Antehiroka et Royauté Vazimba
Jusque sous le règne d’Andrianampoinimerina (1785-1810),
les Antehiroka avaient bien un statut andriana accompagné de privilèges
importants : 1.Tsimatimanota, 2.Tsy hanim-dodihena, 3.Tsy atao menakely,
4.Tsy hanina maty momba, 5.Tsy miambina valamena, 6.Tsy mandoa isam-pangady,
7.Tsy mandoa variraiventy isan’aina. 8.Tsy iakarana osy, 9.Tsy atao
miaramila, 10.Tsy milanja andriana.
C’est grâce à Ranoromasina et à la circoncision
que les Antehiroka auraient obtenu d’Andrianampoinimerina des "faveurs"
ensuite pour la plupart retirées à l’époque
de Radama Ier et de Ranavalona Ire.
Plutôt que de classer ces privilèges selon leur nature,
nous avons préféré les citer selon l’ordre
suivi par le tantaran-dRanoro, car, dans une certaine mesure, cet ordre
indique l’importance relative qui leur était alors accordée.
Les huit premiers sont ceux qu’énumère le tantara
les deux derniers apparaissent ensuite en relation avec des événements
rapportés à Ranavalona I°
1. Tsy mati-manota : |
"ils ont la-vie-sauve-même-en-cas-de-crime" |
2. Tsy hanim-bodihena : |
"on n’en peut exiger la culotte de
bœuf" |
3. Tsy natao menakely : |
"on ne les a pas donnés en apanage" |
4. Tsy hanina mati-momba : |
"leurs biens ne peuvent tomber en déshérence" |
5. Tsy miambina valamena (rova) : |
"ils ne gardent pas l’enceinte
royale" |
6. Tsy mandoa isam-pangady : |
"ils ne payent pas l’impôt-par-bêche" |
7. Tsy mandoa variraiventy isan’ aina : |
"ils ne payent pas
le grain d’argent par personne vivante" |
8. Tsy iakarana osy : |
"ils n’ont pas à accueillir de
chèvres dans leurs villages" |
9. Tsy atao miaramila : |
"ils ne font pas le service militaire" |
10. Tsy milanja Andriana : |
"ils n’ont pas à porter les
Princes et Princesses" |
Sous Ranavalona I°, dit encore le tantaran-dRanoro, les Antehiroka
ont été amenés à renoncer à certains
de ces privilèges : les premier, sixième, septième,
huitième et neuvième et se sont engagés par ailleurs
à exécuter toutes les corvées normalement exigibles
de l’ensemble du peuple d’Imerina. L’origine des privilèges
des Antehiroka Évidemment, la question se pose immédiatement
de savoir comment un groupe aurait pu obtenir d’un souverain, en
si grand nombre et d’une telle importance, des faveurs auxquelles
ses successeurs immédiats auraient mis fin. C’est le genre
de question que la tradition orale pose habituellement à l’historien
et auquel il est difficile de répondre. Surtout, comme c’est
le cas le plus fréquent, lorsque l’on se trouve confronté
à une tradition isolée. Le tantaran-dRanoro n’étant
pas une tradition isolée, notre effort de compréhension
en sera facilité. Mais la démarche suivie et la solution
trouvée pourront nous aider à mieux comprendre les traditions
isolées. Le tantaran-dRanoro, il est vrai, fournit une réponse
à notre question par l’énoncé d’une constatation
générale qui, par sa formulation bien frappée a valeur
de sagesse universelle : Ny fanjakam-banim-pary, Ka ny anjakàn’
ny aloha tsy anjakàn’ ny aoriana", c’est-à-dire
: "Les règnes sont à l’image des entre-nœuds
de canne à sucre, "Et les institutions du règne passé
ne deviennent pas celles du règne suivant". En somme, les
Antehiroka auraient dû se plier à l’arbitraire royal.
C’est là une explication dont il faut bien noter la commodité,
et d’abord pour les Antehiroka eux-mêmes qui, s’ils
perdent leur tranquillité et leur bonheur paisible ("niala
tamin’ ny fiadanany Antairoka", n’ont pas perdu leur
honneur d’hommes et de sujets, puisqu’ils ne sont pas responsables
de ce préjudice.
L’historien, quant à lui, peut hésiter à
admettre cette notion d’arbitraire royal, à laquelle on recourt
aussi souvent qu’à celle de la seule fantaisie, pour expliquer
les faits historiques insolites rapportés par la tradition. L’hésitation
est d’autant plus grande que, face à ces notions d’arbitraire
ou de fantaisie, l’on trouve aussi régulièrement employées
celles de la rigidité et de l’immuabilité de la tradition
et de la société traditionnelle, dont il est évident
qu’elles sont pour le moins difficilement conciliables. Aussi, tout
en saisissant la signification de la constatation donnée par le
tantaran-dRanoro, l’historien doit-il faire preuve de grande prudence,
l’expérience et l’histoire comparée des sociétés
l’invitant à pénétrer plus avant. Dans le cas
présent, les autres sources, et particulièrement le Tantara
ny Andriana, conduisent à faire certains recoupements significatifs.
En effet, nous savons que les Antehiroka descendent d’Andriantsimandafika
et d’Andriambodilova, qui se sont soumis à Andrianjaka lorsque
celui-ci s’installa à Antananarivo, et qui, après
leur trépas, furent à Ambohitriniarivo pour le premier et
Anosisoa pour le second, objets d’un culte rendu par les souverains
d’Antananarivo. Les Antehiroka, depuis cette époque, furent
les maîtres de la circoncision. Pour celle-ci, ils étaient
évidemment du nombre de ceux qui étaient autonomes (mahavita
tena), et pour la circoncision des princes ouvrant la voie à la
circoncision populaire, c’est d’eux et de leurs services que
dépendaient les souverains. Les Antehiroka apparaissent également
tsimatimanota bien avant Andrianampoinimerina. Une anecdote rapportée
par le Tantara ny Andriana l’illustre encore, qui raconte leur résistance
acharnée à la politique d’unification d’Andrianampoinimerina
et particulièrement les faits d’armes de Ravovonana qui blessa
même Andrianampoinimerina d’un coup de fusil à la jambe.
