seuls Malgaches.
Pour commercer avec les étrangers, les Vazaha, pour vendre
des esclaves et acheter des armes à feu, de la poudre et
des balles, ainsi que tout autre produit importé, il existe
aussi ce genre de marché aux confins de l’Imerina.
Tels à Ampamoizankova au nord-est, à Angavokely
à l’est, à Alarobia-Ambohitrambo à
l’ouest… Car à l’époque, et surtout
sous Andrianampoinimerina, il est interdit aux Vazaha de pénétrer
en Imerina et bien rares sont ceux qui y arrivent comme le visiteur
français Mayeur. La tradition affirme, en effet, que les
Blancs sont des cannibales (Vazaha homana olona) et la damnation
la plus dure à supporter est d’être «
exportée » à partir d’Ampamoizankova
(mivarina eo Ampamoizankova) vers d’autres régions
car c’est être vendu à un Vazaha. Sous Andrianampoinimerina,
le plus dur est d’être expédié à
Toamasina car de là, il est certain qu’on sera «
exporté ».
Ces journées de Fihaonana constituent une courte période
de trêve, car les autres jours de la semaine, les guéguerres
reprennent de plus belle. Seul le passage d’un essaim de
criquets provoque aussi un « cessez-le feu » car tous
les guerriers s’unissent pour combattre l’ennemi commun.
À l’époque aussi, il n’est pas très
recommandé de circuler la nuit, car les routes ne sont
pas sûres et l’on craint de rencontrer plus fort que
soi, capable de vous kidnapper pour vous vendre aux Vazaha. Car,
jadis, on ne verse pas le sang, même si la sécurité
n’existe pas la nuit, le pire des malheurs étant
d’être volé pour être vendu. C’est
ainsi que lorsque l’un des leurs est « perdu »,
tous les membres de la famille font le tour des Fihaonana jusqu’à
ce qu’ils le trouvent, pour l’échanger contre
un autre, « volé aussi ». Sinon, ce dernier
sera utilisé comme « ankizy ou domestique. À
l’époque aussi, selon les Tantara de Callet, il existe
déjà des receleurs » spécialisés
dans la traite d’esclaves.
Andrianampoinimerina, après avoir pacifié et réuni
l’Imerina, ne voit que des défauts dans cette structure
commerciale. Aussi décide-t-il de créer des marchés
destinés à échanger des produits de première
nécessité, des produits artisanaux, des biens nécessaires
à la vie quotidienne. En fait, c’est tout un système
qu’il crée, pour la première fois en Imerina
sinon à Madagascar.
Toutefois, les sujets du roi, constitués en territoires,
estiment qu’il n’est pas nécessaire de créer
d’autres marchés. Son conseiller Hagamainty renchérit
qu’il suffit d’établir des règles et
de renforcer la loi. La nouvelle structure conçue par Andrianampoinimerina-
c’est-à-dire le Fihaonana amélioré
et régi par des règles strictes- est testée
dans l’Avaradrano.
Pour marquer son démarrage, le grand monarque prononce
un important discours. « Ces marchés, dit-il en substance,
seront les palais commerciaux de mon royaume », où
ceux qui ont des produits agricoles et d’élevage
les vendront à ceux qui n’en ont pas, c’est-à-dire
les riches qui investiront dans les marchés pour les faire
fonctionner, où les veuves et les orphelins trouveront
des activités qui les feront vivre.
Ces marchés de l’Avaradrano s’ouvrent à
Ifanasana chez les Andrianteloray le dimanche, à Merimandroso
chez les Tsimahafotsy le lundi, à Talata-Volonondry
chez lez Mandiavato le mardi, à Namehana chez les Tsimiamboholahy
le mercredi, à Ambohimanga chez les Tsimahafotsy le jeudi
à Antananarivo pour les Voromahery, le vendredi le marché
hebdomadaire qui réunit les clans d’Avaradrano se
tient à Fiadanana à Antananarivo, et le samedi à
Ambato.
Au bout d’un an, le test est positif. Les marchés
se développent, les cultivateurs, les éleveurs et
les artisans écoulent leurs produits en ces lieux, les
nobles et les bourgeois les achètent. Le système
fonctionne et c’est vraiment une réussite. Le roi
se félicite car ses sujets n’ont plus besoin de voler
pour vivre.
Ils doivent travailler et pour ce faire, il leur donne des parcelles
de terrain où cultiver, des pelles pour bâcher, des
cannes pour pêcher. Il les encourage à développer
leur
élevage bovin, ovin, avicole… Désormais, il
existe les marchés quotidiens et ceux, plus importants,
qui sont hebdomadaires. Quant aux Fihaonana, ils sont maintenus
pour la traite d’esclaves.
Un système commercial très compliqué
Au bout d’un an, le test des marchés organisés
dans les sept circonscriptions d’Avaradrano s’avère
positif (lire précédente Note). Andrianampoinimerina
décide alors d’étendre le système à
tous les territoires. Car il s’agit bien d’un système
puisque la création de ces structures s’accompagne
de la détermination des monnaies, des poids et des mesures.
