Une "trano bongo" dans les rizières
Une étude réalisée en 1968 par Gerald Donque, maître assistant à l'Université de Madagascar, évoque les conditions de vie dans la Capitale.
A l'époque, hormis les immeubles collectifs et autres cités, les maisons, villas et buildings modernes, très abondants dans le centre et certains quartiers d'affaires ou résidentiels, l'habitat traditionnel se voit un peu partout.
Selon l'auteur, il relève de trois catégories de maisons.
Il y a d'abord "l'habitat précaire des digues et des rizières". A quelques centimètres au-dessus de la nappe d'eau des rizières, sont construites les "trano bongo". Il s'agit de simples constructions de torchis aux parois faites de boue armée de roseaux. Leur toit, de "zozoro" (roseau) également, "engendre une abondante végétation adventice" en pourrissant sous la pluie. Dans une étroite et unique pièce, vivent cinq ou six personnes, voire plus, "dans les conditions d'insalubrité que l'on peut imaginer".
Selon Gerald Donque, la "trano bongo", véritable taudis, caractérise la zone suburbaine d'Antananarivo, "son auréole en voie de déruralisation". Il est très répandu dans les vastes étendues rizicoles de l'ouest et du nord de la commune. "Ses habitants sont généralement des métayers riziculteurs vivant dans un état de dénuement total".
Il y a ensuite la case malgache, faite de pisé, qui se rencontre surtout vers la périphérie de la ville, dans sa zone semi-rurale, mais aussi dans de nombreux quartiers proches de la capitale.
"Fréquemment sur les digues, elle alterne avec le type précédent pour créer de longues rangées de maisons alignées au-dessus d'une eau croupissante".
En général située au milieu d'une courette où sont élevées des volailles, elle est à simple rez-de-chaussée, avec des murs d'argile crépis de rouge, "vite lézardés et affaissés sous l'action des pluies", et couverte d'un toit de chaume, quelquefois de tôles. Elle n'a aussi qu'une pièce unique, la cuisine se fait dans la cour. L'électricité et l'eau courante sont des luxes inaccessibles pour des ménages toujours à nombreuse progéniture. "Femmes et enfants vont se ravitailler à la fontaine publique. La lessive ainsi que les soins élémentaires de toilette ont lieu, dans le meilleur des cas, dans une cuvette".
Il y a enfin la maison traditionnelle de briques, "plus spécifiquement urbaine". La forme de ce genre de bâtiment découle d'une pratique défensive qui a consisté à se tenir à l'étage pendant la nuit pour se soustraire aux vols. "Pour mieux avantager sa position, on retirait l'échelle qui desservait le premier niveau. Ce fait explique le gabarit souvent étroit et haut de ce type de maison".
Cette forme primitive évolue sous l'influence européenne. Elle s'agrémente d'une varangue, s'équipe sous la forme d'une construction à rez-de-chaussée et à étage, carrée ou rectangulaire, à toit de tuiles plates. "Le plan, conçu sur celui du cottage anglais, dispose de deux ou trois pièces au rez-de-chaussée et autant à l'étage". Sur la façade principale s'ouvre la varangue, soutenue par des piliers de bois ou de briques. Quelquefois, une cour ou un jardin entoure l'habitation et, souvent, la cuisine continue de se faire en plein air.
La matière première de la construction de ce type de maison est tirée de la rizière. Celle-ci, louée par son propriétaire à un briquetier, fournit sous la couche d'alluvions la "tany manga", argile bleutée qui est moulée dans un cadre parallélépipédique, mouillée et saupoudrée de sable. Après démoulage, les briques sèchent quelques jours sur une aire sablée, puis elles sont empilées en un édifice quadrangulaire à l'intérieur duquel un espace est laissé libre pour servir de foyer. Le combustible utilisé est la tourbe, tirée elle aussi de la rizière. La cuisson dure 12 à 15 jours.
La varangue aux multiples rôles
Dans les quartiers à forte densité de population, la maison individuelle cède la place à la maison collective. Celle-ci est conçue de la même manière que la maison individuelle, mais de dimensions beaucoup plus grandes et comprenant souvent deux sinon trois étages.
Ces grandes bâtisses aux murs rouges se voient surtout dans les quartiers populeux et pauvres d'Isotry, Manarintsoa, Andravoahangy... Le rez-de-chaussée est à usage d'habitation ou abrite un petit commerce, un atelier d'artisan. Une ou plusieurs varangues s'ouvrent sur la façade principale, généralement communes à plusieurs familles.