Après sa victoire, Andrianampoinimerina, avant de mettre à
mort Ravovonana qui lui avait été livré, fut, puisque
c’était un tsimatimanota, contraint de demander aux Antehiroka
l’autorisation de mettre sa sentence à exécution.
D’ailleurs, les bourreaux respectèrent ce droit des tsimatimanota
de n’avoir pas à verser leur sang : Ravovonana fut enterré
vif dans une fondrière à Ankatso . Dernier fait à
noter, les Antehiroka pouvaient se marier avec les membres de la famille
royale , ouvrant ainsi à certains de leurs descendants la possibilité
de s’intégrer à cette famille. Tous ces faits aident
à mieux situer le statut des Antehiroka à l’époque
d’Andrianampoinimerina, d’autant plus qu’il est peu
vraisemblable que ce souverain leur ait concédé tant de
faveurs, alors qu’ils s’étaient montrés tant
opposés à la réalisation de ses projets politiques.
Jusqu’au règne d’Andrianampoinimerina (1785), d’ailleurs,
les Antehiroka pouvaient se marier avec des membres de la famille royale.
De fait, il en ressort qu’à la fin du XVIIIe siècle,
les Antehiroka étaient encore un groupe à statut aristocratique
élevé. Andrianampoinimerina, loin d’être le
premier souverain à leur accorder l’ensemble des privilèges
que cite le tantaran-dRanoro, ne leur avait, en fait, confirmé
que certains de leurs anciens droits et privilèges et leur en avait
au contraire retiré quelques-uns, dont celui de pouvoir contracter
des alliances matrimoniales avec la famille royale . Que le tantaran-dRanoro
donne Andrianampoinimerina pour le souverain qui leur avait concédé
ces droits s’inscrit en vérité dans le modèle
politique de participation au pouvoir et à l’autorité
andriana : mieux valait se rattacher au souverain le plus proche qu’à
un plus ancien, de la même façon que se présenter
comme descendant d’Andriamasinavalona était plus valorisant
qu’être descendant de Ralambo ou d’Andrianerinerina.
Une décision d’Andrianampoinimerina avait plus de force qu’une
décision d’Andrianjaka et devait être plus difficile
à remettre en cause. La nature de ces privilèges La nature
de ces privilèges important à l’histoire de la société,
voyons donc ce qu’ils représentaient.
1. Tsy mati-manota. Ce privilège ne permettait
pas aux Antehiroka d’en faire à leur volonté, et notamment
de s’en prendre aux biens d’autrui. Il autorisait ceux de
ses bénéficiaires qui auraient été condamnés
à mort pour une faute commise à l’égard du
souverain, à racheter leur vie en faisant au Roi l’hommage
d’un bracelet d’argent ou masom-bola hidy vava (litt. "le
bracelet d’argent qui ferme la bouche"). Ce privilège
comprenait également le droit de n’avoir pas à verser
son sang et celui de n’avoir pas à porter les fers en cas
de condamnation, des liens de fibres végétales étant
alors substitués aux fers. Concédé de façon
héréditaire dans la période ancienne, il ne le fut
plus que de façon individuelle et viagère au XIXe siècle.
2. Tsy hanim-bodihena. Le vodihena est un droit d’abattage
qui consiste en la remise au roi ou à son représentant de
la moitié droite de l’arrière train de chaque bœuf
abattu. Ralambo ayant affirmé et fait reconnaître son droit
souverain sur les troupeaux de zébus et ayant exigé d’être
celui à qui était remis le vodihena en cas de sacrifice
d’un animal, c’est donc un abandon de souveraineté
important. Rappelons aussi que, dans les troupeaux des particuliers, tout
zébu ayant la robe du volavita appartenait de droit au roi. Le
propriétaire du troupeau ne l’était pas des volavita,
il n’en était que le dépositaire, mpamerin-doha disait-on.
3. Tsy atao menakely. Les bénéficiaires
de ce privilège résidaient dans le menabe et relevaient
donc immédiatement du roi. De ce fait, leurs terres ne pouvaient
être incluses dans un territoire remis à un seigneur tompomenakely.
4. Tsy hanina mati-momba. Les biens mati-momba qui,
à l’origine, ne désignaient que les biens fonciers
d’une femme décédée sans descendance, en sont
venus à comprendre également au XIXe siècle les biens
mati-maso qui étaient ceux d’un homme disparu dans les mêmes
conditions. Par l’octroi de ce privilège, les souverains
avaient donc renoncé à prendre possession des biens tombés
en déshérence et avaient abandonné ce droit au groupe
auquel appartenait le (ou la) défunt(e).
5. Tsy miambina valamena (rova). L’exemption du
service de garde des résidences royales, normalement effectué
par la population, est également, dans les conditions politiques
de l’ancien régime, une mesure de police et de sécurité
destinée à protéger le souverain contre d’éventuelles
usurpations. L’on sait que, pour sa collecte, Lars Vig confiait
des cahiers à des mpitantara, puis faisait recopier ces premiers
textes par son secrétaire qui, pour certains mots qui lui semblaient
ne pas appartenir à la belle langue, ajoutait entre parenthèses
le mot qui lui semblait correct. Ainsi, pour voay "crocodile"
qui lui semblait provincial, proposait-il mamba qui lui apparaissait comme
le mot de la belle langue d’Antananarivo. Ici, de la même
façon, le manuscrit explique valamena par rova. L’on peut
penser que, si rova "enceinte royale, palée royale" s’était
imposé à la Cour au XIXe siècle, valamena était,
quant à lui, le terme ancien, celui des "temps vazimba",
que continuaient à utiliser les traditionistes antehiroka. Rappelons
qu’à la fin du XIXe siècle, la garde blanche (mpiambina
fotsy) d’Anati-Rova sous le commandement d’Andrianary Daravoay
comportait de nombreux jeunes andriana : comme leur chef donc, ils avaient
renoncé au privilège du tsy miambina valamena, mais demandaient
une attestation écrite certifiant que, ce faisant, ils ne perdaient
pas leur qualité andriana, le service de la garde du rova étant
en quelque sorte, a priori, le signe d’une non-appartenance au statut
le plus valorisé.
6. Tsy mandoa isam-pangady. L’impôt-par-bêche,
défini tantôt comme un impôt sur le matériel,
tantôt comme un impôt sur la force de travail de la population,
est confondu avec le hetra, impôt foncier qu’avait créé
Andrianampoinimerina et qui, par définition, concerne les seules
rizières irriguées.