Cela ne veut pas dire que les balances et les poids n’existent
pas auparavant, mais chacun a les siens propres, ce qui ne peut
que provoquer des litiges sinon des conflits, dont le vainqueur
ne peut être que le plus fort ou le plus puissant. C’est
ainsi qu’Andrianampoinimerina décrète que
« la balance qui ne ment pas » (mizana tsy mandainga)
est la seule valable dans les six territoires jusque dans le Betsileo.
La fabrication ainsi que celle des poids sont confiés à
la classe noble des Andriandranando. On compte cinq poids (correspondant
aux roavoamena, sikajy, kirobo, loso, lasiray) complétés
par les grains de paddy pleins. Il institue aussi le menalefona,
la seule boîte autorisée pour mesurer le paddy. Pour
le métrage (mesures métriques), il utilise le corps
humain. Il établit le refy (longueur), le zehy (espace
entre le pouce et l’index ou le majeur), le dia et le dingana.
D’autres mesures viennent aussi s’y ajouter, telles
le anky qui équivaut à un doigt, le voadivoampelatanana
(base de la paume), le hondry (poing), le vehana (pouce et index).
Il existe d’autres mesures plus détaillées
comme le roanjehy ou hakiho du majeur au cou ; telonjehy ou tovon-tsandry
du majeur à l’aisselle ; mamaki-tratra, la moitié
du refy c’est-à-dire du majeur jusqu’à
la mi-poitrine ; le refy la longueur des deux bras et la poitrine
(du bout d’un majeur à l’autre)…
Le pied est aussi utilisé. Le dia ou la longueur de la
plante du pied, le tsivalan-dia ou la largeur de la plante du
pied. Concernant la hauteur, on utilise les termes hahatongotra
jusqu’au pied, hakibon-drandro à mi-jambe, halohalika
jusqu’au genou, hamatom-pe à mi-cuisse, hafoto-pe
jusqu’au début de la cuisse, havalahana jusqu’à
la hanche, hafoitra jusqu’au nombril, havavafo jusqu’au
sein, hatratra jusqu’à la poitrine, hahelika jusqu’à
l’aisselle, hatenda jusqu’au cou, hasaoka jusqu’au
menton, havava jusqu’à la bouche, hamaso jusqu’aux
yeux, hahandrina jusqu’au front, mandifitr’olona qui
submerge une personne…
De tels calculs nécessitent une grande vivacité
d’esprit d’autant que l’école est inconnue
à l’époque. Pourtant, leur emploi semble bien
assimilé et est très respecté par crainte
du roi qui punit sévèrement toute forme d’escroquerie.
Il est à rappeler les noms de la piastre (ariary) quand
elle est coupée. Coupée en deux c’est
le loso, le tiers est le sasanangy, le quart le kirobo, le cinquième
l’iraimbilanja, le sixième le venty, le septième
le lasitelo, le huitième le sikajy, le neuvième
le sikajy moins le erany, le dixième le lasiroa (deux voamena
plus une moitié de voamena).
Coupée en douze morceaux, c’est le roavoamena, le
16e c’est le lasiray (un voamena plus une
moitié de voamena) moins le erany, le 24e c’est le
voamena, le 48e le ilavoamena, le 72e le
eranambatry, le 144e le varidimiventy, le 720e le variraiventy…
Le poids d’un voamena équivaut à 40 grains
de paddy pleins ; le ilavoamena à 20 grains, le eranambatry
à 13 grains, le varifitoventy à 10 grains, le varienimbenty
à 8 grains, le varidimiventy à 7 grains, le variefabenty
à 5 grains, le variteloventy à 4 grains, le variroaventy
à 3 grains, le variraiventy à un grain et demi.
Le système de prêt est autorisé sans qu’aucune
loi ne le réglemente. L’objectif est de permettre
à ceux qui se trouvent dans une période de difficulté
passagère d’investir cet argent pour développer
leurs activités ou améliorer leurs conditions de
vie. Les prêteurs- des usuriers plutôt- de leur côté
sont très nombreux car tous les gens aisés le pratiquent
s’ils n’investissent pas leur argent dans l’achat
de bétail ou d’esclaves.
Car c’est d’un bon rapport. Un accord se fait entre
les deux parties, mais l’emprunteur est toujours en mauvaise
position pour imposer ses conditions. Ainsi, le cas des mauvais
payeurs est porté devant le roi via les juges. S’ils
persistent dans leur attitude pour diverses raisons, ils sont
vendus et leur prix est versé moitié à l’usurier,
moitié au roi.
Les intérêts sont de deux sortes, soit en espèces
soit en nature, et dans ce cas, il s’agit de paddy. Une
piastre (ariary) remboursable en une année, produit un
« vata » de paddy ; deux ariary, deux « vata
» : trois ariary, trois « vata » ; 100 ariary
100 « vata ».
En espèces, un ariary emprunté, remboursable en
un mois, produit un voamena, deux voamena en deux mois, un sikajy
en trois mois, un venty en quatre mois, un iraimbilanja en cinq
mois, un loso en un an, un ariary en deux ans…
Pela Ravalitera l' Express Mada |