Un sacrifice rituel à Manjakatompo
La forêt de Manjakatompo,dans le district d'Ambatolampy,
renferme, jadis, un "mystère".
En fait, il s'agit d'un rite de sacrifice qui a pour cadre Ambohimirandrana,
"la montagne tressée".
Les habitants des environs sont, d'ailleurs, profondément
imprégnés de superstitions : "Ne passez pas
par tel marais, vous pouvez y avoir le cou tordu. Ne crachez pas
ici, vous deviendrez muet. Ne montrez pas de la main ce tombeau,
vous allez perdre vos doigts". Effectivement, les voies de
communications sont tellement difficiles que, seuls, les sorciers
et les devins sont les rois et maîtres des lieux. Ces croyances
perdurent, d'autant plus profondément que la contrée
est le royaume des Vazimba, "nains"de descendance africaine
qui, d'après la légende, auraient disparu miraculeusement
et se seraient transformés en habitants maléfiques
des sources et des lieux solitaires. Pour apaiser ces colères
invisibles, ou pour demander des bénédictions, de
nombreuses personnes viennent immoler des sacrifices sanglants
au sommet d'Ambohimirandrana, surtout au mois d'août.
Selon Fulgence Eutrope Ramilijaona, du musée d'arts et
d'archéologie, en 1971, du Lac Froid, un petit sentier
discret, secret même, mène au pied d'une cascade
dans une forêt d'arbres et d'arbustes entrelacées
de lianes. L'eau tombe en gerbes glacées; mais pour qui
veut participer au sacrifice, il doit s'astreindre au rite habituel
de l'ablution pour se purifier de ses péchés.
Y apporter quelque chose à base de porc (viande, graisse,
charcuterie, mets) est un sacrilège mortel, car alors les
dieux se mettent en colère et punissent le profanateur.
A partir de la cascade, il faut en outre marcher pieds nus, les
chaussures ne sont pas permises dans l'enceinte "archisacrée".
Enfin, le silence est de rigueur et "attention au faux pas
si vous ne voulez pas être commenté sévèrement
et d'une façon fantaisiste parfois".
Au sommet de la montagne se trouve une grande clairière
que seuls les adeptes du culte connaissent. Ici et là,
de vieux troncs d'arbres troués recèlent différents
présents : des bonbons, du miel, des têtes et des
pattes de volaille, des pièces de monnaie...
Des crânes de boeufs munis de leurs cornes sont accrochés
un peu partout. "Au milieu, à l'ombre d'un grand figuier,
le tombeau royal, celui de Rafohy, la reine des Vazimba, impose
le respect par son aspect insolite. II est couvert de sang séché
et d'ossements d'animaux et de présents hétéroclites".
Devant le tombeau se dresse une table de pierre. Tout autour,
les gens, hommes, femmes, enfants, jeunes et vieillards, "las
et fatigués d'un long trajet, attendent silencieusement,
saisis d'une crainte mystérieuse".
Un vieillard, enveloppé dans son grand lamba blanc de fête,
cache un coq sous le bras gauche. Une famille garde un agneau
blanc retenu par une cordelette rouge. Un boeuf roux, tacheté
de blanc sur le front, rumine insouciant au pied d'un arbre. De
grands coutelas et des cuvettes blanches luisent au soleil. Des
joueurs de flûtes et de tambours s'exercent en sourdine.
En début d'après-midi, "un grand individu aux
cheveux crépus, la barbe en broussaille, une longue bure
jusqu'à terre, le prêtre sans doute, foudroie l'assemblée
d'un regard circulaire. Calme et mystérieux, il se place
devant la porte du tombeau, s'incline presque comme coupé
en deux, se croise les bras sur la poitrine, lève les mains
au ciel, puis les ramène sur la figure tout en prononçant
des oracles incompréhensibles et enfin se tourne vers l'assistance".
A cet instant, le silence est brusquement rompu et une "cacophonie
de tam-tam, de cris, de prières, de danses étranges
et de prosternations", accompagne le rythme des chants. Dix
hommes robustes immobilisent le boeuf, et le prêtre et ses
aides procèdent au sacrifice, le saignant d'abord avec
un coutelas avant de lui donner le dernier coup de grâce.
Le sacrificateur revient devant l'entrée du tombeaux prend
une poignée de terre, la mélange au sang du bceuf,
fait une courte révérence et asperge les fidèles
au moyen d'une branche de figuier.
Pendant tout ce temps, les adeptes "se promènent à
terre, dans un murmure confus et des gestes convulsifs".
Vient ensuite le moment de l'offrande de l'agneau, des coqs et
autres présents appropriés. Le repas en commun se
prépare avec les dernières paroles de prédication,
de reproche ou d'exhortation, d'une "danse hystérique"
effectuée par une femme, soutenue par les acclamations
scandées de l'assistance.
Manjakatompo, une forêt unique dans la région
II est interdit de pénétrer dans la forêt
de Manjakatompo sans l'autorisation des responsables du disctrict
d'Ambatolampy. Pour y arriver, il faut faire une demi-heure de
route secondaire, dans la direction de l'Ankaratra.
Manjakatompo est une belle station forestière, "unique
en son genre dans la région" : Les branches "des
arbres, des pins et des cyprès se courbent jusqu'à
terre comme pour vous saluer et forment une voûte splendide
le long de votre passage" (Fulgence Ramilijaona).
"Le vent de la forêt, entremêlé aux chants
des oiseaux et bruissements des feuilles mortes, rappelle le sifflement
d'un train lointain. L'humidité et le roucoulement des
ruisseaux donnent à la nature un aspect encore plus poétique.
Quelques cerfs curieux, semblent vous épier avec étonnement
et filent comme un trait vers la liberté de la forêt"
"
Une pisciculture bien entretenue rehausse le renom de la station.
Un peu plus loin, sur la même route vers l'Ankaratra, se
trouve le
lac Froid. C'est la réserve d'eau alimentant la ville
d'Ambatolampy. Son nom vient du fait que les eaux des environs,
collectées à cet endroit, forment un grand étang
froid et profond. II est possible de s'y promener en pirogue et
ainsi de voir de près les sarcelles ,.qui se poursuivent
à travers les joncs.
Pela Ravalitera journal l'Express |