7. Tsy mandoa variraiventy isan’ aina. L’impôt
du "grain-d’argent-par-personne-vivante" était
une sorte de capitation versée annuellement, à l’occasion
du Fandroana, qui était le grand festival royal du renouveau de
la vie. La modicité de son montant (le sept cent vingtième
de la piastre d’argent étant la plus petite unité
divisionnaire et équivalant à peu près à 13,40
Fmg en ce mois d’août 2004) en laisse supposer la très
grande importance symbolique. Il représentait l’impôt
que, quel que fût son état de fortune, devait verser chacun
des sujets de la Reine qui y était assujetti. Abrégé
en variraiventy, en isan’ olo-miaina, en isan’ aina, ou encore
plus brutalement en vidin’ aina, il désignait cet impôt
annuel par lequel chacun reconnaissait sa sujétion à l’égard
du Souverain et l’efficacité de celui-ci dans le maintien
de la vie pour tous. Etant donné la modicité de son montant,
il était communément admis que seuls ne le versaient pas
ceux qui étaient ouvertement entrés en rébellion.
Le versement du variraiventy était ainsi l’occasion
d’un recensement de la population sujette. Les souverains malgaches
n’avaient pas attendu la création des statistiques pour avoir
les moyens d’évaluer la force et la richesse en hommes et
femmes de leurs royaumes.
8. Tsy iakàrana osy. Par l’octroi de ce privilège,
le roi renonçait à demander aux bénéficiaires
d’élever des chèvres à son profit, et ceux-ci
ne pouvaient en élever pour eux-mêmes. Ce que, pour d’autres
groupes, on dénommait plus simplement fady osy, interdit de la
chèvre. L’étude de cet interdit montre qu’il
s’applique en fait à tous les groupes de descendance d’une
personne andriana qui a renoncé, pour elle-même et donc aussi
pour ses descendants, à l’exercice du pouvoir souverain.
Par le fait de la mobilité hiérarchique sur laquelle nous
reviendrons, les groupes roturiers descendant d’andriana continuaient
à respecter le fady osy. Au XIXe siècle, beaucoup
d’andriana étaient fady osy. Un des cas les mieux documentés
est celui des andriana d’Ambohimalaza, les Andriantompokoindrindra
qui, jusqu’à ce jour, tiennent beaucoup à cet interdit.
Selon la tradition orale de ses descendants que rien ne permet sérieusement
de contester, le grand ancêtre Andriantompokoindrindra avait renoncé
au pouvoir royal au bénéfice de son demi-frère, Andrianjaka.
L’existence de cette renonciation, contemporaine de la soumission
des Vazimba d’Analamanga (ou Anjalamanga comme la nomment de nombreux
mpitantara d’hier et d’aujourd’hui), permet d’effectuer
un rapprochement de plus entre Vazimba et Andriana. Rois, princes et seigneurs
tous ceux qui exercèrent le pouvoir suprême ou qui pouvaient
prétendre à l’exercer ou en transmettre le droit à
leur descendance pouvaient, quant à eux, élever ou faire
élever des chèvres, cet animal qui détruit pour sa
pâture la végétation naturelle. Andrianampoinimerina,
par exemple, faisait élever des chèvres par les Manendy
d’Anosivola : ces derniers avaient le droit d’en consommer
la viande, mais étaient fady rononon’ osy, privés
du droit de consommer le lait qu’il devait porter au roi lui-même.
L’on se souvient aussi que, dans la famille royale, les Zanak’
Andriana et Andriamasinavalona de Betafo dans l’Andrantsay avaient
leur élevage de chèvre. Et dans l’actuelle Imerina,
les Ampahitrosy "Au parc aux chèvres" témoignent
encore de l’ancienne fréquence de cette activité.
Si la renonciation au droit d’élever des chèvres ne
fut certainement pas la seule réduction des droits qui furent ceux
des chefs d’Analamanga, ce "privilège" en fut sans
doute la marque la moins contestable et la plus évidente.
9. Tsy atao miaramila. C’est l’exemption du service
militaire. On comprend que le mpitantara n’en ait pas fait état
dans la liste des privilèges à l’époque d’Andrianampoinimerina,
car l’institution des Foloalindahy, de l’armée comportant
des miaramila, ne date que de Radama Ier. Le mot miaramila lui-même
n’apparaît que sous ce règne. Dans la société
ancienne, les andriana étaient normalement exemptés de ce
qu’on appelait en Europe "l’impôt du sang",
parce qu’on ne pouvait verser leur sang. Beaucoup d’entre
eux s’abaissèrent à devenir militaire (nilatsaka ho
miaramila) tout au long du XIXe siècle. Les réformes de
Radama I° avaient divisé la population d’Imerina en deux
groupes, les miaramila et les borizano. Les premiers étaient, de
façon tout aussi viagère que les borizano, astreints au
service de l’armée et de l’administration, auquel était
assimilé le travail sur les chantiers de l’État (poudre,
forge, etc.) ; les seconds au service civil (essentiellement des travaux
de portage, de terrassement, etc.). N’étant concédé
qu’à des groupes qui n’avaient déjà pas
à exécuter le service civil (fanompoan’ ny borizano),
ce privilège exemptait donc totalement du service de l’État,
hormis les services du rituel qui étaient à la charge de
certains.
10. Tsy milanja Andriana. Cette exemption du service
de portage des princes est un privilège de la même nature
que celui qui concerne la garde des rova, dont nous avons parlé
plus haut (n° 5). C’est donc un privilège important.
S’il n’est cité qu’incidemment, c’est sans
doute parce qu’il semblait si impossible qu’on l’exigeât
des Antehiroka que le mpitantara avait oublié de le mettre au nombre
des faveurs accordées par Andrianampoinimerina. Les Antehiroka
dans l’organisation hiérarchique d’Imerina Ainsi dégagée,
la nature de ces privilèges doit permettre de mieux situer les
Antehiroka dans la hiérarchie de la société merina.