Ces varangues jouent un grand rôle dans la vie des habitants de l'immeuble. On y fait la lessive et le linge y sèche. Les enfants s'y ébattent, y procèdent à leur toilette ou y font leurs devoirs scolaires. On y prépare et on y prend les repas. On y coud, on y repasse, on y range les matelas qui servent pendant la nuit.
La cour, commune aux locataires, rend les même services que le balcon. C'est là que se trouvent aussi les fosses perdues.
Ces immeubles surpeuplés disposent souvent de l'électricité, "sans qu'un branchement desserve toujours chaque pièce". La promiscuité, le bruit, le manque d'aération ou d'ensoleillement y rendent la vie difficile. "Néanmoins, leurs occupants déclarent apprécier le voisinage générateur d'entraide et de vie communautaire, ainsi que la promiscuité immédiate des petits commerces et des artisans du quartier".
Pela Ravalitera www.lexpressmada.com
Les toits de Tana, témoins de l'histoire d'une cité
Quel témoin plus authentique de l'histoire d'Antananarivo que
son évolution architecturale ? Cases en pisé de terre, villas
cossues, temples et églises, buildings et cabanes de bois reflètent
le chemin parcouru par la capitale.
Le paysage architectural de l'Imerina a certainement été marqué
par l'influence occidentale. Les constructions en bois d'ambora,
vandrika ou merana étaient d'abord assez courantes dans la capitale
particulièrement pour les familles de la haute société. La population
construisait des cases de terre et en toit de chaume. Ce n'est
qu'en 1868, date à laquelle Ranavalona II accède au trône et abrogea
l'interdiction d'utiliser la pierre dans les constructions de
maisons que l'architecture prit un nouveau souffle. La pierre,
la brique, le verre, et le fer forgé apportent ainsi un caractère
plus ouvert aux maisons d'Antananarivo.
Les Britanniques et les Français ont apporté pas mal d'innovations
dans le style architectural des maisons tananariviennes. Le style
anglo-saxon, inspiré de l'époque victorienne, est sans doute à
la base de la maison traditionnelle des maisons merina, tel que
tout un chacun le conçoit actuellement. Les demeures comme la
Villa Vanille d'Antanimena, la résidence Mampiherika d'Ambohijatovo
en sont des exemples. On peut voir sur ces bâtiments toute l'influence
britannique et créole, explique Roger Chapuis-Milard, architecte
mauricien, qui a justement effectué des recherches sur le paysage
architectural dans les anciennes colonies françaises et britanniques.
C'est d'ailleurs à un autre Mauricien, Louis Gros, architecte,
dessinateur et charpentier que la capitale doit ses premières
grandes transformations : les premières maisons à étages, la subdivision
de la pièce principale en chambres, la toiture à plusieurs pans,
les vérandas, les piliers. L'influence française fut apportée
par Laborde mais aussi d'autres architectes tels que Jully, ou
Rigaud. C'est à l'époque de la colonisation française que l'on
voit apparaître des détails très complexes comme les frontons.
Cette métamorphose s'est faite presque naturellement et s'est
facilement intégrée dans certains quartiers comme Andohalo, Faravohitra,
Ankadifotsy ou Isoraka
L'influence occidentale s'est fait aussi ressentir dans les édifices
religieux, avec l'arrivée de missionnaires britanniques tels que
Cameron à qui l'on doit le revêtement en pierre du palais de Manjakamiadana.
Pour ma part, je pense que les bâtiments religieux ont été l'une
des plus importantes parts d'héritage que les vazaha ont laissé
en Imerina. C'est par leur intervention que la capitale malgache
s'est habituée à certains détails d'architecture très minutieux
que l'on peut voir dans les vieilles églises d'Antananarivo.
Sans altérer l'architecture traditionnelle de la maison des hautes
terres, l'influence étrangère semble avoir valorisé le trano gasy
. La croissance démographique galopante, la nécessité de mieux
gérer l'espace ont fait apparaître des bâtiments plus fonctionnels.
Les cités de Soavinandriana, des 67 ha ou d'Ampefiloha bâtis dans
les années 60 et 70 mais aussi les bâtiments administratifs et
ministériels que l'on peut voir à Anosy en sont des exemples.
Mais il faut croire que la demeure traditionnelle malgache est
en train de revenir au goût du jour, comme on peut le voir du
côté de Tana Water Front, à Ambodivona. Même si pour l'instant
et paradoxalement, ce sont surtout les étrangers qui préfèrent.