La remise du vodihena est un privilège assez largement répandu
; elle n’est pas immédiatement significative, quoiqu’elle
concerne l’ensemble des princes et seigneurs andriana (Zanak’
Andriana, Zazamarolahy, Andriamasinavalona et Andriantompokoindrindra,
regroupés sous le nom de Teraky ny Trano Fohiloha), et les parents
du roi ou havan’ Andriana (ce sont les Andrianamboninolona, Andriandranando
et Zanadralambo que l’on regroupait, avant le Code des 305 Articles,
sous le nom d’Andrianteloray ), ainsi que des groupes chargés
du rituel (ce sont notamment les Ambohimanambola , les Andriamborona et
les Andriamifidibe ) et certaines personnes chargées du service
direct du Roi (des Manisotra, Tsiarondahy et Ambohidava ). Par contre,
l’abandon par l’État de l’isam-pangady, l’exemption
des services de garde des résidences royales et de portage des
princes, dont les Antehiroka bénéficient comme l’ensemble
des Andriana et des havan’ Andriana, tout comme le tsy hani-matimomba,
indiquent bien le statut andriana des Antehiroka pour Andrianampoinimerina.
D’ailleurs, pour ce dernier droit, ne dit-on pas des andriana qu’ils
sont tsy maty momba, qu’ils ne peuvent pas mourir sans descendance
? Mais il y a plus : l’exemption du variraiventy, par lequel chaque
sujet rachetait à l’Andriana Tompon’ny aina ou "
Maître de la vie " le droit de vivre, intégrait bien
les Antehiroka dans le groupe andriana : ils n’avaient pas à
racheter une vie dont ils restaient maîtres. Sans doute faut-il
y ajouter le tsy atao menakely dont on ne parle jamais pour les Andriana,
parce qu’il est évident qu’on ne pouvait donner un
seigneur tompomenakely à qui pouvait théoriquement être
tompomenakely . Et nous trouvons dans le rapprochement que nous établissons
entre Antehiroka et andriana au sens large, une confirmation dans le fait
qu’avec certains Andriamasinavalona, les Andriantompokoindrindra
et les Andrianteloray, ils partageaient le privilège d’être
exemptés de l’élevage des chèvres pour le roi.
Reste enfin deux privilèges que les Antehiroka ne partagent pas
avec les andriana : tsimatimanota et tsy atao miaramila, ce dernier n’étant
qu’une explicitation partielle du tsimatimanota dans la mesure où
celui-ci comprend le droit de n’avoir pas à verser son sang.
Très important, le premier correspond à l’abandon
par le roi du droit de vie et de mort sur ses sujets qui est un droit
souverain par excellence.
Ce privilège distingue ainsi nettement les Antehiroka des autres
groupes andriana et à plus forte raison des groupes havan’
Andriana.
Toutefois, les Antehiroka partageant avec les Ambohimanambola ce privilège
distinctif ainsi que le tsy atao miaramila, on pourrait être tenté
de les interpréter comme particuliers aux groupes spécialisés
dans les fonctions du rituel,puisque les Antehiroka ont la charge de la
circoncision et les Ambohimanambola celle de la garde de Kelimalaza (idole).
Mais on sait que le même privilège est partagé par
d’autres groupes comme les Trimofoloalina qui, eux, n’étaient
pas des spécialistes du rituel. Et il semble, tout bien examiné,
que, pour le privilège du tsy mati manota des Ambohimanambola,
l’on puisse envisager une origine analogue à celle du même
privilège des Antehiroka. De ce fait, l’on est autorisé
au moins partiellement, puisque la confirmation des privilèges
par les grands souverains comme Andriamasinavalona ou, ainsi que nous
l’avons vu, comme Andrianampoinimerina, pouvait être l’occasion
(l’était-elle toujours ?) d’annuler certains d’entre
eux, à considérer ces privilèges héréditaires
reconnus aux Antehiroka au début du XIXe siècle comme permettant
de reconstituer les conditions dans lesquelles se sont soumis les Vazimba,
qui sont restés en Imerina et, par delà, l’organisation
du pouvoir à l’époque dite vazimba, car on peut, à
juste titre se fonder sur le postulat selon lequel l’État,
même despotique ou parce que despotique, d’une part, n’agit
pas sans raison et, partant, n’abandonne pas sans nécessité
certains de ses droits souverains, et d’autre part, ne concéderait
pas à des vaincus des droits qu’ils n’auraient jamais
possédés.
Il faut abandonner l’idée que les andriana merina auraient
conquis militairement le pays et vaincu les Vazimba. Il faut aussi faire
l’économie de l’hypothèse selon laquelle un
pouvoir organisé et qui serait allé en se développant,
ici le pouvoir andriana, aurait par fantaisie abandonné certains
de ses attributs à des groupes sociaux qui lui auraient été
militairement et culturellement inférieurs, ici les Vazimba. Les
privilèges antehiroka : maintien de droits anciens Il est donc
licite de penser que ces privilèges antehiroka sont une survivance
des droits exercés par les grands ancêtres de ce groupe et
qui leur ont été maintenus après leur soumission,
ou encore : dont le maintien négocié a permis leur soumission.
Ces chefs, qui disposaient de la vie de leurs sujets, ont conservé
le droit de disposer de leurs propres vies (tsimatimanota) et n’ont
pas eu à reconnaître le droit des nouveaux souverains que
manifestait le variraiventy isan’ olo miaina.
Dans les limites du territoire qui restait sous leur dépendance,
ils ont conservé le droit de se saisir des biens tombés
en déshérence (tsy hanina mati-momba). S’ils ont transmis
à leurs descendants l’exemption autant des services courants
(portage et garde) assurés auprès des rois que de tout service
dû à l’état, ce qui est exprimé par le
tsy atao miaramila, ainsi que le droit à ne pas être placé
sous la dépendance d’un tompomenakely, c’est que vraisemblablement
ces privilèges existaient déjà l’organisation
de l’aristocratie andriana issue d’Alasora n’ayant fait
que les maintenir pour ses membres. Il en aurait été de
même pour l’isam-pangady et le vodihena qui, lui, pose un
problème particulier. En effet, la tradition royale rapporte que
Ralambo, qui aurait été le premier à consommer de
la viande de bœuf et aurait donné à cet animal jusqu’alors
appelé jamoka son nom définitif de omby, aurait à
cette occasion institué au profit de la couronne le droit du vodihena.
La domestication du bœuf et la taxe d’abattage seraient donc
à mettre au nombre des innovations de la dynastie andriana et des
éléments qui la distinguent de la période passée.
Or, Ralambo est le père d’Andrianjaka qui aurait obtenu Antaninarivo
d’Andriantsimandafika et d’Andriambodilova et qui a reçu
l’hommage de ces deux fils d’Andriampirokana. Dans ces conditions,
si nous avions eu des systèmes différents et dans la mesure
où la famille d’Andrianjaka n’était pas de ces
envahisseurs étrangers fraîchement arrivés dans un
pays dont ils auraient à peine pu assimiler les coutumes et adopter
les institutions, il est vraisemblable que cette nouveauté aurait
dû être imposée aux chefs vazimba. Il n’en fut
rien. Le doute quant à la véracité du récit
dont Ralambo est le héros, est ici corroboré par ce qui
est sans doute le maintien d’un droit antérieur que possédaient
les rois vazimba. D’ailleurs, parlant des activités d’Andriambodilova,
le tantaran-dRanoro ne dit-il pas : "fa mpiompy omby sy ondry sy
vorona etc. moa ny teo aloha car les gens d’autrefois étaient
éleveurs de bœufs, de moutons, de volailles, Comme incidemment,
le tantara antehiroka retire à Ralambo d’être le découvreur
du bœuf, puisque Andriambodilova et ses ancêtres en élevaient
déjà. Un tel texte aurait pu donner à penser à
tous ceux qui faisaient confiance à la tradition de la domestication
du bœuf par Ralambo. Tout au plus, le bénéfice de cette
innovation accordé à Ralambo ne peut être que le fruit
d’un anachronisme descendant, car l’on ne saurait plus attribuer
à Ralambo l’innovation de la domestication et de la consommation
du bœuf qui se serait répandue dans toute l’Imerina
puis dans tout Madagascar, et nous ne pouvons que conclure que l’impôt
du vodihena est antérieur au règne de Ralambo, tout comme
la circoncision est antérieure à celui d’Andriamanelo.
Par contre, les innovations situées à leur vraie place dans
la chronologie laissent des traces décelables dans les récits.
Dans ce sens, le tantaran-dRanoro nous offre l’exemple d’une
innovation apportée dans le rituel de la circoncision qui confirme
aussi la préexistence de cette cérémonie qu’Andriamanelo
n’aurait pas inventée mais tout au plus modifiée.
Nous en décrivant le déroulement, le tantaran-dRanoro
nous donne la raison pour laquelle c’est un groupe de sept hommes
qui prononce les bénédictions : "Ny anton’ ny
tsy anaovana azy ho olona enina satria tsy nahazo zaza inenina Rasolobe
(vadin-dRalambo, amin’ Andrianjaka) fa efa nandray faha-fitony vao
nahazo zaza ; koa io isa fito io dia nataon’ ny ntaolo ho isa-masina.
Ka izany no anaovana ny ‘impito’, raha manao hasoavana.
La raison pour laquelle on ne prend pas en cette occasion un groupe
de six personnes, provient de ce que Rasolobe (femme du Ralambo d’Andrianjaka),
par six fois, n’eut pas d’enfant, et que ce ne fut qu’à
la septième grossesse qu’elle eut un enfant. Aussi, ce chiffre
sept, les anciens en firent-ils un nombre sacré. Et c’est
pour cela que l’on respecte le sept fois, quand on fait une circoncision.
Effectivement, nous savons par la tradition royale que Ralambo père
d’Andrianjaka, qui s’imposa aux ancêtres des Antehiroka
ne naquit qu’après une série de six fausses couches
de sa mère, Rasolobe. Un désaccord important existe néanmoins
entre la tradition royale pour laquelle Rasolobe est mère de Ralambo
et grand-mère d’Andrianjaka, et la tradition antehiroka qui
présente Rasolobe comme "vadin-dRalambo, amin’ Andrianjaka".
Il ne s’agit pas d’essayer de les concilier, mais d’expliquer
pourquoi le tantaran-dRanoro fait cette erreur sur la parenté réelle
qui unit Rasolobe à Ralambo et à Andrianjaka. La raison
pourrait s’en trouver dans les conditions de mémorisation
des faits par la mémoire collective antehiroka. Mais on peut tout
aussi bien penser que les Antehiroka, parents à plaisanterie (mpiziva)
des rois, ont volontairement fait cette erreur et donné à
entendre des relations incestueuses entre la mère et le fils, voire
entre la grand-mère et le petit-fils.
Que la raison profonde de l’innovation dans la circoncision réside
dans les six fausses couches successives de Rasolobe, ne nous semble pas
évident. Mais l’on peut en admettre la validité au
moins au niveau du langage symbolique. Cette formulation est difficile
à comprendre, sauf dans le cas où Ralamboaminandrianjaka
serait le nom d’une personne. L’on peut évoquer des
formules analogues sans toutefois trouver de réel équivalent.
Mais l’existence dans le manuscrit d’une virgule entre Ralambo
et amin’ Andrianjaka, donc du maintien, au niveau de la graphie,
d’une pause dans la parole, nous invite à écarter
l’hypothèse, selon laquelle on citerait le nom d’un
individu, et à penser que la confusion provient de l’existence
du nom du groupe statutaire aristocratique des ZanadRalambo amin’
Andrianjaka qui comprenait à la fois les descendants de Ralambo
et ceux d’Andrianjaka qui ne régnèrent pas.