Mialy Randriamampianina http://www.les-nouvelles.com/
Antananarivo, une capitale sans rue et sans voirie
L’habitat en Imerina évolue progressivement, avec
l’arrivée des Européens à partir de
Radama Ier. Notamment sous le règne de Ranavalona II, où
l’usage de la pierre comme matériau de construction
de maison, n’est plus interdit. Ainsi, dans le Rova d’Antananarivo,
le Palais de Manjakamiadana se couvre d’une coquille
de pierres. Si celle-ci alourdit son allure, elle le protège
au moins des aléas climatiques.
Parallèlement, le Temple du Palais est achevé, concrétisant
la nouvelle religion royale.
Un Palais de justice en piliers de pierre et architrave s’érige
à Ambatondrafandrana, entre le Palais de Manjakamiadana
et sa réplique à Andafiavaratra, celui du Premier
ministre. Car Rainilaiarivony rase le magnifique Palais de
ses ancêtres et à l’emplacement, Pool construit
celui qu’on connaît aujourd’hui. De même,
le Premier ministre se fait construire un bureau près de
Manampisoa, mais il sera détruit vers 1897. En même
temps, avec la conversation de Ranavalona II et de son Premier
ministre, les principaux édifices culturels d’Antananarivo
sont terminés.
« Toutefois, si l’habitat a réussi à
se libérer, il n’en est pas de même pour les
voies de circulation qui sont peu différentes de celles
du temps de Radama Ier» (Jean-Pierre Testa, École
nationale supérieure des Beaux-arts de Paris, 1971). Les
portes de la ville sont depuis longtemps hors d’usage, écroulées
pour la plupart ou détruites volontairement, mais elles
n’en demeurent pas moins les seuls accès de la capitale.
Avec Ranavalona III, Antananarivo est une ville comme beaucoup
d’autres en Europe. Seules, les voies de circulation et
la voirie en sont absentes. Néanmoins, une route carrossable
descend du Rova vers Ambanidia. Dans la ville, à peine
une centaine de maisons de bois subsistent.
Résumant l’évolution des formes d’habitat,
Jean-Pierre Testa indique que cela va du plus simple au plus complexe.
De la case de bois, s’inspireront les palais et riches demeures
à étages ; de la case de terre, la maison à
véranda qui évoluera dans le plan pour prendre la
forme du T, du L, du H, du E. La véranda soutenue par des
pièces de bois sera quelquefois supportée par des
voûtes et, à la fin du XIXe siècle, apparaissent
des villas à tour ou aile carrée, forme qui semble
d’inspiration française, en opposition à la
ville classique introduite et généralisée
par Cameron.
La maison, rappelons-le, qu’elle appartienne à un
riche ou à un moins aisé, comprend plus ou moins
de pièces, mais la distribution reste la même. La
maison modeste comporte un étage et un grenier servant
de cuisine, une véranda sur piliers de briques cuites,
deux pièces au rez-de-chaussée séparées
par l’escalier identique pour l’étage. Les
murs sont en briques cuites ou séchées au soleil,
les coins et les linteaux, eux, sont toujours en briques cuites.
Un crépissage de terre est fait pour les murs intérieurs
et extérieurs, un toit à deux pentes rappelle les
anciennes toitures de chaume par l’angle de ses versants,
quoique couvert de tuiles ou de chaume.
L’habitation des gens plus aisés comprend jusqu’à
six pièces, mais le style est le même. Seuls les
matériaux employés diffèrent avec des briques
cuites très soignées pour les murs, linteaux et
piliers de véranda en pierre sculptée.
En même temps que les nouvelles techniques de construction
font leur apparition, se développe toute une orientation
de l’habitation. Les vérandas sont équipées
de balustrades travaillées qui peuvent être de bois
découpés et tournés, de fer forgé,
ou de briques assemblées avec des jours.
L’intérieur de la maison s’enrichit d’une
cheminée qui deviendra le symbole d’une époque
et d’une certaine richesse. Les piliers de briques sont
couronnés de chapiteaux de pierre sculptée.
Pour conclure son étude, Jean-Pierre Testa indique que
le début du XXe siècle est le théâtre
d’une perte de tradition et de qualité dans la construction
individuelle, à caractère artisanal. « De
nouveaux matériaux mal compris et mal employés,
un nouveau style tout à fait douteux d’architecture
ou de construction moderne sont venus porter autant de coups au
patrimoine construit et au patrimoine culturel. »
Car, ajoute Jean-Pierre Testa, c’est la matérialisation
même d’un style : le « style tropical »
remplace le style malgache. Ces constructions de « mauvais
goût » qui avoisinent les vieilles maisons même
modestes, viennent « dégrader » le site remarquable
des quartiers historiques de la capitale.