Ces Vazimba étaient-ils des rois ? Les traditions s’accordent
pour l’affirmer explicitement, aussi bien les traditions actuelles
des descendants des Vazimba enfuis dans l’Ouest que les traditions
royales d’Imerina. La tradition des Vazimba du Menabe dit : "Tamin’
ny voalohany dia tao Imerina ny vazimba. Ny vazimba no tena nanjaka tao.À
l’origine, les vazimba étaient en Imerina. C’étaient
les vazimba qui y exerçaient l’effectivité du gouvernement"
. Pour le Tantara ny Andriana, il n’y a pas de doute : les Antehiroka
sont "taranaky ny andriana tany aloha indrindra, les descendants
des plus anciens princes". Les résultats de l’analyse
en profondeur du système des privilèges nous autorisent
à ne plus mettre en doute de telles affirmations. L’on me
permettra, d’autre part, non seulement de ne pas mettre en doute
l’utilisation du mot "roi", mais aussi de ne pas utiliser
des guillemets qui contestent implicitement le recours au mot, et surtout
de rayer de mon vocabulaire le mot "roitelet". Même si,
à cette époque, la mouvance soumise à chacun de ces
rois était restreinte que l’on se souvienne à cet
égard de l’étroitesse du royaume d’Andriamanelo,
l’on ne peut que proscrire ce terme de "roitelet" qui,
excepté le domaine de l’ornithologie, comporte une connotation
fortement péjorative et implique de la part de l’usager,
une forme d’ironie que l’on ne retrouve ni dans le titre de
prince, ni dans celui de grand duc utilisés pour des souverains
comme ceux de Monaco ou du Luxembourg, dont la souveraineté ne
s’étend pas sur de grands territoires. Quant aux rois, retenons
que personne n’osera utiliser "roitelet" pour désigner
le roi de Navarre qui devint ensuite roi de France sous le nom d’Henri
IV. Comportant des nuances et des variantes selon les lieux et les temps,
la royauté est en tout état de cause une forme d’organisation
politique et de pouvoir qui n’a rien à voir avec l’étendue
du territoire concerné. Les rois dits vazimba, qui semblent donc
bien avoir été des monarques, ne devaient pas être
fondamentalement différents des rois andriana, et il est difficile
en la matière de concevoir une solution de continuité entre
période dite vazimba et période dite andriana. Ainsi la
circoncision, présentée et reçue comme une des premières
innovations andriana, n’a-t-elle pas été inventée
par Andriamanelo ni le fandroana par Ralambo ; c’étaient,
dans un cas comme dans l’autre, des héritages de l’époque
antérieure. Cela posé, même si l’histoire de
la dynastie d’Alasora n’est pas et ne peut pas être
seulement la reproduction inchangée d’une histoire antérieure,
les descendants de ces anciens souverains ayant des privilèges
exorbitants, comparés à ceux des andriana issus de Ralambo
et d’Andrianjaka, peut-être y a-t-il lieu de soupçonner,
tout au moins sur les groupes de haut rang, un renforcement du pouvoir
royal, mais cela ne permet pas d’aller jusqu’à en inférer
l’organisation d’un pouvoir essentiellement différent.
Tout bien considéré, les Vazimba ne furent pas un peuple.
Les descendants de ceux qui partirent dans l’Ouest avec leur peuple,
forment aujourd’hui dans le Menabe un ensemble dénommé
vazimba. Mais dans l’Imerina ancienne comme ailleurs à Madagascar,
seuls étaient des Vazimba les rois, de leur vivant peut-être
mais après leur trépas sûrement. Et sans doute les
Vazimba défunts étaient-ils mis au tombeau de façon
définitive et n’étaient pas l’objet de famadihana,
de "secondes funérailles", tout comme les rois et leur
famille proche d’Imerina, et comme les descendants de ceux-ci encore
actuellement. L’on objectera que l’on connaît un très
grand nombre de tombes vazimba. mais il faut bien voir que l’on
a dénommé ainsi quantité de tombes anciennes, parce
que l’on croyait en l’existence d’une population vazimba.
En fait, toutes les tombes anciennes ne sont pas vazimba, seules le sont
celles qui furent et restent l’objet de respect et de culte à
des ancêtres qui étaient et restent puissants. Des temps
dits vazimba jusqu’à l’époque historique, les
idées les plus dures de la culture politique malgache ont traversé
les siècles.
Comme nous le savons tous, quand Andrianampoinimerina fit connaître
ses dernières volontés, il précisa encore qu’il
voulait qu’après avoir été mis au tombeau,
on le laissât "devenir vazimba", c’est-à-dire
que l’on ne touchât plus à ses restes mortels. Jusqu’à
ce que Gallieni en ordonne le transfert à Antananarivo, on aurait
pu l’appeler "Ny Vazimba Andrianampoinimerina", comme
à Alasora au tombeau d’Andriamanelo, les fidèles invoquent
"Ny Vazimba Andriamanelo". C’est d’ailleurs à
cette solution que nous invite le tantaran-dRanoro. Le texte, en effet,
ne dit jamais que les Antehiroka, pourtant reconnus communément
comme tels depuis le XIXe siècle, sont des Vazimba. Et pour cause
: le mpitantara parle, quant à lui, de personnes vivantes qui n’exercent
plus le pouvoir souverain. Il sait que Ranoro avait été
une personne bien humaine (olona) avant de devenir Vazimba. "Ranoro
dia olona nanjary Vazimba ; nefa izy io dia zanak’ Andriana teo
aloha, sady taranak’ Andriana. Ranoro est une personne qui est devenue
Vazimba, mais il faut dire qu’elle avait été fille
de Prince et d’une lignée royale". Au passage, notons
la majuscule que notre manuscrit accorde à Vazimba et qui, rapportée
à l’emploi de la majuscule dans l’ensemble du manuscrit,
implique une attitude traditionnelle de respect. Le début de l’histoire
de Ranoro, aux yeux du "moderne", fleure un moment le scandale.
En effet, le nefa oppose à Vazimba (soit être mythique, soit
primitif vaincu) une personne humaine (olona) qui, de plus. avait un statut
aristocratique (connotation : être réel ayant le statut le
plus élevé parmi les puissants), alors que l’opposition
serait plutôt entre Vazimba (roi, ancêtre royal) et olona
(sujet, possédant éventuellement un statut aristocratique).
Le prodige n’est sans doute pas que malgré sa qualité
de "princesse du sang", dirait-on en français, et son
appartenance à une maison royale, Ranoro soit devenue Vazimba,
mais plutôt que le mpitantara, malgré la somme de son savoir,
ait apparemment admis un instant l’assimilation des Vazimba à
des êtres mythiques.
Un instant seulement, en effet, car lorsque vers la fin de son récit,
le mpitantara conte la fuite de Ranoro chez Ramatoa Rakapila, son récit
manifeste une volonté de réalisme et de "vérité
historique" autant qu’un refus d’assimiler au merveilleux
populaire des faits perçus comme historiques : "Ary izao,
hono, no ataony ao : Raha atoandro be ny andro. dia miseho eo ampovoan’
ny rano Itasy izy mianakavy, ka milalao eo ambonirano sy mielo mena avokoa
izy mianakavy. Ka finaritra sy gaga er ny olona mijery azy eo, fa toy
ny andriambavin-drano er izy. Et voici, dit-on, ce qu’elles y font
: chaque jour dès que le soleil est bien haut, elles apparaissent
en famille au milieu du lac Itasy, jouant sur l’eau et portant chacune
un parasol rouge. Et les gens, à les regarder, sont à la
fois au comble du plaisir et plongés dans l’émerveillement,
car on les prendrait bien pour de vraies princesses des eaux". Il
est entendu c’est le sens du toy, qu’on aurait préféré
qu’elles fussent de véritables princesses des eaux (andriambavirano),
mais qu’elles ne l’étaient pas. Récit et récitant
restent donc encore en deçà du mythe. Comme les autres Vazimba,
ces princes et rois des temps passés, Ranoro demeure bien vivante
et active depuis l’autre monde.
Le destin des descendants de princes écartés du pouvoir
Il nous reste à expliquer comment ces princes, descendants de rois,
furent amenés, au XIXe siècle sous Ranavalona I°, à
faire la corvée que faisait le peuple d’Imerina et, suprême
injure à leur illustre passé, à porter sur la tête
de l’urine de bœuf destinée à la fabrication
de la poudre. Cela nous est d’autant plus nécessaire que
nous sommes habitués à considérer la société
ancienne comme une société figée où les groupes
sociaux avaient un statut immuable. L’on sait bien par la tradition
royale que les grands souverains qui ont organisé la société
c’est ce que l’on retient le plus souvent, ont par la même
occasion opéré des réformes et des transformations
ce que l’on comprend moins bien et que, par suite, on a tendance
à oublier. De fait, outre que la mémoire collective nous
conserve des exemples de ces décisions royales qui engageaient
l’éternité , l’organisation sociale était
ressentie comme reposant sur une convention passée entre peuple
et souverain dans les temps anciens, renforcée par son antiquité
et reçue comme imprescriptible et irrévocable sans l’accord
formel des deux parties. C’est la notion de fenitra à laquelle,
à propos du règne de Radama II se réfère le
tantaran-dRanoro lorsqu’il y est dit que les Antehiroka "tsy
mbola niova fenitra, n’avaient rien changé aux conventions
passées", et que, de ce fait, ils continuèrent d’agir
de la même façon que du temps de Ranavalona I°. La notion
de fomba utilisée à propos de l’attitude de Rasoherina
"tsy novàny ny fomba fanao teo amin’ Izy mianaka, elle
ne changea pas les usages en vigueur à l’époque de
Ranavalona I° et de son fils Radama II", peut on lire, si elle
contient les mêmes connotations d’ancienneté et quoique
moins fortement d’imprescriptibilité, n’implique pas,
quant à elle, l’existence d’une convention entre peuple
et souverain. Donc, les mêmes faits peuvent être conçus
du point de vue des sujets comme résultant d’une convention
(fenitra) ayant été rituellement consacrée et du
point de vue du souverain comme ne relevant que des us et coutumes (fomba)
appelés à perdre de leur force.
L’on n’ignore pas que, s’ils sont maîtres des
vivants, les rois sont également tompon’ ny razana, "maîtres
des ancêtres" et que les grands souverains ont laissé
le souvenir d’avoir examiné les généalogies
(mitety razana) pour trancher des prétentions ou revendications
de leurs sujets. C’était là un moyen et il a été
utilisé de mettre fin à certaines situations anciennes,
quand il était décidé qu’un individu ou qu’un
groupe n’avait plus le droit d’en appeler à tel ancêtre.
La décision entraînait l’annulation des droits hérités
de cet ancêtre. Le statut des individus dépendait ordinairement
du statut de leurs parents et donc des alliances. Le roi n’intervenait
pas en matière de droit civil, sauf, en tant que chef de famille,
pour le groupe andriana. Les princes et seigneurs avaient, dans ce domaine,
une totale liberté. Ils pouvaient librement "nager dans l’Imerina".
C’est le privilège du milomano amin’ Imerina. Jusqu’à
Andrianampoinimerina, les Antehiroka pouvaient s’allier à
la famille royale et sans doute avaient-ils aussi le privilège
du milomano amin’ Imerina. Sous ce roi, les Antehiroka sortent du
régime du milomano amin’ Imerina qui, en ce qu’il limite
l’étendue des réseaux d’alliance, réduit
les possibilités d’intervention et de soutien dans les centres
de décision. Connaissant l’aptitude des anciens à
la casuistique et l’importance accordée à la parole
et au vocabulaire dans une société de l’oralité,
il faut en quelque sorte se rappeler sans cesse que tel droit qui avait
été, en apparence, concédé définitivement
ne l’était en fait fermement que pour une durée ne
couvrant que huit générations comprenant celle du donateur.
En effet, donnée "pour l’éternité"
mandrakizay alao valo, donc littéralement "jusqu’à
ce qu’on en ait passé huit", l’assurance que les
descendants du donateur respecteront le privilège accordé
héréditairement, s’arrête de part et d’autre
aux descendants à partir de la septième génération
(zafindoria) au delà de laquelle fait défaut la terminologie
de la parenté, qui alors s’éteint. Cela est confirmé
quand on constate qu’entre Andrianjaka qui, nous le supposons, a
concédé à Andriantsimandafika et Andriambodilova
les privilèges dont héritèrent les Antehiroka, d’une
part, et Andrianampoinimerina qui les a confirmés une dernière
fois, d’autre part, il s’est, selon le compte non des souverains
mais des successions généalogiques, écoulé
huit générations, Andrianampoinimerina étant bien
le zafindoria d’Andrianjaka. Ainsi, Radama I° et Ranavalona
I°, qui sont parmi les zafy tsy havana (ou les "descendants qui
ne sont plus des parents") d’Andrianjaka, n’étaient-ils
plus tenus de respecter les décisions de leur lointain ancêtre
et pouvaient donc remettre en cause les privilèges des Antehiroka.