Toutefois, à l’avènement de l’Indépendance,
il semble y avoir un renversement du goût. Poussés
par le « besoin légitime de réaffirmer et
de conserver le style malgache si précieux », les
habitants de la capitale entreprennent la restauration des vieilles
demeures. Les architectes s’efforcent, avec les techniques
et les moyens modernes, de créer une nouvelle architecture
malgache. Celle-ci se défend d’être une reproduction
du passé, mais s’efforce d’en être un
prolongement plein d’innovations et de modernisation qui
sont tout à fait compatibles avec le patrimoine construit.
Pela Ravalitera www.lexpressmada.com
Le centre-ville, un ensemble monumental
Dès sa construction, l’avenue de l’Indépendance
(ex-avenue Fallières, puis ex-avenue de La Libération)
forme un ensemble monumental. Une œuvre de longue haleine
aboutit à sa réalisation.
A la fin du XIXe siècle, M. Estèbe, maire d’Antananarivo
d’accord avec le général Gallieni, achète
les rizières au nord d’Analakely dans l’intention
d’y établir la future gare de Soarano. Puis il obtient
des habitants de la colline d’Antanimena qu’ils lui
cèdent leurs terrains. Il fait alors raser la butte et
ses déblais viennent combler les rizières.
La gare de Soarano sera fonctionnelle en 1910.
La même année, M. Delpech trace l’avenue Fallières
et M. S. Savaron l’établit, tandis que se comblent
les terrains avoisinant Ambatomena. Deux grands escaliers en vis-à-vis
relient désormais le haut du quartier d’Ambondrona
à la Place Colbert à Antaninarenina. Et c’est
à l’extrémité de l’avenue Fallières,
que serait érigée la statue équestre de Gallieni
qui se détacherait sur l’arrière-plan verdoyant
des arbres qui grandissent dans le Jardin d’Ambohijatovo.
Le programme est réalisé en tous points.
En 1923, le long de l’avenue, le gouverneur général
Hubert Garbit fait construire un bâtiment destiné
à recevoir les stands de l’Exposition de Madagascar.
Mais l’architecte n’ayant pas tenu compte du terrain
sur lequel il doit exercer ses talents, il se produit des affaissements
qui obligent à démolir plus tard l’édifice.
Cette mésaventure incite à la prudence. En 1930,
le gouverneur général Léon Cayla aidé
de son ami de Cantelou s’empresse de mettre à l’étude
un plan qui doit faire de tout ce quartier l’un des plus
beaux et des plus modernes de la ville. « Mais on se retint
de voir grand, alors on fit petit. » Et l’on s’arrête
au choix de l’unité-type architectural.
« Du gouverneur général Cayla, originaire
de l’Oranie, vient peut-être l’idée chère
aux Méditerranéens d’une galerie à
portique, conception également valable dans ce pays de
soleil et de plaine (…) Quant à M. de Cantelou, son
goût discutable des pergolas s’est répandu
trop visiblement dans la ville pour qu’on puisse hésiter
sur leur origine. Tout comme les bow-windows de l’avenue,
elles étaient de mode dans les années 1920-1930.
»
Le bloc des bâtiments de l’Hôtel de ville, très
solennellement inauguré le 7 mars 1936, complète
le tout. Son aspect en fait l’un des édifices les
plus réussies de la capitale.
« La grandeur de l’avenue avec ses parterres joliment
gazonnés et fleuris fait admettre son encadrement architectural.
»
Selon un expert des années 1950, pour l’urbaniste
qui veut traiter la question d’Antananarivo, « le
problème se trouve simplifié en raison de la structure
acquise par la ville:
la capitale est centrée, axée et orientée
dans son développement ».
Centrée parce qu’elle a déjà un centre
virtuel, primordial, chargé de signification spirituelle:
le Palais de la Reine et sa référence historique;
parce qu’elle a ensuite un autre centre, réel celui-là,
où s’entrecoupent ses lignes de force et qui est
son actuel point de gravité: la place du Zoma.
Axée puisqu’elle offre un axe de symétrie,
l’avenue de la Libération et le Parc d’Ambohijatovo
qui divise la ville en deux moitiés.
Orientée car son développement évident suit
une ligne de force sur son axe même vers le Nord-ouest,
c’est-à-dire en direction de la route de Mahajanga.
« Quelle que soit son extension dans l’avenir, Tananarive
a déjà acquis une structure centrale définitive
et une physionomie originale. »
Pela Ravalitera www.lexpressmada.com
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