C’est ce qui permit, par exemple, à Radama I° de détacher
une partie du territoire antehiroka pour l’intégrer au Voromahery,
territoire d’Antananarivo. Quoi qu’il en soit, il est nécessaire,
pour comprendre la société de l’Imerina ancienne,
de corriger l’idée d’une société figée
en "castes", disait le discours colonial pour la condamner,
en "pseudo castes", maintient le discours néo colonial
illustrant d’une certaine façon la prétendue rigidité
de la tradition, en lui substituant l’idée bien fondée
d’une mobilité hiérarchique des individus et surtout
des groupes. La dynastie d’Andriamanelo mais sans doute déjà
ses prédécesseurs, par une série de mesures sur le
long terme, éliminait régulièrement du groupe andriana
que devait nourrir et servir le peuple, un ensemble de familles havan’
Andriana du dernier rang de la hiérarchie et les intégrait
dans le statut roturier des folovohitra. D’autres faits, bien documentés,
s’ajoutent à l’exemple antehiroka et montrent que le
changement de statut de ceux-ci ne fut pas exceptionnel . Que les descendants
d’Andriantsimandafikarivo et d’Andriambodilova aient perdu
la qualité qui était celle de leurs premiers ancêtres
était dans l’ordre normal de l’évolution de
la société.
Au terme de notre parcours, il nous faut donc réaffirmer
la nécessité de poursuivre la révision du "problème
vazimba" en dirigeant un regard neuf sur les sources premières.
Le tantaran-dRanoro dont l’authenticité est assurée,
en offrait l’occasion et permettait de dégager des éléments
de définition de ce concept fondamental. Dans l’historiographie
traditionnelle comme dans la coloniale, le concept de "Vazimba"
est situé sur un axe orienté l’axe du progrès
conduisant du simple au complexe, de la nature à la culture, de
la sauvagerie à la civilisation aux alentours d’un point,
le XVIe siècle, qui aurait marqué une transition radicale.
Cela était déjà vrai dans la tradition orale recueillie
au XIXe siècle, quoique l’on ne discerne pas encore nettement
si, dans les conditions de la collecte, elle avait déjà
assimilé des préoccupations étrangères concernant
Kimosy et populations naines hypothèse envisageable, puisque s’y
sont intéressés les anciens auteurs dont on n’est
pas assuré que les mpitantara merina du XIXe siècle ne les
aient pas directement ou indirectement connus ou si elle ne véhiculait
que des conceptions authentiquement malgaches hypothèse qui nous
semble la plus vraisemblable, car la tradition royale pose que
les Andriana étaient des souverains civilisateurs et organisateurs
de ce qui aurait été le chaos terrestre primordial. Cela
est resté vrai dans l’historiographie contemporaine qui a
poursuivi le mouvement amorcé et tendit à rejeter les "Vazimba"
vers la sauvagerie inorganisée et à rapprocher la période
merina de la civilisation organisatrice. Et la dernière
réflexion sur le "concept de vazimba" présentée
à l’Académie Malgache en 1971 illustre bien cette
tendance quand l’auteur, après avoir attribué aux
Andriana, avec une louable circonspection, "l’introduction,
ou au moins le développement impressionnant, de la technique de
la rizière irriguée..." , tranche quelques pages plus
loin, mais sans avoir apporté d’éléments décisifs,
en faveur de l’introduction de la riziculture dans un pays qui l’ignorait
. Opérée au profit des rois de la période suivante
dont elle devait, et devrait encore pour beaucoup de nos contemporains,
assurer la légitimité et fonder la supériorité,
l’historiographie des Vazimba est celle d’une dépossession
progressive et totale qui atteint aussi bien le domaine des activités
matérielles que celui des institutions politiques. Une
lecture de la tradition qui replace les témoignages dans le contexte
concret de l’histoire d’Imerina, fait donc apparaître
que la société merina dirigée par l’aristocratie
andriana ne rompt pas, au tournant du seizième siècle, avec
un passé qui aurait été celui d’une société
"vazimba" archaïque, car la continuité des institutions
ne laisse pas la moindre possibilité d’imaginer un changement
fondamental de l’organisation sociale et politique des groupes aristocratiques,
et encore moins de vérifier l’installation d’un nouvel
ordre par des conquérants étrangers.De
plus, les Vazimba contemporains de Ranoro et leurs grands ancêtres
n’étaient que les rois et princes de leur époque.
Après la convention passée avec Andrianjaka, ils furent
écartés progressivement du groupe permettant l’accès
au pouvoir suprême et aux charges politiques importantes, leurs
descendants antehiroka perdirent peu à peu leur statut andriana
pour se fondre dans le groupe roturier. Dans cette optique, l’autodafé
de 1869, conséquence du choix de la religion chrétienne
par la monarchie, s’inscrit logiquement comme le moyen de parachever
le mouvement par une certaine damnatio memoriae de l’ancêtre
divinisée qu’était Ranoro.
Que le culte de Ranoro se soit conservé
jusqu’à ce jour, n’a rien d’étonnant.
Même si la royauté avait interdit la louange, donc
le culte, accordée à ses ancêtres, le peuple,
quant à lui, a continué à respecter et honorer
les esprits de ceux des grands ancêtres princiers et royaux
qui, suivant ses croyances, lui avaient assuré protection
et bénédiction dans le passé. Le doany de
Ranoro n’est pas le seul à être toujours fréquenté
jusqu’à ce jour. Grands rois et princes de l’époque
antérieure au XVIe siècle, les très connus
comme Ramaitsoakanjo et Andrianony masindehibe ou les moins connus
comme Ratsobolo continuent à attirer des fidèles.
Ainsi les Vazimba d’Imerina, dont l’histoire reste
à écrire complètement, nous apparaissent-ils
déjà très différents de ce que l’on
exposait à partir d’une pseudo argumentation ethnographique
projetée dans le passé pour reconstruire l’histoire
soit, version andriana, pour valoriser la dynastie d’Andriamanelo
qui aurait sorti la terre de son chaos primordial, soit, version
coloniale, pour déprécier le passé et l’homme
malgaches et justifier un prétendu programme civilisateur.
Le moment est en tout cas venu pour l’histoire de l’Imerina
de cesser de recourir sans précaution à ces modèles
habituels d’explication, et de revenir aux sources et aux
textes de la tradition orale pour les soumettre à une lecture
plus attentive, plus prudente et tout à la fois plus intime.
Ph. RAZAFINDRARAOTY, "Lovan-tsofina vazimba", Antananarivo,
Ny Sakaizan’ ny Tanora, 1977
voir aussi les articles
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réalité?
Origine
confuse des Vazimba du Betsiriry
Les
Bezanozano, une des premières souches des Vazimba
En Imerina, des vazimba aux Andriana
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